Lecture et écriture de “départ”

Christiane :

 Pour entrer dans ce texte, je me place face à lui et je le regarde longuement cherchant à le comprendre comme je le fais face à une toile, un arbre, un oiseau.
Je reste immobile, endormant mes défenses, mon expérience de lectrice pour ne pas me perdre, pour ne pas déranger. Je le laisse « gambader », frémir, se taire, résister, s’ouvrir. Peu à peu, c’est lui qui vient à moi et me parle. Alors, j’apprends, j’écoute; je pourrais ne pas écrire ce que je comprends alors et qui peut être un soliloque, un reflet mais j’aime dialoguer avec vous. Vos réactions disent ce « métier de vivre » (Pavese) et d’écrire, disent aussi l’homme que vous êtes face à ce siècle qui ne peut me laisser indifférente, sa difficulté de vivre. J’ai besoin de votre révolte, de votre mémoire, de votre générosité.
Quant à la technique, aux rimes, aux mots choisis, au mouvement du texte, à ces vides qui entourent les mots, ce sont les habits de votre écriture… je ne retiens le cri dans le silence et la solitude d’un cœur battant. Ainsi, vous passez de vous à nous, vos lecteurs, témoignant de ce monde, de votre vie.
Alors, je marche lentement, m’éloignant du poème, le laissant à ses murmures, à sa liberté d’être. Adagio…

Raymond :

Oui, je vois très bien comment vous faites. Votre passivité première est une manière d’hommage qui vous amène à avancer et à vous rapprocher du contenu, du chant; j’aime beaucoup ce que vous dites des « habits » et de la solitude évidemment. Je dis « je » pensant bien que chaque lecteur viendra à la musique et que ce « je » deviendra un autre « je ». Donc un « nous ».
Les habits parfois bloquent, ils refusent de venir, pourtant je les suscite, mais parfois, comme ces jours-ci le silence n’est pas suffisant pour laisser monter ce qui assez souvent vient très vite. le silence doit être total. J’attends, parfois des jours (c’est plutôt rare, mais régulier; moment que je redoute). Souvent quand même, il s’agit d’un seul mot, d’une seule notion et viennent autour s’agréger une foule de mots qui bientôt jouent le trop plein; ça dérape. Il faut refuser ou noter ailleurs les autres aspects.
J’aime à égalité votre éloignement sur la pointe des pieds; le bébé doit continuer de vivre sa vie. Respirer lentement, avec un cœur en cascade qui bat vite. ma main presse sans écraser, juste ce qu’il faut. faire vivre en un tiède qui ressemble à la température du corps, sans étouffer. Les abstractions sont à éviter autant que faire se peut. Les abstractions et autres généralités sont mes ennemis; les contournant elles m’aident; m’obligeant à les éviter, elles m’offrent souvent de beaux aboutissements très réels même si réel ici ne veut pas dire réel comme cette table, mais je suis sûr que vous comprenez ce que j’entends par réel.
Avec une certaine Schadenfreude, je fais confiance au prosaïsme du temps pour m’emmener au pays d’ailleurs, dans l’éther(mot antique et hölderlinien) là où l’esprit nage en harmonie sous la lourdeur, au bord de l’inconscient…. mais surtout pas dedans, non, sur les rives du rêve là où ça s’organise; il y faut une certaine dose d’ »animalité », mais là je ne sais pas ce que cela veut dire. Sans doute sans langage, au bord des lèvres, là où ça balbutie. Les rives du rêve, allitération facile, et pourtant réelle. Non pas réelle, enfin si pour moi cela a une certaine dose de réalité, le bord des lèvres, balbutiement source. La musique guide là devant, elle a sa logique selon la cellule rythmique choisie et le sujet élu.
Sans vos interventions je ne suis pas sûr que j’aurais mis à jour cela, n’en étant pas tout à fait conscient. Ce n’est pas goût du secret, non non, c’est refus d’encombrement des mots par d’autres mots. « Grise est toute théorie » dit Goethe… « et vert l’arbre de la vie ».

