Monologue du célibataire

Moi ? 33 ans ! Toutes mes dents !
De me marier ?
Ah, non, non, non, non…
Quoi ? Les enfants ?
Ah, oui, oui, oui, oui, oui…
Évidemment, vu du point de vue des petits
C’est pas pareil
C’est rose, c’est blond, enfin, des fois,
Ça cause,
Oui, je sais, on en apprend avec les enfants
Tiens je l’ai lu dans le journal, écoute-ça :
‘L’enfant est le père de l’homme’…
Pas mal, hein ?
Ah tiens, l’autre jour, un petit gars, il m’a fait un signe, j’étais dans le train pour Hirson, il m’a fait un signe de la main, il voulait un sourire, et tu sais, c’était le matin, dans la brume, il marchait près d’une gare en lançant des cailloux. Et puis tout d’un coup, il a tout lâché, il a tendu la main, j’ai bien vu, cinq doigts dressés vers moi contre la brume, avec le jour naissant, un vrai soleil. J’avais mal dormi, c’est vrai, mais je ne sais pas si je dois le dire, oui, je vais le dire, en voyant son sourire, les pommettes, tu vois, les paumes blanches dans le tout petit matin, j’ai failli pleurer dis-donc… C’est pour ça que j’ai dit ‘oui’ tout à l’heure pour les enfants. …Oui, tu as raison, j’ai pas failli. J’ai pleuré vraiment, comme un veau, j’ai pleuré…
Pourquoi ? Ah non, ça je ne sais pas.
De me marier ?
Non, ah, ben oui, ça c’est sûr,
Si tu veux des petits gars faut aller devant le maire
Remarque maintenant c’est pas obligatoire…
Oui, comme tu dis, le maire c’est mieux,
Tu donnes ton nom, tu te rends compte, ton nom,
À quelqu’un d’autre que toi
C’est digne, oui, oui, c’est digne,
Ça te requinque un bonhomme en moins de deux
C’est le cas de le dire,
Oui, c’est mieux de se marier, c’est sûr
Mais tu vois ce qui me retient c’est…comment dire ?
Le grappin…
Oui, le grappin, après, tu vois,
On a l’impression qu’on est coincé aux épaules,
On ne peut plus jouer les gros bras au bistrot,
On est responsable
Et puis j’aurais honte, j’aurais honte… De quoi ?
Eh bien, j’aurais honte au supermarché de pousser le caddie avec les couches par-dessus,
Voilà c’est ça le signe du grappin.
Ah, oui, cent fois, elles ont voulu, cent fois
Ah non, je n’ai pas voulu, tu sais,
J’ai l’impression que le rouge à lèvres
Le rimmel
La poudre pour le nez et les joues
En fait, tout, la mini-jupe
Le soutien-gorge
Tout ça, en fait, c’est autant de griffes du grappin
C’est pour t’accrocher
Pour que tu pousses un jour un caddie plein de couches sur le parking du supermarché…
Être sincère ? Non, mais je suis sincère… Tu rigoles ?
Tu crois que je mens ?
Oui, non, tu as raison, non, en fait ce n’est pas le grappin, c’est vrai,
Ce n’est pas le grappin qui me fait peur
Après tout on divorce comme on rigole aujourd’hui,
Non, c’est les enfants, oui, oui,
C’est ça, la main tendue comme un soleil dans la brume du matin.
Oui, ça, ça me fait peur,
Ton nom, oui, tu es responsable,
Oui là vraiment, oui, là, j’ai peur, j’ai peur oui, oui, oui, oui… (Il s’en va)