Kafka et le monde intérieur

Parfois, un peu par hasard, je tombe – le mot n’est pas de trop – sur une phrase qui me réconcilie avec le monde de la pensée; le monde tout court donc. Aujourd’hui, cet extrait du journal de Kafka:
” Ce n’est que de l’intérieur que l’on peut se maintenir et maintenir le monde dans le silence et la vérité.” A ce monde, l’auteur oppose le monde de la théorie qui nous entraîne vers le monde rassurant de l’abîme; je dis rassurant parce que la vérité une fois dite, je peux vaquer tranquille à mes occupations mondaines. Voici ce qui précède dans le journal:
“De l’extérieur, on triomphera toujours du monde en le creusant au moyen de théories qui, aussitôt, nous ferons tomber avec elles dans la fosse. Ce n’est que de l’intérieur que l’on peut se maintenir et maintenir le monde dans le silence et la vérité.” Il désigne ici un aspect de la pensée qui consiste non à répondre à la question pourquoi(théorie), mais qui consiste à penser vraiment, ce que j’appelle pour ma part rêver, venir de l’intérieur dire le monde tel que je le sens, dire les mots tels qu’ils viennent s’imposer à ma psyché et rien d’autre.
J’ai longtemps flotté autour de ce monde intérieur; je savais que c’était celui qui me permettait d’écrire, la question étant : suis-je conscient ou suis-je inconscient lorsque j’écris… ce qui n’aidait pas. La formulation était brutale, “à la limite”, comme on dit parfois. J’en suis venu à penser que j’écrivais à partir d’un lieu spécifique qui n’avait rien à voir avec le conscient, ni avec l’inconscient; ça flottait là entre deux et effectivement le monde intérieur sortait vers le dehors sur le papier, sans finalement que j’intervienne directement. Enfin si, bien sûr, mais ça flottait là devant, j’entendais le silence, que j’appelais le blanc, et la vérité – qui n’était évidemment que la mienne – issait, comme on le disait autrefois, elle sortait, donc, et ne se prenait pas pour universelle, simplement puisqu’elle sortait de ce fond cru, elle avait sa part dans la vérité du monde tel qu’il est ici et maintenant; elle le maintenait(!!), elle flottait avec le monde, le maintenant, ressemblante, comme on le dirait naïvement d’un tableau.