solstice

le solstice est le vrai nouvel an

je soupèse les cadeaux du printemps

la lumière s’attarde sur son plus long sourire

fruits et blés sont à deux doigts de donner

je note que le piano des pluies

oublie un temps ses doigtés

à l’aube du déclin nu

dans ce jour sans fin 

ma joie capte la main du jour ouverte au plus large

et voici le rouge

teinte maîtresse

couchant fier de son empire

qui ne cesse de s’étendre

mais avant

cerises et coquelicots seront ciel et terre

avant la nuit un rĂ©cit de couleurs s’inventera 

oĂą jaunes et bleus vont se disputer le vert la vie

puis entre le chaud de ma prĂ©sence 

et le froid de la voie lactée

les Ă©toiles vont finir par gagner 

plus tard plus loin

c’est la loi de nature

mais le jour éternel planté dans l’année

affirme en ce présent

que j’aurai bien tenu

vie des roses 

les rosiers frisquets de l’aube

embuĂ©s immobiles 

chantent Ă  bas bruit 

l’arc du jour et ses lents déploiements

les boutons cousus dans la nuit

amorcent l’éclosion

ce florilège savant des roses

qui vont maquiller les lèvres des maisons

au pied des seuils avenants

elles passent la matinée

à se coiffer les pétales sous la brise

et lorsque sonne le vif de midi

les bonjours des tiges frémissent une dernière fois

la rosée aspirée par la lumière n’est plus

l’ombre donne alors le la du repli

forçant les belles Ă  s’ouvrir encore 

puis la brise de l’après-midi

se joue des coupoles de couleur

la vigueur ne sert plus 

qu’à déflorer plus vite

tapis de grâces frêles

un velours rouge recouvre les plates bandes

des volets claquent quelque part

je crois qu’au crépuscule les rosiers saignent

il est tard

on frĂ´le minuit

demain tĂ´t le jour refleurira

ainsi vivent les rosiers 

aux alentours du solstice

l’oiseau la vie(2)

