l’an futur

il y aura forcément
du sourire et des gâteaux
les vignes croissant à deux pas
le champagne couvrira les voix
et l’on enterrera feuilles rêves et soupirs
dans un immense présent
gouffre intouchable pourtant
même au jour de bascule
on ne sentira pas le cliquetis
féroce de l’horloge électrique
et la main sur la bouche
j’observerai la nuit du fol hiver par la croisée
nuages graves lune grise
je ne suis pas pressé
ce novembre me va
je pense souvent penché sur l’âtre
à ce jour du bilan
fumée brune et bleue
tout me souffle l’éphémère des joies
c’est ainsi qu’auprès du feu
je songe combien est charmant notre petit novembre
esseulé crémeux sobre
je fais couler en gorge un peu d’eau piquante
et levant le liquide léger
à travers sa transparence
j’aperçois dans le ciel
un avion tout chargé de lointains visiteurs
qui faufile son col autour des nuages
je bois à leur santé
souhaitant bon voyage
à ceux qui volent
et à moi qui demeure

courage

j’entends craquer le jadis
mais j’ai beau peser de tout mon pas
la terre présente ne marque plus
ce qui marche est volatile
ce qui pense coule en buée
notre présent s’encapsule de passions
et mes mains tremblent d’être peu
savoir qui commande est bien vague
la parole vocifère pour soi
et pourtant et pourtant dit la voix
toujours des couples s’inventent
à l’instant leurs mots doux
des sourires aux avenues
émergent parfois de la foule
robes et manteaux volent
dessus les pas dansés
les parapluies se ferment
les lèvres s’ouvrent
des voix des voix des voix
j’entends sur le boulevard
des cris qui ne sonnent qu’une fois
c’est moi c’était moi
et l’urgence présente dit la voix
est au petit temps pathétique
alloué à nos vies
ce courage

histoire

c’est l’histoire
d’un qui rêva mille matins d’être grand
mais dont l’après-guerre avait sollicité
les tympans
empli de dissonances il se mit en musique
mais fut vite effarouché des vibrations
alors reclus il se mit à sourire par devant
pour pleurer dans sa manche
mélancolie des livres de lieder
c’était voyage d’hiver stupeur du printemps
les baisers l’enflammèrent
j’aurais pu me disait-il rêver plus grandiose
me jeter au monde
je préférai tu vois le coin du feu
la longue méditation des décennies
dans les automnes bien noirs
dans l’humide colle des sous-bois de chez nous
où les colères s’embourbent
au creux de halliers où les colombes
chantonnent et claquent leurs ailes à même les branches
ah ce chant de toujours joli modèle
avec berceuses regrets petits triomphes
arcs en ciel sur le seuil
chant d’un monde intime
où l’on hume la cire d’abeille
à l’intérieur des vestibules
tout à la joie d’avoir échappé
à la grandeur

ainsi conta-t-il son histoire debout
accoudé au piano droit

promenade

je me perds dans les chemins tendus
le pas me mène
la peine aussi
les feuilles sous le vent
laissent cascader ors et larmes
les lèvres me brûlent
la peur d’avancer m’alimente les rêves
dans la clairière seul
le chagrin pousse l’errance de son filtre mineur
et soudain l’allégresse surgit aux poumons
la marche se fait plus vaste
j’entends des rires là-bas
buissons de joie cachée
l’automne se fait berceau
nourrice qui chante ses échos jusqu’au fond des bois
clarine velours et mauve de pluie
le passé a mon pas
je reviens
sous la bruine amorcée
et contre ce souriant balai de l’ouest un peu vif
il me semble que je danse
dans la boue des ornières
admirant les bouleaux aux frissons
oriflammes glorieux qui saluent
le petit bonheur du grand retour
auprès de l’âtre dévorant

les eaux secrètes

pour Helmut Schulze

j’ai un vallon en tête
il berce un lac
où les voiles procèdent
en hésitant longuement
tiédeur de notre France
les cygnes s’élèvent
semblent marcher sur l’eau
retombent en silence
se croisent apaisés
mes yeux visent le ciel
et la terre là-bas
goutte dans l’eau
on dirait de l’ombre
qui roule et s’avance
ça menace
des voix de feu s’exaltent
le lac soudain agité
vaste peur de jadis
c’était l’Ailette aux morts
pluie de fer ça gémit
au pied du mont souvenir
enfants persécutés
je vous entends courir
sur le chemin
le lac porte vos pas
vers le ciel grand ouvert
cent ans c’est peu
et vous êtes si nombreux
à rêver sous les eaux
loin très loin de nous

