la grâce
un jour que j’allais – guide oblige –
sur les ruines d’un prétendu château
à l’aplomb discutable
j’entendis une jeune voix me héler
sous les frondaisons attenantes
je lui fis comprendre que la saison
l’épidémie mon âge et le sien
rien ne pouvait aider au dialogue
je fus charmé de son rire d’argent
elle prétendit qu’elle errait
dans l’ennui du confinement
et qu’un grand-père (moi) faisait l’affaire
pour partager la pomme que j’avais en main
j’en mordis une moitié lui tendis l’autre
elle refusa de loin en riant
une blague dit-elle
émouvant château dis-je
vous n’y êtes pas du tout reprit-elle
et me désigna des deux bras
une trouée entre un tremble et un chêne
je m’avançai
un point posé sur l’horizon
elle tendit son doigt
tenez fixez ce point avec vos jumelles
ce que je vis était la plus belle chose du monde
briques et meulières mêlées
cernées de cytises et de lilas
toit gris miroitant soleil noir
château de l’éternel printemps
il souriait très loin encadré de ses deux tours
c’est le château de la grâce dit-elle ne le lâchez pas
j’écartai un moment les jumelles
elle avait disparu
en les réajustant
je vis que le château lui aussi
s’était évaporé