La montagne couronnée (1)

Certaines nuits où je m’absente dans le puits qui croule sous le poids du corps, matelas de novembre où la mer même est oubliée, monte de la terre à l’extrême pied de la colline un chant ininterrompu de gouttes vaporeuses : elles se tiennent là serrées, glacées et légères pourtant, mol élément qui désempierre les murs et lentement désagrège à l’horizontale en un ruban impénétrable les arêtes des toits, contours de nos présences ; la ville n’est plus. Je me tourne contre le rêve, mes os reviennent au jour de ma conscience, le drap aux mille plis accroche ma peau un moment oubliée et le sommeil bleu qui m’arrimait à l’océan des endormis, de tous les vivants, ne consent plus à embrumer mon crâne qui basculait tout à l’heure avec tant de complaisance dans l’illusion de la non vie ; mon cœur rebat, la nuit déchirée mène contre moi une sarabande promise pour longtemps et me voilà errant dans le corridor, tâtonnant les murs derrière lesquels les enfants remâchent des songes de terreur et de justice. J’écoute leurs souffles, soupèse un instant les dangers qu’ils affronteront, va le destin, va, et je murmure par devers moi que tout est bien ; pour voir le monde, avec des prudences de voleur, j’ouvre la croisée, écarte les persiennes, grincement minime : l’astre froid enroule sa face contre les nuages qu’elle blêmit de son halo ferraillant, acier pris dans le diapason d’une brise d’automne.

Un air d’autrefois se plaque contre ma poitrine, c’est la mort en tenue soufflée et je rabats le pan de ma robe de chambre, comme si la nuit se ruait tout entière pour m’emporter, menu, au-delà des muets icebergs qui guettent derrière les nappes ; j’aspire imprudemment sous mon négligé de dormeur éveillé, puis, somnambule insoucieux des horizons je m’en vais sur la bouche des vents, sur les traces du froid que les nuées maintiennent au sol; mon esprit patauge au gel qui s’épanouit contre les jardins mimant l’hiver déjà ; un duvet d’élégance vient meurtrir les restes du juin subtil où tout a cru.

C’est alors que dans l’intervalle, entre lune et brouillards, calme, précise, une ligne crisse sur l’obscur imparfaitement constellé : ma nuit, la nuit consent à laisser passer le chef tout humain de la cathédrale, appel de trompes bouchées, tours oui tours, quatre fois détachées, mes amies, mes mains jamais jointes, dentelles infroissées depuis mille ans bientôt, faveurs dénouées sur le bleu nuit des horizons désolés. Nous mourrons dit le vent, nous ne mourons pas tout à fait rétorquent les tours. Vues de ma fenêtre entrebâillée, les découpes de pierre – à peine un filament, juste un contour d’encre sous la lune – ont la grâce hésitante des pattes de tourterelles qui se croisent lorsqu’elles s’embrassent sur le fil, du bout du bec.

Je sens que les lames de l’océan me percent les poumons, le froid ne connaît pas la grâce et se moque de mes mines, je suis contraint d’interrompre, les volets se referment, rideau mat aux tympans, la poignée grince sous ma paume et la tête sur l’oreiller je retrace les contours de notre présence ; j’esquisse des détours musicaux, doigtés de rêve qui retrouvent le geste des bâtisseurs, je me souviens de la cinquième tour, au beau milieu, repliée en guetteur, comme le pouce. Je me rendors en murmurant : la cathédrale c’est ma main.

2 réflexions sur « La montagne couronnée (1) »

  1. Si j’osais…

    pas de tag sur la cathédrale
    pas de tram sur la montagne non plus
    peut-être un jeu de paume pour couronner le tout ?
    mais non
    après main
    hésitation
    hue donc
    simplement
    Tagtraum

  2. Merci pour l’illustration par la fleur de la passion !
    Le Tagtraum (aidons le lecteur: “rêve éveillé”!!!!) est amené de loin…bien joué !
    J’aime aussi beaucoup le “jeu de paume” qui amène “main”… le “couronner” etc…
    Tout se tient ! Bravo ! Subtil !

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