fable d’amour

elle l’avait finalement repoussé
jusqu’au palier
elle jeta ses chaussons contre la valise
elle en avait assez des atermoiements d’automne
je t’aime je ne t’aime plus
il aurait voulu donner des gages
projet de mariage partage des frais
compte joint
et puis non il ne se voyait pas
entrelacer leurs doigts
tes lèvres miennes ah là là
les corps nus puis habillés ou tendus toujours
à l’écoute oui à l’écoute
il ne le sentait pas
il préférait la bière seul
au sourire face à la soupe
où l’on jette des croûtons pour ne plus se voir
le couple mou très peu pour moi disait-il
il lui prit l’envie de fuir
tout était boue en la sale saison
de l’ouest mugissant et des gouttières folles
il revint au village
prit pension sans marchander
un couple l’hébergea tout l’hiver
deux qui s’entendaient en secret
sans parler
il sifflait elle chantait
des histoires d’amour qui finissent bien

joie d’automne

une manière de rayon tiède
creuse sa trace contre les nuages groupés
le coeur un moment s’ouvre
à la joie d’octobre
ses menaces s’aménagent en lumière
la suite des jours dit bon débarras
je jette les fleurs sèches
puis avec elles rêveries et papiers
dépassés par le flot tout rétréci des jours
j’ouvre alors la candeur de l’âtre qui rougit
arrosant le tapis et mes mains
d’un trop plein de chaleur folle
joli soleil de bois
lumière orangée
qui insiste vers l’arrière
mord sur l’août noir
croque les noix de septembre
les étincelles débordent ainsi en éclats vifs et noirs de feu
sortes de secondes explosives du moment
pointes subtiles et brutales
dans la pièce où les bûches résonnent
je me perds en cet l’instant qui s’immobilise
dans l’éternité
novembre et ses aigreurs sombres peuvent bien passer
je songe combien l’enfance sera tendre
à l’orée de décembre

Jours noirs

Il est difficile à l’approche des jours noirs, de garder sous ses cils la petite joie qui chantonnait tranquille en avril, en juillet, sans qu’on y pense. On la portait aux jours de fête, elle était à tous, il suffisait de lever le regard. Les pupilles étaient autant d’étoiles au manteau du jour et les nuits sûres, nocturnes élégants, se berçaient toutes seules.
Et puis voilà l’avalanche du noir poisseux, les yeux en berne. La machine à songer se grippe à chaque pas. Que faire? Il va falloir arracher les jours un à un comme à l’éphémère,et, dans le silence du chemin qui se cherche, chanter, histoire de traverser ce lourd désert de flaques et d’ombres.

Octobre: la loi du corps

Quand octobre bascule sous le jaune perché des nuages, chaque aube mouillée me semble autant de crépuscules. Rien ne parle plus que le vent et le fouet des nappes entortillées dont quelques gouttes glissent parfois jusqu’à ma nuque. Ma main fièvre hésite à recueillir les fruits des rosiers nains. Mon dos lance sa rouille contre mes omoplates. La loi du corps dit qu’elle commande et que je ne suis plus libre de ressaisir ni la rose en survie ni le jour qui s’incline. Vers le soir j’ai de la peine à dire oui.

quand même

les octobres ont toujours de ces mauves
qui basculent là-bas sous la pluie
les obliques jaunes ironisent
insistantes il est tard
les horizons bafouillent
-l’immobilité d’août
avait inscrit les cimes contre le ciel –
et voici que contre les coups d’ouest têtus
mille brindilles se replient comme elles peuvent
comme si la rotation de la terre ne suffisait pas
ah j’ai dû lâcher ta main
j’ai beau chanter les vieux jours
et surtout les nuits graves d’été
un long sourire
va s’étaler dans ces glissades floues
on s’y perd on oublie
le souvenir des doigts serrés
et des mains de juillet
quand pures les étoiles se mêlaient à la rue
que tout était un
et non cet étalage mouillé
où s’entassent les tissus
imperméables capuches foulards
et phrases jetées contre la pluie pour consoler
pour dire que c’est beau
et que c’est bien quand même

