Il faut lire LE CHEMIN 14-18 (II)

“Le Chemin” est un recueil paru en 2019. Les poèmes que j’ai composés sont traduits par un poète allemand (Helmut Schulze) et illustrés par une peintre proche de Laon(Elisabeth Detton).

Ce beau recueil a été édité ici:

EDITIONS LUMPEN
Jean-François Garcia
179 rue de l’abbé Georges Hénin
02860 Colligis-Crandelain
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6 Si un poète allemand est venu me rejoindre c’est qu’il sait bien que nous sommes des hommes, lui et moi, en d’autres temps soldats potentiels, nous eussions pu être ennemis, il sait que notre appartenance locale nationale est un pauvre vernis qui n’empêche ni la mémoire ni la vie de se déployer et que le vide des vieilles querelles peut être empli de nos chants qui résonnent de leurs étranges langues d’autant plus qu’ils sont d’aujourd’hui, ouverts, habités de l’inquiétante étrangeté qui est la vie même avec son coeur noisette et ses jours inspirés. Ce recueil dit donc le terrible événement mais tout autant le chant de secours qui nous vient quand on n’en peut plus de trop se souvenir.

7 Ce n’était pas des héros, ils avaient comme moi peur de mourir, mais eux ce fut fatal très vite sans qu’ils y songent et leurs amours qui s’en souvient, visages entrevus au village, cette frimousse qu’ils emportèrent sous la mitraille pour se donner du coeur. Je chante l’aujourd’hui pour nouer un lien avec eux, ils n’étaient pas de notre temps, libres à leur manière, ils s’enchantaient des saisons, même en ce lieu qui leur fit perdre la raison, et nous, en 2019, au Chemin, si nous chantons, c’est que la raison nous manque aussi en longeant les cimetières, en évaluant à travers leurs dates, l’épouvante de leur jeunesse noyée dans la vague noire qui les emporta. Ce trait d’union entre leurs deux dates, c’était quoi? Dites.

8 Il faut y aller doucement par simple respect, d’où ces vers, ces deux langues si longtemps ennemies et ces gouaches conciliatrices qui disent le gachis des espérances, passion fatale de ces enfants perdus qui crurent à leur mission. Ils avaient aux poumons le souffle des nations, l’autre nom de l’appartenance au groupe, ils donnèrent tout à ce qui aujourd’hui n’est plus qu’à peine un nom, Allemagne-France, quelque chose qu’on aime c’est vrai, aussi indispensable que la haie qui nous sépare du voisin. Les chants de ce recueil à deux voix s’entendent par-delà la frontière. Le Rhin devient ainsi un poème aux deux rives germaines.

9 Les gouaches s’essaient à réunir les deux langues; elles sont pour partie abstraites par respect, pour laisser respirer ces jeunes adultes à cent ans de distance et les poèmes dans les deux langues exigent la même chose: ce ton doux qui porte la paix n’a que faire des médailles, des éclats de vives couleurs, mourir à l’intérieur du corps c’est avoir partie déliée avec la vie, c’est brun et bleu, c’est allemand français, la terre et le ciel, c’est eux et nous, nos jeunes futurs grands-pères qui n’eurent pas le temps de le devenir, tant la faucheuse impitoyable déploya contre eux ses miasmes méphitiques, contre eux: les enfants de ce temps.

10 Il convenait d’être simple, attentif et doux sur Le Chemin, où la mitraille et les explosions s’entendent encore. Il suffit d’un nuage, d’un orage, pour percevoir la folie prenante de ces actes lourds. Songeant à notre présence, corps entier, sur le chemin debout, il nous prend l’envie d’ouvrir le livre à la page du poème bien aimé que l’on profère alors devant la vallée immense, là-bas, comme pour toucher un bout du monde, comme pour fabriquer un écho favorable, ressuscitant un moment les jeunes corps enfouis sous nos pas. Comme un je t’aime, comme un je vous comprends, comme un j’ai bien entendu vos plaintes; je vous les restitue, excusez-moi, je vous dérange peut-être, mais c’est le moins que je puisse faire pour être au plus proche de vous.