Poèmes : l’ange, l’artisan et moi

L’ange est le survivant des métaphores passées de la littérature, elles sont ramassées dans cette figure omniprésente au coeur de notre culture. Il fallait un mythe fragile et flou pour dialoguer seul avec soi.
C’est un ange gardien du genre Wim Wenders/ Peter Handke (Les Ailes du désir: der Himmel über Berlin). Ils rêvent de redevenir humains. Ils collent à l’humain alors qu’ils sont parfaits et rêvent évidemment de notre imperfection. Je devrais en parler au singulier, car c’est presque toujours l’ange. Ce personnage contradictoire porte les espérances du beau: le plaisir, le merveilleux, l’étonnant tout ce qui rend la vie vivable; c’est une protection contre les faiblesses de notre nature. Il parle et sourit constamment. Son langage est parfois ironique, je n’ai pas assez souvent utilisé cette particularité. Cette direction ne demande qu’à être suivie.

L’ange délivre la joie; c’est le sourire. L’appétit de vivre. L’envie de vivre. La libido, l’énergie. Mais dans le même temps l’ange est fugitif, fragile. Car la force est sujette à des revirements, affaiblissements, pertes de contrôle. L’ange s’inscrit également dans le projet général d’un PASSAGE. Il va et il vient; il est malicieux et inattendu; il se cache et ne cesse d’apparaître et disparaître, il est notre temps, le temps que nous vivons, mais également considéré du point de vue de la technique, il est évanescent, fictif, hésitant, même s’il est porteur de l’énergie vitale. J’aime beaucoup le mentionner avec ses ailes, car ce sont des organes démodés, terriblement datés même, et je veux que l’on entende concrètement ses battements d’ailes; ironie bien sûr.

L’ange est blanc comme une toile, il est silencieux souvent, attentif au moindres modulations de celui qui écrit et dont je ne peux dire qu’il s’agit complètement de moi. L’artisan- on pourrait dire: l’Autre – est lui aussi une figure; bien sûr je lui prête mes peurs et mes joies (comment faire autrement ?) mais il n’en demeure pas moins en dehors de moi. Même quand l’ange n’apparaît pas, l’artisan parle d’un point de vue légèrement décalé par rapport à moi-même. Celui qui dit “je”, ou qui s’adresse à un autre fictif en lui disant “tu sais”, ce sont là des figures qui me permettent de composer ces oeuvrettes en tenant à distance les propos tenus. Car je suis à l’intérieur de l’écriture elle-même. Je ne peux pas à la fois me montrer totalement comme dans une autobiographie (cela existe-t-il vraiment? Je demande à voir!) et composer des vers qui se veulent mélodieux et rythmés (pour qualifier l’objectif que je me suis fixé, ce n’est pas tout à fait ça, mais c’est une approche; disons rapidement que la mélodie n’est pas classique forcément, et que le rythme est lié aux propos tenus).

L’artisan n’est pas un autre moi-même. MOI est par contre tout entier dans l’ange et l’artisan additionnés. Ce sont les deux qui écrivent à la fois. Cette conjonction est une tierce personne qui existe réellement, moi-même. S’il fallait établir une hiérarchie, puisque le mot ange m’y conduit (!), je dirais que MOI est évidemment premier, puis viennent l’artisan et enfin l’ange qui est le plus loin de moi, ce qui ne veut pas dire que parfois l’ange ne suggère pas des choses à l’artisan pour qu’il aille au bout de son travail (inspiration? On peut en sourire). L’artisan de son côté est une mise en vers du MOI au travail; je le nomme l’artisan car les textes sont des mises en scène de l’écriture elle-même… oh, pas tous évidemment, il y en a qui échappent à ce côté écriture dans l’écriture (au fait, sont-ce les meilleurs? Je n’en sais rien), mais la plupart du temps le début suggère un commencement d’écriture et la fin une interruption conclusive.

Ces considérations sont personnelles. Peut-être y’a-t-il cependant un certain intérêt à les lire. Je soulève la question mais je ne tiens pas à m’y attarder plus avant.

Me tiennent en haleine pour continuer d’écrire sur le même ton, la fragilité extrême du projet. C’est elle qui est la pierre angulaire de ces textes. J’admets qu’il est étrange de prendre pour socle un concept qui désigne l’absence de forces, le friable, le léger, l’évanescent. C’est pourtant cette idée simple, empruntée à la fois à ma psyché et à mon époque, qui dirige l’ensemble. On pourra penser que c’est une tricherie; un mensonge que je me fais à moi-même, puisqu’on estime communément que pour écrire il faut être fort. Il n’en est rien. Je songe constamment qu’il faut s’absenter de soi pour écrire. Je pense toujours: veille à n’être rien et les mots viendront à toi. C’est ainsi que souvent je m’installe avec trois ou quatre mots, puis les sons et les rythmes s’imposent à moi en un dialogue constant où je dirige de loin ce que l’artisan inscrit. Ce n’est pas difficile, il y faut seulement le silence et l’ouverture maximum. L’ange, dans ce cadre fragile, vient faire des siennes pour apporter la joie et le sourire, car les poèmes penchent trop souvent par tradition vers la plainte et je contre ce mouvement fatal par la présence d’un personnage à la hauteur de notre joie de vivre.

Je renvoie pour un élargissement de cette thématique à deux autres articles déjà parus dans la catégorie: “poétique”.
“Dans l’atelier de l’artisan” du 25 juillet 2009 et
“Qui est l’ange?” du 31 juillet 2009.

2 réflexions sur « Poèmes : l’ange, l’artisan et moi »

  1. Les anges sont très énigmatiques… Ils inspirent nos actions. Ils inspirent chez vous même votre inspiration.
    Félicitations pour ce très beau texte !

  2. Merci beaucoup d’insister sur l’énigme. Oui, sans l’ange, rien ne viendrait… donc vous pouvez à bon droit penser qu’il est l’autre nom de l’inspiration.
    Je vous remercie de votre louangeuse appréciation !

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