La faille des pères

Pour Lenep

Une mère, on voit bien ce que c’est : l’enfant sort de son corps, mais un père, c’est où ? C’est la fameuse problématique du « père incertain »dont les Pères de l’Eglise (encore des pères!) nous rebattaient les oreilles (à juste titre). Car qui sait si le père est le père de l’enfant qui vient de naître ? Comment le prouve-t-on? L’ADN a certes mis un point final à cette aventure ahurissante et on peut ainsi parler désormais d’un changement de civilisation… mais avant ?
Eh bien avant, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps (donc aujourd’hui encore, tant les mœurs évoluent lentement), le père disait qu’il était le père en donnant son nom à l’enfant. C’était écrit, comme ça, pas de discussion ! L’autorité est ici trahison de la faiblesse des hommes qui ne sont pas sûrs d’être pères ; il songent : « Je l’écris donc ça va durer (scripta manent : les écrits restent) ».
Et cette histoire remonte à la nuit des temps.
Il semble que les premiers textes écrits soient des généalogies, celles que l’on retrouve à profusion dans la Bible. Elles prouvent par les ancêtres que le père est bien le père : cette preuve nécessaire est de surcroît à l’origine de l’écriture.  Certains spécialistes des sciences humaines ont repéré que la faille (on a beau écrire, cela n’est pas encore une preuve suffisante) a dû être comblée non seulement par l’écriture, mais par la loi. Ou plutôt l’invention de la loi est liée étroitement au « père incertain ». Si moi, père, je prouve en écrivant que je suis le père, il faut que j’appuie mon discours sur la loi, puisque je ne suis sûr de rien. Ainsi naît ce que l’on appelle « la loi du père », loi écrite que nul ne peut contester. Pour la mère, inutile d’avoir des lois, puisque la preuve est faite à la naissance ; la preuve est biologique, que réclame le peuple ?
C’est ainsi tout le système législatif qui s’appuie sur cette seule nécessité : prouver que je suis le père. Et l’écriture avec ! Décidément voilà une faille qui ne manque pas de richesses ! Elle est tout simplement à l’origine des civilisations.
Dans de rares religions, la mère apparaît, mais dans celles que nous pratiquons encore un peu de nos jours ici ou là, il n’est question que de Dieu le père. Les anciens Grecs ou Romains avaient des déesses (le paganisme est en ce sens une religion intéressante!), mais on a du mal à trouver un Zeus féminin ! Le chef, c’est encore un homme, un père, le père des Dieux.
On pourrait sauver la mère(!) en évoquant Marie : les cathédrales sont toutes « Notre-Dame »… mais on admettra que l’invention est récente. Marie ne fait même pas partie de la Sainte Trinité, ce que les gens du moyen-âge devaient trouver étrange, car la trinité ils la voyaient bien : le père, la mère, l’enfant… et que diable vient faire le Saint Esprit dans toute cette histoire ? C’est un concept difficile à concevoir et il est certain que les gens, comme les enfants, ont toujours entendu la trinité comme la suite naturelle de la famille. La tardive invention de Marie (XIIème siècle) est une nécessité pédagogique pour les gens du commun (c’est-à-dire presque tous) ; puisqu’ils ont une mère, il en faut une au ciel. On voit bien que c’est une concession faite par notre religion pour ne pas contredire l’évidence de la vie terrestre. L’invention est par ailleurs terriblement bancale : Marie est la sainte vierge qui a conçu l’enfant par l’oreille (!!), enfin une vaste blague à laquelle de nos jours on a du mal à croire.
Toutes ces fabrications nées de l’impossibilité de penser le père comme père, reviennent aujourd’hui comme un boomerang. Nous n’avons plus ou à peine de guerres (ici et maintenant) et l’homme meurt au bistrot ; le zinc est devenu son vrai champ de bataille… Autrefois on pouvait être un héros !(c’est-à-dire un dégonflé qui ne s’occupe pas des enfants). La classe !! Mais ceux de nos jours qui veulent élever leurs enfants autant que la mère, les voilà bien embarrassés, car ils se demandent où ils peuvent puiser dans le passé des modèles qui vaillent. La maternité je vois bien, c’est même le nom d’un lieu où les femmes accouchent, mais la « paternité », elle est où dans l’annuaire ? Qui nous l’enseigne ? La faille fait retour : être un bon père c’est s’occuper des enfants comme le fait la mère. Et voici l’homme embarqué dans une aventure impossible où il doit être à la fois la loi (le fondement du social) et celui qui change les couches. Les statistiques nous montrent d’ailleurs que les hommes renaudent, râlent, s’inventent des activités débordantes (congrès des philatélistes!) à l’égal de la guerre autrefois (devenue impossible à cause deux conflits mondiaux qui nous ont dégoûté de la chose guerrière), et c’est ainsi que l’homme demeure dans la faille : soit il est autoritaire et par conséquent ridicule, soit il est maternel et prévenant et le ridicule ne manque pas de l’effleurer également (Ah, le père et ses paquets de couches poussant un caddie le vendredi soir! Et c’est la Loi ça ?? Me faites pas rigoler !).

Le père demeure à inventer.

Qu’on me présente un père, un vrai, et c’est très volontiers que je lui « serrerai la main de vive voix » !!!

Père,  j’ai élevé trois enfants et je ne sais toujours pas ce que cela veut dire. Et me voilà grand-père ! Là, je confesse que c’est une aventure formidable ! (L’autre ne l’était cependant pas moins).

2 réflexions sur « La faille des pères »

  1. Enfin aujourd’hui on applaudit de plus en plus les pères à poussettes qui prennent du temps pour leurs enfants, même dans des sociétés encore bien patriarcales comme le Japon. Alors bon, je suis assez optimiste sur la question, même si les évolutions sont lentes.
    Il serait temps que l’on passe au congé “parental” et non juste “maternité”, comme il existe dans quelques pays!

  2. Je partage cet optimisme sur l’évolution des mœurs au fil des décennies à venir.

    Mais la problématique du couple, près-mère-enfant, évolue tellement! Il est difficile de deviner ce qu’il en sera de cette triade dans cinquante ans! Aura-t-on encore besoin du corps d’une mère et de l’inscription paternelle?

    Le problème est relancé.

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