4 réflexions sur « Lecture et écriture de “départ” »

  1. Surprise ce matin de me trouver face à notre dialogue. Sommes en plein mystère : pourquoi écrire ? pourquoi lire ? Pourquoi écrire sur ce que l’on a lu ?
    C’est comme de creuser un trou à la recherche de l’eau puis, l’ayant trouvée, de bâtir un puits pour partager. Écrire (ou lire) serait alors approcher, enfin, croire approcher, car se faisant tout s’éloigne à nouveau, comme s’il ne restait que le désir d’approcher. Pas tout à fait cependant car quelque chose a frémi au fond de nous qu’il ne faut pas oublier alors il faut creuser à nouveau.
    Ce qui fait que je reste près du puits que vous bâtissez autour de ce creusement dans le langage c’est que la terre que vous avez choisie est au milieu des choses simples et douces : arbres, eau, volées d’oiseaux, herbes, blés, nuages, barque, ruisseau, jardin, âtre et braises… mais l’eau que vous puisez est noire de mémoires oubliées, d’un passé qui ne passe pas… comme les plaintes rauques de ces soldats, “fantômes”, “les mâchoires encore encombrées de glaise et de craie”… Herbe en deuil. Eau noire où scintillent des étoiles. Vous écrivez alors des textes douloureux, dénonçant massacres et silences, et revenez de vos traversées, fragile, lié à ce que vous venez d’écrire. Un sursis de tristesse… Parole écrite contre la mort.
    “D’un côté la clarté ; de l’autre, l’obscurité. Mais comment les distinguer lorsqu’elles sont, à ce point, mêlées ?”, écrivait Jabès.
    Deux langues s’entremêlent, se côtoient en contrepoint mais il y a plus d’interrogations que de réponses.
    Et parfois…
    Vous attendez, vous êtes prêts à écrire et voilà que les mots vous échappent. Reste le blanc de la page, en suspens, ce blanc qui parfois étend ses plages entre vos mots. Tout redevient absence… brume indécise… Vous creusez à nouveau dans ce qui est déjà écrit parce que les mots n’ont pas tout dit. Et s’en revient la rumeur des mots-lucioles…
    Merci d’offrir à vos lecteurs (commentaires) le Journal de celui qui écrit qui tente d’écrire, qui parfois n’est qu’attente, faisant silence pendant de longues heures, laissant dormir un peu la vie pour que les mots reviennent comme un apaisement.
    Vous n’êtes jamais seul, passager de notre passage, nous voyageons avec vous. Et l’enseveli renaît.

  2. Cette pensée est vraiment essentielle : “J’attends, parfois des jours (…). Souvent quand même, il s’agit d’un seul mot, d’une seule notion et viennent autour s’agréger une foule de mots…”
    Vous décrivez bien l’événement : la naissance du mot, une matière formée dans un espace chargé de langue, une sorte de concrétion mentale l’alourdissement d’une pensée encore en suspension faite de visuel et de verbe, une condensation qui prendra sa légèreté une fois écrite puis posée à sa juste place dans un vers, une phrase.
    Je comprends votre désir violent de sentir ce surgissement.
    Et pour vous, en plus, une résistance contre la ligne, une insoumission à l’oralité de la langue, un rythme différent de la parole à grands acoups de vide, de report à la ligne, d’absence de ponctuation. Une montée obscure de l’écriture. Un refus de faire halte.
    Dans ce monde où tout conduit à la banalisation, à l’emprise de l’espace médiatique par les médias, la poésie demande un effort d’attention, un acte vers la culture. Lire, c’est alors approcher cette médiation insaisissable. Glisser depuis le mot, le vers, le poème dans la pensée du poète, vers cette liberté-passerelle… Voyage ressemblant au silence.

  3. … une pensée encore en suspension faite de visuel et de verbe… mais aussi de rythme, de sons, de musique. Ici, quelle houle !
    “la foule des vagues enfle le flot”

    1. Oui, je ne raffole pas des allitérations, mais celle-ci m’est venue, alors pourquoi la refuser, d’autant que rythme et musique s’entendent bien? Finalement c’est le “v” de vagues qui est le lien. J’ai ‘craqué’ en l’entendant dans la voix de mon crâne comme caisse de résonnance. Et puis surtout le sens comme vous dites, c’est une pensée… Montaigne m’y encourage. Il sait tellement bien faire ce que vous dites: pensée + visuel + rythme + son+ musique…. Un penseur ce n’est pas les pensées, mais la manière qui compte. Les pensées, tout le monde en a, de la mélodie c’est autre chose !

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