Dialogue sur le merle

Christiane:
Un merle pour vous souvenir de tous les objets de solitude. L’homme est muet, c’est le merle qui parle. Son chant est-il suffisant pour repousser la mort ? Tous les souvenirs sont des songes.
L’auteur:
Au moment du merle, aube ou fin du jour, la vieille machine à vivre se regarde et fait un constat. L’affaire d’exister, cette vieille chose, mord désormais dans le temps suspendu sur la fragilité des instants les rendant plus fragiles encore. Je ne sais si la musique aide à vivre – je le crois – mais l’appel du merle souligne avec finesse que notre présence est au bord de l’évanouissement; fragiles enfants du monde, nous allons yeux fermés dans le temps gris déjà révolu, c’est un cri, c’est une ligne obscure follement déroulée à grande vitesse, qui donne à nos rêves si peu fixés une horizontale sur laquelle s’appuyer. Peu de choses chantent notre solitude totale, l’appel du merle est de celles-là, avec peut-être, je ne l’oublierai jamais, la sonnerie aux morts le onze novembre, quand nous frissonnons sous la pluie. Le merle est alors sublimé par le clairon hésitant. On se dit alors que l’on a eu raison de choisir le noir non pour représenter mais pour présenter le deuil.

Nos enfances étaient proches du vert d’avril, nos antiques années sont barbouillées d’une lente et rapide démesure d’être, presque rien et tout ça quand même. On étouffe et il rôde un manque. Le cri noir du merle signale dès l’aube le départ du temps et le soir il engloutit les moments dans l’indistinction du flot, ce grand tourment.

7 réflexions sur « Dialogue sur le merle »

  1. Flux et reflux qui portent vos poèmes.
    Relisant “la naissance du jour” de Colette, je trouve page 53 quelques lignes qui me parlent d’elle mais aussi de vous :
    “Elle entasse, elle recense jusqu’aux coups, jusqu’aux cicatrices – une cicatrice, c’est une marque qu’elle n’avait pas en naissant, une acquisition. (…) Le temps, et leur nombre, font qu’elle est obligée, dans la mesure où son trésor s’accroît, de se reculer un peu de lui, comme un peintre de son œuvre. Elle recule, et revient, et recule, attire au jour un souvenir noyé d’ombre. Elle devient équitable… Imagine-t-on, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle.”

    1. Colette m’épate. Elle a cette fine crudité, définitivement mystérieuse par trop de clarté que l’on a peut-être à flots continus chez Mozart. Passant par la nature elle la traverse pour se retrouver du bon côté de sa prose. On la dirait née à la vérité. Sans effort elle avance défaite de toute littérature. Elle n’écrit pas, elle danse; c’est d’ailleurs ce qui est décrit ici avec minutie, l’air de ne pas y toucher. Je pense à la danseuse qu’elle fut; poésie dénudée.

  2. Je relisais Rainer Maria Rilke ce matin (Points Seuil – bilingue). Les élégies de Duino et Les sonnets à Orphée. (Traduits de l’allemand par Lorand Gaspar et Armel Guerne.)
    Le vingt-sixième sonnet est fait de la même tristesse que la vôtre (et vous avez la chance de la lire en allemand).

    “Le cri de l’oiseau, comme il nous saisit…
    Un cri, n’importe quel, une fois fait.
    Mais les enfants qui s’amusent dehors
    poussent des cris déjà loin du vrai cri.

    Crier le hasard. Dans les interstices
    de cet espace-ci du monde (où le cri préservé
    de l’oiseau passe ainsi que les hommes en rêve)
    ils enfoncent les coins de leurs piailleries.

    Hélas ! où sommes-nous ? Toujours encore plus libres,
    tels des cerfs-volants arrachés de leur fil,
    nous nous ruons à mi-hauteur, frangés de boue,

    déchirés par le vent – Ordonne les crieurs,
    toi, dieu du Chant ! Qu’ils se réveillent en bruissant
    tel le courant porteur de la tête et la lyre.”

    (Je pense que vous avez le texte en allemand)

    Vous voilà bien cerf-volant déchiré par le vent…

  3. Un livre pour vous, cher Raymond. Lisez-le. Il vous fera du bien. Il est écrit tout en vers libres.

    “La 48e édition du Livre Inter couronne le roman “Mahmoud ou la montée des eaux”, publié aux éditions Verdier. Dans cet ouvrage, l’écrivain pose son récit au bord du lac El-Assad, un lac artificiel formé par la construction d’un barrage dans les années 60. De là, son héros, un vieux poète syrien, raconte l’histoire de son pays, et la dictature, les tortures du régimes de Bachar el-Assad, avec une plume empreinte de nostalgie.”

    Je suis en train de le lire. Douceur et lumière…

  4. Une autre fin, la fin du Voyage au bout de la nuit de LF. Céline :
    “De loin le remorqueur a sifflé ; son appel à passé le pont, encore une arche, une autre écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu’il emmenait, la Seine aussi, tout, qu’on en parle plus.”

    1. Les poèmes laissés ici sont des vœux; les aveux guettent à la porte. Je crois que c’est pour ça que je m’en tiens au vers; ils ne disent pas tout; chaque fin de vers est un aveu qui en reste au vœu. C’est pieux, de cette ancienne piété qui mordait sur l’avenir, le bourrant de vitamines alimentées par la foi du charbonnier. Je me souviens que l’anxiété en était allégée d’autant.
      L’aveu est le suivant:
      A ma première lecture du voyage(j’avais vingt ans), à cet endroit que vous citez, j’ai beaucoup pleuré.

      1. Vous écrivez : “A ma première lecture du voyage(j’avais vingt ans), à cet endroit que vous citez, j’ai beaucoup pleuré. ”
        Je comprends cela…

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