le merle

régularité du merle

inépuisable ponctuation 

notes très aiguës tout le jour

large vol du corps de nuit

les ailes froissent le gazon

puis un trille de deux notes éloignées

– véloce solitaire – 

vrille longuement l’air stupéfait

c’est la nuit

je me demande 

si ce n’est pas lui qui commande sa tombée

et si pour le remercier

l’allumeuse de polaire et suivantes

ne lui a pas confié sa noirceur ambiguë

c’est qu’entre terre et ciel

les oiseaux suscitent les avions et les rêves

et les navires eux-mêmes doivent beaucoup aux mouettes

qui les appellent

le merle

c’est clair 

a pour tâche de nous rappeler

l’obscure destinée du jour

et celle plus sombre de nos jours

reste qu’ayant trempé son bec dans le soleil

chaque vol

a sa petite lumière

10 réflexions sur « le merle »

  1. Quel magnifique poème,
    Raymond .
    Joie de vous lire à nouveau.
    Ce merle porte en son être noirceur et lumière. Il est donc presque humain…

    1. Entre votre notation sur le merle et aujourd’hui – milieu juin – je suis allé à Londres voir mon fils. J’ai le souvenir des éclats de rire depuis l’autobus rouge qui n’étaient peut-être que des voix, vifs comme l’oiseau, féminins comme il n’est pas possible; les notes dépassaient les sopranes de la flûte enchantée. Pendant ce temps la lumière passait et disparaissait rude dans et hors mon champ de vision: on aurait pu prendre ces petits coups frappés contre la rétine pour un champ tout court, tant il y a de verdure dans la cité interminable et finalement splendide, à cause de la joie qu’ils ont tous, ces populations du monde, à venir faire leur vie dans ce recoin du globe (un globe carré!).

  2. Mais, Raymond, quand toute la lumière a basculé dans l’ombre et que toute l’ombre a basculé dans la lumière, est-ce que le poète écoutant le merle se rappelle sa conscience du monde ? Entre chaque chant du merle le temps a passé… Vivre au milieu de lois opposées et complémentaires…

  3. Un merle pour vous souvenir de tous les objets de solitude L’homme est muet, c’est le merle qui parle. Son chant est-il suffisant pour repousser la mort ? Tous les souvenirs sont des songes.

    1. Vous avez vu le memento mori que nous envoie cet oiseau. Le rameau d’or qu’il tient au bec nous protège. La trivialité du merle cache un mysticisme de belle facture!

  4. Jean Maurel écrit à propos de Vladimir Jankélévitch : “Le philosophe, ce fugitif passant qui se veut aussi passeur, messager comme Hermès, dans l’impossible suspension de son pas réfléchi, n’a-t-il pas ce désir démesuré de mesurer l’écart du ciel et de la terre grâce à l’ouverture du compas de son pas ?”

    1. Oui, vous avez raison la phrase de Jean Maurel a des affinités avec mes préoccupations… tout est émouvant dans cette courte phrase musicale.

  5. Soleil et nuit, ainsi voyez-vous votre merle. J’ai retrouvé un texte de Paul Claudel dans mon folio essais “L’œil écoute” regroupant ses textes sur l’art.
    Dans celui-ci, “Le chemin dans l’art”, je trouve, évoquée, page 133, une des énigmes de votre écriture poétique :
    “L’esprit dans une espèce de métaphore instantanée envisage deux idées à la fois, mais il faut toutes les ressources de la patience et de la syntaxe pour établir de l’une à l’autre, suivant toutes les étapes avec art de la ponctuation, un ruban praticable d’écriture.”
    Pour vous, en vers libres sans ponctuation, l’exercice est de haute voltige.
    Et le dernier salto arrière révèle la lumière cachée dans cette nuit de l’oiseau :
    “reste qu’ayant trempé son bec dans le soleil
    chaque vol
    a sa petite lumière”
    Souvent vos poèmes se tordent, mûs par une opposition entre ombre et lumière, joie et amertume, vie et mort.

    1. Très flatteuse description par Claudel interposé. L’œil écoute est un titre que je lui envie. Et vous avez raison sur le fond de la forme (excusez cette formule): oui, je commence par l’ombre, puis vers le milieu ou vers la fin ce qui menaçait de tourner au bavardage enclos de soi, bascule vers un positif clairement avoué pour une raison simple: je ne peux pas concevoir un texte qui finit mal (j’aurais été un lamentable auteur de polars noirs), puisque le texte se termine et qu’il est à chaque fois une victoire sur le blanc. (Je n’en reviens toujours pas d’être en vie; non pas ‘encore’ en vie, non, “en vie” tout court, je veux dire palpitant et ouvert).
      Vous dites “se tordent” c’est exactement cela.

  6. Heureuse de cette rencontre solaire entre père et fils.
    Ici, dans mon paysage de toits de zinc, de cheminées et d’antennes, d’arbres aussi, j’assiste, émerveillée, aux voltiges des oiseaux. Un merle vif, en fin d’après-midi, m’enchante de son chant. Tourterelles et pigeons roucoulent et se font la cour. Les corneilles vindicatives essaient d’effrayer les autres oiseaux avec leurs cris rauques. Je les observe d’un œil amusé. Des pies, parfois, rares se poursuivent.
    A cet étage, la ville est au loin, murmure, travaille, pétarade, klaxonne.
    Je fais le vide. les bruits de chantier ne me dérangent pas. Le travail se respecte, surtout avec cette chaleur.
    Mes livres sont un palais de glace. Les mots soufflent un air bleu, rafraichissant.
    Le ventilateur invente un vent très doux.
    J’ai écrit une longue lettre avec une plume (pas d’oiseau) à une amie religieuse et poète. Sa vie m’étonne. Je l’ai écoutée, autrefois. Elle chante merveilleusement avec les autres sœurs, des chants limpides, accompagnés à la cithare. Des oiseaux en quelque sorte…

Les commentaires sont fermés.