tous ces mouvements

qui du fond du nid

le plus celé des lieux

le plus obscur 

Ă  peine audible

jusqu’à l’immensité des nues

bleues blanches

oĂą grondent orages et rafales

où s’assemblent les ouragans

tous ces mouvements sont 

à l’oiseau le quotidien

il n’a cure des pluies 

il sait le soleil il sait la flaque

où l’on se console des combats

il se mire les plumes graves

replie sa présence au plus froid

puis bondit sur les éclairs d’été

sait-il oĂą il va

gré du vent gré du chant

océan ou septentrion

et la vague qui l’appelle

et le vent qui le brise

rien ne m’importe davantage

que ce sort du passereau

perdu dans l’univers

et qui 

Ă  tout prendre

en sait autant que moi

 l’oiseau la vie 

il se souviendra du nid

d’osier croisĂ© 

de paille tressée

fragilité des corps pressés

nus

berceau pour l’oiseau

vite il s’habille de duvet

des jours de piaillements

des nuits de rĂŞves 

tendus vers le bec

comment boire 

la pluie peut-ĂŞtre

ou la rosée de l’aube

puis un jour ils se dĂ©sincarcèrent 

l’un tombe pour les autres

il meurt Ă  deux pas

au milieu des coquilles

mai les voit tous se brouiller

les aurores les envoient 

se remplumer ailleurs

ils sont toujours pressés

au bord du nid de bois

les griffes mordent

puis l’envol non voulu

folie d’écouter son corps

souvent les ailes disent oui

trop d’air soudain libre

l’oiseau s’enivre au vent

oĂą aller sans retour

acrobaties puis la pose

courbes graves

il becquette au hasard

respire sur une brindille

rien n’arrivera plus

manger puis pondre

un nouveau nid

Ă  bricoler comme

la vie sur l’instant

une vie abandonnée

au vent pur

fantôme 

ce qui frĂ©mit au jardin appelle le chant 

les oiseaux guillerets câlinent les aigus 

et la voix revient Ă  travers la source 

heureuse qui bouillonne lĂ -bas 

c’est un trop plein de vie bloquĂ© ce printemps 

je me demande ce que tu fais 

oĂą tu manges Ă  quoi tu penses 

si tu as accroché les rideaux

et si la haie bien taillée désormais

permet de deviner l’ocĂ©an lĂ -bas 

je t’envie d’avoir les fausses notes des mouettes 

Ă  portĂ©e de tympan 

si je ferme les yeux sur cette douleur 

je n’entends plus que tes pas 

sur les lattes fraĂ®chement posĂ©es 

les remous de ta robe

et les accords d’une symphonie abandonnĂ©e 

dans le bureau oĂą gisent les microsillons 

je te vois livre en main dos au jardin 

c’est de la poĂ©sie je crois 

le grand miroir du salon 

oĂą nous avons longtemps souri 

de nos vĂŞtements ajustĂ©s et de nos colères domptĂ©es 

voilĂ  qu’il me revient 

avec son cadre doré au trumeau peint

à la mode d’autrefois

  • un loup cernĂ© par les chasseurs  – 

soudain le rappel des oiseaux 

le vent du soir 

puis plus rien 

on dirait que la source au jardin 

a cessĂ© de couler 

et le miroir de refléter

flot

laissant la barque

à l’attache derrière moi

où de sa pointe elle désigne l’aval

de sa féroce insistance coutumière

je m’engage sur la berge vers l’amont

mes pas sont si prudents que les semelles

semblent-ils craquent et gĂ©missent un peu 

je furète de mes yeux Ă©perdus 

j’entends des cris 

il s’est passé quelque chose

les éclats des eaux mille feuilles de lumière

crépitent sur le lit tortueux

antique silencieux 

rien ne résiste au courant chante le flot

mon pas dit le contraire songé-je

et je rĂŞve cet avril poison 

je veux revoir tranquille 

la série éphémère des cytises et des lilas

le prĂ©sent me console tant et l’autrefois un peu 

la rivière peut bien emboucher le deuil final 

mes pas eux papillons incontrôlés

remontent et se posent 

en ce silence mĂ©ritĂ© 

page blanche très prĂ©sente 

sur laquelle je demeure sans souci 

souriant d’activités

candide je choisis l’aube

je n’oublie pas la barque du couchant 

mais elle ignore que les naĂŻfs sont braves

et que les poèmes s’écrivent contre elle 

en dépit des poisons

Une écharpe

quand je peine Ă  respirer 

Ă©garĂ© 

au désert populeux

errant invisible au marché de la rue

soudain un visage neuf

allumant une douceur de prairie

(sa joue est colline)

le regard vert aspire les rayons

l’azur suit

et c’est un bonjour qui me surprend

aventure d’ĂŞtre

je reconnais que sa beauté sel de mer

a une voix

je songe que je voudrais ĂŞtre sur l’ocĂ©an

elle serre son écharpe

et le geste et le tissu m’emportent par surprise

nuage vif

me voilĂ  saisi par le souffle limpide

un rĂŞve s’avance

je le creuse et continue Ă  parler

du soleil réel

tandis que le voilier s’enfuit lĂ -bas

je suis Ă  la proue

je parle encore longtemps salades radis

carottes poireaux 

les éventaires courbes chargés de leur poids terreux

rĂ©sistent un peu 

mais je suis loin envolé aux îles tendues

de sable roux

tout cela Ă  cause d’une Ă©charpe d’une belle

oĂą j’ai lu une voile

Laon, les bœufs

Il est naturel que les bâtisseurs aient voulu placer les bĹ“ufs en haut de la cathĂ©drale. On dit que les hommes du temps  ont ainsi voulu saluer les animaux qui tirèrent les pierres depuis le Chemin des Dames. Je me suis amusĂ© dans La CitĂ© IntĂ©rieure Ă  rĂŞver autour de cette prĂ©sence : les bĹ“ufs sont des modèles d’édification ; bĹ“ufs, ils expriment l’idĂ©al religieux de l’abstinence sexuelle ; juchĂ©s lĂ  haut, ils sont lestĂ©s d’une symbolique simple : plus je monte plus je m’éloigne du monde, c’est le retrait chrĂ©tien ; ils deviennent ainsi des intercesseurs entre le ciel et la terre, prĂŞtres, moines, chamanes, etc.

Ces jongleries cependant ne suffisent pas. La simple observation me convainc d’autre chose. Comme l’a parfaitement rendu Villard de Honnecourt dans son dessin bien connu et que mon Ă©diteur imprimeur (inoubliable Jean Le Mauve) a reproduit dans mon petit livre, les bĹ“ufs sortent leurs tĂŞtes de l’alignement des tours et cette « charmante fantaisie Â» (Proust) donne aux animaux placides, balourds, des allures de concierge intriguĂ©, bĂŞtes curieuses qui semblent passer leurs tĂŞtes par l’embrasure de fenĂŞtres que les dentelles des tours mĂ©nagent au milieu des nuĂ©es. Très vite, je sens qu’ils se gonflent de toute mon ironie, grenouille qui devient aussi grosse qu’eux, leur prĂŞtant par retour un sourire qu’ils n’ont peut-ĂŞtre pas, mais que leur col tordu suscite cependant. Il me vient soudain que l’anormal est lĂ  : loin d’avoir des cous de taureaux, ces animaux poussent leurs tĂŞtes au-dessus du vide de leur col longiligne comme en a peut-ĂŞtre le dragon des contes ; je vois ces bĹ“ufs qui un matin du XIIème siècle secouèrent leur joug par la grâce d’un sculpteur et qui libres enfin d’observer, eux qui avaient toujours courbĂ© la tĂŞte, avancèrent leurs cous dĂ©sormais libĂ©rĂ©s au-dessus des agitations de la citĂ© et des plaines vallonnĂ©es. De bĂŞtes de somme elles devenaient bĂŞtes d’éveil, de guet, d’ironie, heureuse moquerie du monde d’en bas, clin d’œil du sculpteur qui se voit Ă  travers eux avec son modeste statut de tailleur de pierre, mais qui SAIT. Au fait, que sait-il ?

