L’air entendu (2/5)

     Il n’est pas de moment plus riche que ces écoutes retranscrites, leur ton assuré vient de là, de ce souffle tiède où je parle et où, ordonnée et mauve – je l’ai déjà mentionné, mauve est la nuance des nuées accrochées à la plaine crayeuse, ou plutôt leur reflet sur le blanc ondulé des champs arrosés par l’ouest débordant d’intentions ténébreuses et hautement utiles – et où, ordonnée et mauve donc, l’existence se leste de lois lentement instaurées qui font ces heures gâchées où l’on traîne à la bouche une lavasse, temps d’angoisse de mort, alors que ce chant justement si je veux le décrire – et rien n’est plus pressant – a tout de la nuit chaude, inventive, dans laquelle je poursuis avec d’autres – est-ce si sûr ? – les figures en chair que je devine sans peine, tous ces gens qui m’ont donné me donnent me donneront à découvrir ( dans la bouillie d’années qui nous est accordée) leurs grandes présences totales, et je les écouterai mieux que la nuit cousant les étoiles en frottant leurs éclats, leur parole sera piété, je le sais, je l’ai expérimenté mille fois déjà, et j’espère que le chant ne cessera jamais car alors comment saurai-je qui je suis (non c’est trop demander, non, pas l’être, passer seulement, car alors avec l’être je ne pourrais plus aligner les mots) le chant, le chant, et si je perds ma voix je songerai incontinent : à quoi bon, et replongerai dans le gâchis décrit plus haut, ce temps de rien, hachis d’heures, maladresse de vivre dans l’étroite prose des bonjours que l’on lance dans l’air givré des matins mal ficelés. J’ai la terreur de l’inutile.