Avec les vagues, l’enfance

Je ne sais pas si j’envie ceux qui verront les brisants et leurs affaires d’écume qui forgent les galets. Il est probable qu’ils s’interrogeront : suis-je heureux ?, et que leurs regards au lieu de répondre se perdront latéralement dans les sables où les robes vertes des vagues s’abattent depuis le premier matin ; puis, par désœuvrement, les mains dans les poches, ils laisseront errer leurs yeux vers l’horizon, juillet est une voile appelée à disparaître parce que la terre est ronde, malgré la ligne finale fabuleuse où le soleil du soir fera semblant de se coucher pour nous inviter à faire de même. Et nous le ferons vraiment. Il y aura des draps pour redoubler la peau, prairie de neige aux replis favorables aux rêves et j’irai clore alors mes yeux sur l’enfance aux portes noires cirées de cris. Au bel été, je mesurerai la distance avec ce qui fut, les pauvres brutes descellées de l’enveloppe humaine et qui versèrent sur nos crânes de petits bouts de chou des coups toujours, si peu parents, sombres cerveaux roulés comme cailloux, bornés comme falaises, glacés, verticaux et apeurés. Je ne reprendrai jamais ce chemin vers la mer où une fois grand j’aurais pu me forger un destin de capitaine libre au vent ; je n’ai pas pu prendre la voile et j’ai ramé à contre lames bricolant un âge adulte entre récifs rêvés et coraux très artistes, emplissant ma voix – enfin ma voix – des échos des anciens où rôdent avec l’ange des chants perpétuels qui recouvrent, tels des brumes de septembre, les hurlements incidents qui alourdirent mes pas et firent de mon enfance provisoire une plage minée. J’emporte mes jours amochés de jadis à la semelle de mes sandales marines, le crissement se fait heureux puisqu’il s’éloigne (le mieux qui puisse nous arriver est de vieillir) avec le temps, ce fidèle allié qui miroite là-bas où j’aurais pu naître, ce paysage de chaleur où paraît-il on aime, ce temps d’avant qui remord constamment dans ma chambre silence. Je me demande souvent s’ils sont heureux dans le présent ces êtres neutres sous parasols, fixant la mer, des jours entiers sous l’avalanche des flèches empoissées de soleil. Je crois que oui, avec leurs crèmes, leurs journaux pathétiques et leurs monosyllabes où la même langue dont j’emplis ces pages s’émiette vite en balbutiements que la vague recouvre ; je pense qu’ils ont sans réfléchir une impression de vivre qui s’éploie au présent avec quelque solidité et peu importe qu’ils rentrent le soir recuits et muets d’indigence parlée, ils sont sûrs de leurs pas. Je ne les envie pas, j’ignore la jalousie, j’essaie seulement d’entendre ici et maintenant la possibilité du pas libre, puisque vivant il me faut bien marcher ; or, j’entends des crissements, folies meurtrières piétinées à grand peine par l’âge adulte, mais qui reviennent évidemment avec la marée, ce qui m’incite à dérouler dans le calme le plus creusé, des draps de mots que j’agite de loin, naufragé cœur battant, plein de l’espérance d’une voile nouvelle.