Les artistes n’ont pas de reproches Ă  adresser au monde : ils dĂ©crivent ce qu’ils voient. De tout temps les vrais artistes ont su d’un savoir Ă©sotĂ©rique ce qu’il en Ă©tait de la crĂ©ation, c’est-Ă -dire de Dieu (mythe presque universel). Jusqu’à une Ă©poque rĂ©cente, ils ne l’ont jamais dit explicitement, mais ils ont tracĂ© des pistes, envoyĂ© des signaux. Comme les bĹ“ufs dĂ©passent de l’alignement des tours, ils ont signalĂ© leur prĂ©sence dans l’œuvre. Rousseau offrant son prĂ©nom au lecteur, Kafka sa belle lettre initiale (un homme marchant debout), Dante tendant sa main Ă  Virgile qui la tend lui-mĂŞme Ă  Homère, Proust contant comment il devint romancier, CĂ©zanne laissant des pans de toiles non peints… autant de signes, d’appels, de tendres coups de coude, affaires de prĂ©sence au beau milieu de notre monde.

Ils étaient seuls.

Aucun des seize bĹ“ufs ne croise le regard de l’autre. On dirait nous aussi au plein des fadaises, dans nos rues, dans nos transports en commun, jouant l’absence de l’autre alors qu’on le voit parfaitement, solitude posĂ©e en haut, hissĂ©e sur les plaines oĂą, pauvres gaulois, nous allons ahanant nos tâches fatiguĂ©es. Les cornes accrochent bien ici ou lĂ  les nuages qui passent mais cet isolement, ce murmure meuglĂ©, n’est pas un hasard, notre sculpteur savait ce qu’il en est de nos destinĂ©es Ă  chacun rĂ©servĂ©es, pose observatrice… et leurs touchants regards… Ami, sais-tu la solitude, les bĹ“ufs en troupeau c’est vrai, et cependant chacun par devers soi ? Il faut traverser les nuages du temps, Ă©corner l’azur et manger le foin des plaines lointaines ; figurant un quotidien hantĂ© par le dĂ©sir de dire, ils renvoient en seize miroirs la platitude de la rĂ©pĂ©tition du semblable : lever, dĂ©jeuner, coucher et l’ensemble des tâches, bĹ“ufs aux mille pas entre Ă©table et boucherie, la peine de mort au plein du col très curieux. La tĂŞte tombe, la bĂŞte d’ombre toujours, foin des querelles, retour sur le va et vient des yeux artistes, musique d’orage peut-ĂŞtre (Gracq) plus sĂ»rement ce sel qui pimente nos jours, car sans les artistes et les bĹ“ufs que serions-nous ?

Il faut ce regard oblique, point mĂ©chant, vrillĂ© sur nos vacations ; ils ont la voix posĂ©e des errants qui savent, eux, bĂŞtes d’obscur labeur, artisans du vide, et sa main qui les sculpte et ma main qui va devisant, devinant leurs oraisons et les saisons qu’ils abritent de loin comme on le fait au soleil lorsque posĂ©e sur le front, du haut de notre moi, nous attirons l’ombre de nos doigts serrĂ©s sur les paupières de l’aube.

