Au début de deux mille vingt

Au tout début de deux mille vingt, la terre poursuivait sa bonne femme de rotation et le soleil secouait ses premiers blés sur le crâne labouré des terres d’ici: on était bien. L’an était lancé dans sa saison, rien à dire. Je me souviens des premiers parfums, hors boue un peu, hors pluie parfois, vapeurs jolies aux tempes qui s’éveillent en faisant ce petit craquement de terre qui augurait l’éveil civil; janvier, février, tout fut calme. Je crus un moment que le silence allait revenir, celui qui précède la musique et sur lequel le poète installe ses violons miracles et son refus des battements qui fuient. On allait même vivre un printemps défait des oripeaux habituels, giboulées, noirs réveils d’automne. Les querelles songé-je allaient aller diminuant, la paix intérieure était prête, là, à deux pas, elle se dansait sur les vélos multipliés, sur un mars sans guerre, sur un petit avril aux oiseaux revenus. Le fil des jours certes constamment ténu, tissait sa toile et l’on espérait bien vivre un temps sinon toujours un peu boiteux, au moins gentiment claudiquant. Depuis janvier les nuits avaient l’élégance de s’effacer lentement, sans bruit, un peu lasses, il faut bien dire, de l’hiver barbotant. 

Je traversai étourdiment les premières semaines; les cœurs s’épanchaient, c’en était presque à passer les après-midis au lit à refaire, lisottant, écrivaillant, le monde et le solstice d’hiver tout à la fois. J’entends encore les griffes des merles contre la gouttière, comme un gage d’affairement fort utile avant la survenue de la saison aux œufs, aux petits, aux allers nourritures et aux retours précipités. Quelque chose rôdait pourtant. Le vent d’ouest m’avait prévenu, répétant que ce n’était pas si simple. J’avais tort de me fier à ses retours inlassables. Les tempêtes de mars sont pourtant claires, maugréait-il. J’étais négligent, pratiquant jusqu’à l’imbécillité un optimisme qui n’a rien de commun avec la vraie vie. Tu es debout vivant, prends garde, disait l’ouest en me voyant gambader sur les berges de la rivière proche. Le courant et les tourbillons sont des nids de traîtrises. Je songeais: le temps et ses dangers, je sais tout par coeur, ce n’est pas un printemps de plus qui va me bousculer tout cru, j’en ai vu d’autres. 

On n’est pas sérieux quand on a soixante treize ans.  Rien ne pouvait survenir. Et puis un jour d’avril, une méchante brume mondiale menaça de se glisser à l’intérieur de nos corps. Depuis, nous voilà bien empêtrés dans cette affaire qui largement nous dépasse.