l’Ailette

plus personne n’a peur de mourir

en traversant l’Ailette

cette cicatrice

cette meurtrissure d’il y a cent ans 

elle avait continué à fendre le vallon 

cascadant là

et la voici depuis peu arrêtée des rocs

c’est un apaisement sans fin 

où il fait bon voguer

lac de plaisance étrave blanche

sourire élégant qui dure tout l’été 

miroir de nos vies

des forêts solides en protègent les rives

aux paupières massives 

y palpitent grèbes et foulques

croisant les canards enroués

qui vont en ligne droite

vol lourd de scarabées empruntés

qui font peur puis font rire

et qu’on garde en mémoire

à cause de l’émeraude au col

et du carré bleu perdu dans le brun des plumes nettes

espérance cachée

espérance têtue

c’est le calme allé avec la vie qui cancane

une rareté

mouvant immobile du grave lac

où l’on comprend soudain

que la guerre fut là 

le feu

le feu qui couve encore un peu sous les quelques vaguelettes

et la lumière étale des aubes d’avril 

miroitement infini du jeu des eaux