enfant j’allais au champ sauvage
orties ciment plâtras briques chats maigres
contre la fontaine
une pièce d’obus me terrifiait
ma main s’avançait pour cueillir l’eau
et revenait en tremblant
après avoir effleuré la guerre
l’obus luisait au soleil de juin
j’entendais les plaintes
les sanglots sous les portes
les appels dans le ciel jadis rayé des balles
l’obus mort demeurait inexplicable
les grands géants serraient les dents
d’avoir traversé cet âge cuivré noir
n’en parlons plus n’en parlons plus
je me souviens de mon regard levé
en forme de question
et du silence crayeux et des lèvres serrées
un sourire aurait suffi
un mot qui dise que la paix
n’était plus hors saison
et que les peupliers qui frémissaient là-haut
ne tremblaient pas
mais jouaient de toutes leurs feuilles
comme une femme rit en rejetant ses mèches
j’aime la rivière qui fuit au présent sous les ponts et les jours
délestée des corps
elle a désormais ce courant uniforme
qui chante le retour monotone des lois
et du monde mal fichu
où je m’obsède des appels des enfants de demain
L’enfance habite un pays qui n’existe que par le pouvoir des mots…
Le pouvoir des mots. C’est la raison d’être des psychologues et des poètes romanciers. Le temps où j’écris est déjà passé. On devrait toujours écrire à l’imparfait. Et pour l’enfance au passé simple; c’est si beau ce temps unique (le passé simple), c’est si beau. c’est du passé bien sûr mais c’est une forme de re-présentation, de remise au présent d’un passé qui fut; ainsi que Proust le montre largement, le passé n’est pas simple évidemment… et pourtant…
Les mots installent ce qui fut en un lieu qui affirme que rien n’est jamais perdu tout à fait. Le beau de la psychanalyse est de montrer ce “rien n’est jamais perdu”, ou plutôt la persistance malgré tout du perdu, c’est à dire sa présence ENCORE. C’est un phare à l’intérieur de la nostalgie.