L’été

Participe passé d’être, l’été avertit qu’il laisse derrière lui une soie adolescente, de tendres éclosions verticales à foison sur la terre où nous avons marché ce premier temps, printemps où tout croit, foi et croissance, espérance et loi. L’été est l’âge adulte, les blés y sont certes encore hésitants et les fenaisons démarrent, mais le printemps aux aubes vives ornées de nuées où le bleu garde en réserve parfois, même en mai, une blancheur glacée de décembre, ce printemps est bien mort, les fleurs en sont l’image, elles s’inclinent, quelques-unes s’éteignent ou se perdent aux fougères rouges des sous-bois grandissant ; il n’est qu’à voir aux orées les fouillis des mûriers et le pas incertain de l’errant qui, visant le cœur du massif, doit faire mille tentatives pour trouver le sentier de l’ombre bourdonnante. Livres couchés aux mille pages, les céréales s’attardent au vert pour appeler les coquelicots à venir aviver la tranche des champs vaguement mouvants. Le rouge vif danse. Il s’arrange naturellement pour faire bouffer les fossés déjà secs et ouvre sur les milliers de brins de blé en gésine des éclats exaltés que les houles grises tempèrent habilement d’un violet très sombre. Le ciel a pris ses quartiers d’été du côté du bleu franc et vient rehausser de son velours un peu clair le vaste miroir terrestre où les pains déjà dorent lentement aux menus épis clos.

L’été est aussi aux tympans. Le soleil s’arrête (sol stat, solstice) mais bizarrement si l’on prête l’oreille une fable cède à nos instances. L’axe de la terre craque. Oh bien sûr il faut être horloger ou musicien pour percevoir cette brisure de notre axe, mais elle s’enclenche comme une porte sur une autre demeure – et pourtant la même – où nous ne restons pas enfermés car le jour sans fin nous attire dans le lacis de ses heures nombreuses au cœur desquelles nous n’avons pas soif de dormir, d’autant que la terreur est grande d’entendre cette infime rupture décisive qui fait repartir le globe dans l’autre oblique ; en témoigne la touchante institution de la fête de la musique dont le but inconscient est de couvrir le craquement astronomique, serein et glaçant. La technologie fait vibrer les cordes à l’intérieur de nos poumons en alerte, tandis que les haut-parleurs jettent leurs diatribes contradictoires vers les pavés où les pieds se tordent à l’envi. Cette fête est aux citadins le relai auditif des feux de la Saint-Jean qui inondaient les ciels durant l’espace bref séparant le couchant du levant afin qu’une fois l’an la lumière l’emporte sur la nuit.

L’électronique vibratoire a remplacé les feux du village qui eux-mêmes étaient fils d’anciens cultes et pratiques, mais rien n’est plus émouvant que ce passage en force de la lumière-musique entre deux jours successifs. Victoire sur l’effroi, car désormais le temps du jour est au déclin.