placette

mes paupières s’alourdissent tranquilles
les trains de Paris resifflent
dans les nuées rampantes
qui s’accrochent aux prêles aux bruyères
nostalgie aux épaules
je glane les plumes des rapaces
et les dépose près de la lampe
où elles luisent longtemps
jusqu’à ce que la poussière de novembre
les enduise de la neige des jours
mais ce n’est pas demain
octobre m’ouvre encore les pupilles
il fait joie dans les roses froides
et je m’émerveille que ça tienne
comme mes joues ton amour et la vie
je note la raideur un peu des gazons
les ris amusés des soleils au rideau
et les parfums forts des terres délivrées des récoltes
on dirait un désert
or ce sont cent richesses
entassées dans les granges

sous mes pas encore verts
les feuilles tardent à tomber
je les attends debout sur la placette
plein vent

immobile

il semble
que le temps refuse de passer
c’est l’août immobile
impérieux
lorsque j’étais en Avignon juillet fluide
les cigales battaient la mesure de chaque seconde
en noir et blanc métalliques et sûres
or la nuit qui désormais frissonne d’étoiles filantes
se fait minérale
je redoute les halliers trop touffus
portant dans l’ombre un deuil
impénétrable
bien sûr la peau me va sous la brise
c’est ma voile de vie
qui bat sur les désirs
et pourtant ça bouge
la belle saison vacille
sur le piedestal des mois
elle parade à l’excès s’amusant
des rires perdus en route
je vois bien à l’empressement des hirondelles
qui s’alignent
que la machine ronde roule sa bosse
en sous-main
vieille terre chaude de rayons qui s’inclinent
l’orbe tourne
contre le sourire qui me pousse
grossière illusion
à me croire encore dans l’éternel printemps

silence

amis
il faut recreuser le silence
taisons-nous
si nous cessons de parler
quelque chose va advenir
comme un printemps
un visage étonné de se voir
une poignée de cinq doigts chauds
peut-être entendra-t-on la loi du passage
le tragique de nos avancées
alliées à une tendresse totale
sorte d’épousailles qui ne cessent plus
fusion d’aérolithes éclatés
qui découvrent une nouvelle manière de graviter
sourire à chaque pas
les lèvres au lieu de parler donneront et redonneront
dans un silence stupéfiant
monumental moment qui durera
pour s’éjouir de la joie engendrée
alors le renouveau sur la pointe des pieds
osera être ce que nos rêves sont
une illusion concrète qui se répand dans le monde
les arbres bruiront limpides
à pas menus les animaux
chuchoteront ce qu’ils disent depuis toujours
que le présent vaut son passage
que la vie est la vie sans besoin de langage
donnant raison à la mer
dans son ressassement fabuleux
qui invite au silence

le saule

longs cheveux
(vanité du vent qui vient de loin
pour les peigner longtemps)
c’est une cascade figée
que la brise fatigue de son flot
j’embarque dans les brindilles
ombre et verdure comprises
ça siffle l’été gris du souvenir
balancées en rythme les plaintes s’oublient
ça chuchote dans les nids
mon pouls prend des allures de ruisseau
l’aventure des vingt-quatre heures cavale
je suis seul
pas le temps d’essuyer mon front
les papillons miment les secondes
les lunes les mois
et mon amour se plaint de n’être pas chéri
et les voitures au boulevard défient les feux
sous les feuilles la musique des sphères
le saule universel
a de ces flous mélancoliques
la saison déchantera
en attendant juillet prend de la gîte
et l’arbre du vent

un pont d’Avignon

le pont déchiré
s’ouvre sur le Rhône
(verte présence croulant en gravité)
je me dis que ce travers cet espace est ma vie
l’autre rive m’est menace de tout son bleu
je suis debout face à l’ineluctable
je ne fais pas le bravache
le pont me rapproche mais il me retient me garde
je pourrais presque toucher de l’autre côté la bête pathétique
tandis que le fleuve va
je constate que son eau émeraude n’est rien d’autre que le ciel
refleté
il y scintille des micas gris merveille
autant d’oliviers balayés du courant
autant de feuilles qui se froissent en murmures
je suis en vie
il est bon d’être à deux pas de l’abîme
sur le pont d’enfance
à danser à chanter à vibrer
avec derrière soi les belles dames
les beaux messieurs
et ma présence qui fait comme ça
et ma présence qui mesure mes pas
ces jours ces mois ces années
ai-je vraiment vécu
sans saluer comme il aurait fallu
tous ceux qui furent mes vivants
(j’ai trop pensé en rond)
mais c’était autrefois
c’était comme ça