grenier

quand je me lasse de l’instant 

j’emprunte l’escalier

qui mène au grenier gorgĂ© d’objets

jouets valises araignées balconnières

ça danse lĂ  ça dort lĂ  confus et honteux 

astiqués ça pourrait revivre

mais pourquoi ces voyages au pays des regrets

Ă  quoi bon ravauder les robes fanĂ©es par les Ă©tĂ©s fĂ©roces 

tout refluerait 

et mes arguments en faveur de leur rĂ©surrection 

crèveraient en bulles de sourires brefs

le corps un peu cru

se ferait plus gauche encore

je pense soudain aux araignées

elles bien actives

tissant dans la poussière 

un empire de fils serrés

elles revisitent nos objets sur le métier du temps

nos petits gestes nos grandes amours

et couvrent le passé devenu ici présent

d’un tissu apprĂŞtĂ© presque collant

les souvenirs en tĂŞte font si vite retour

quadrillages compliqués

dont on ne s arrache qu’Ă  peine

Gulliver Ă©tait moins prisonniers des fils 

que nous de nos toiles

sous lesquelles s’agitent les fantĂ´mes qui pèsent sur la maison 

berge

il me rĂ´de un chemin

qui tourne souplement

mes vrais et faux pas

y sont recensés tant joyeux

cascadant au long de la vieille rivière

j’ai parcouru gravier nu 

les avals cruels du flot

oĂą le lit parfois chante ou se fourvoie

sentier herbeux oĂą les poissons sĂ©rieux 

luttent Ă  contre courant 

en un sur place merveilleux 

oĂą l’effroyable cours semble un instant dĂ©fait 

où faire consiste à résister

j’ai maraudĂ© ici et lĂ  

les fruits de mes réussites

c’était un pas puis deux 

puis des flots ont englouti les champs

j’y ai jetĂ© un oeil 

et toujours les quelques pas 

cette pente qu’enfant j’adorais 

Ă  cause des poumons qui dĂ©bordent 

mon chemin s’ouvre encore là-bas

mais je ne cours plus j’ai appris 

que la joie ma foi n’était rien d’autre 

que le chemin de l’instant

petite berge grave 

longeant chaque seconde 

printemps

la pure glace ne brûle plus mes bronches

l’air attiédi me fait oublier la gorge encore piquée

se mêle au vent léger le ramage des oiseaux bâtisseurs

ma voix s’efforce de chanter claire – finies les vapeurs aux lèvres

le manteau garde l’hiver suspendu au silence de l’entrée

cathédrale

les pierres empilées

foncent vers le plus chaud 

on peut dire dieu si l’on veut 

toute parole est bonne si elle rassure 

et la cathĂ©drale est du feu pour le fragile 

le petit homme(moi) invente des flèches 

tours nefs sourires boeufs maternants 

il lui faut des rouges lances aiguisĂ©es 

obliques et loyales 

qui nous font un seul chant 

tandis que les ombres simulent la sĂ»retĂ© 

je voudrais tant que l’on revienne 

en cathĂ©drale oĂą tout se tient 

les vivants seraient liĂ©s par le bonheur 

comme les vers d’une Ă©lĂ©gie 

oĂą les mots s’entremĂŞlent longtemps en mĂ©moire 

de manière à faire des miracles

une cathĂ©drale de feu bien sĂ»r 

l’ardeur fiĂ©vreuse des bâtisseurs 

je l’entends je l’entends 

et mes mains les mĂŞmes mains 

s’essaient Ă  l’hommage chantĂ© 

pour se rassurer des poisons du printemps 

je vois bien que les flammèches 

minaudent au regard des couchants 

qui faisaient les rosaces 

la gigantesque maison verticale oĂą mĂ©diter 

sidère toujours les vivants 

mais ce sont les gĂ©ants qui hĂ©las font dĂ©faut 

au pied du parvis stupĂ©fiant 

oĂą les regrets empressĂ©s 

s’effilochent en tourisme rapide

après mai

lorsque la fenaison s’avance 

au coeur des piquetis enchantĂ©s 

qui font de mai l’exception pour les yeux 

les herbes dansent une dernière fois en robe lentes

leurs grâces s’inclineront sous les roues

des grillons cachés craqueront en syncopes

dans le juillet des chaumes menacés

puis les sillons finiront par accueillir goulûment

sous la terre neuve que l’acier dĂ©vore 

les restes rasés des miracles engloutis

 il y a toujours un mai

lorsque les fruits poindront

il sera toujours temps

de croquer l’essentiel

mais le mois qui compte 

est celui d’aujourd’hui

quand tout est Ă  venir

lumières chants poussées folles

rien de pire alors que les orages

de pluies de vents

qui punissent le sol d’avoir donnĂ© 

jonquilles coquelicots déjà

et bourgeons éclos de blancs poudrés

tout est Ă  terre

c’est le deuil de mai

ne prenons pas le temps de gémir

de faire non en secouant la tĂŞte

les repousses ne cessent pas

ce sont mille appels

il était peut-être bon de renaître

un chant plus fort s’annonce alors

l’aigle est au futur

dit le poète

la recroissance vaut bien cet amour

on se fait tendres soudain

attentifs Ă  la brise qui ne mord pas

nous sommes les enfants d’après l’orage

je vous l’ai toujours dit

la vie peut se faire douce

vous ne me croyez pas

vous allez voir