la barque

avant d’être emporté
j’évoquerai mes amours
ce me sera une vaste digue contre le froid des eaux
je me rappellerai tes yeux tes mains
l’écho de mon prénom froissé contre mon cou
mes rêves difficiles
le souffle de la mer
mes pas secs de soleil
mes larmes du jadis en crise
cette folie de parler

mais on m’appelle
la barque cogne contre le quai
rythme inégal et sourd de bois mouillé
on n’attend plus que moi
clapotis du Styx
mon ombre se reflète déjà sur la planche usée des morts
où je vais prendre place
fameux voyage
le pilote approuve quand je vais poser mon pied


tout à coup la révolte me saisit
je ramène ma jambe
bouscule mes suivants déjà blêmes
m’enfuis vers le soleil
qui allume les tours gothiques de chez moi
(jeunes femmes complices
huit cents ans d’élégance)

depuis j’attends le rappel de pied ferme

un dimanche

rigueur de ses lèvres
au bas du miroir
c’est un reflet brisé
j’enclenche un machinal bonjour
rien ne va plus
chaque seconde est un maillon défait
chaque heure va dévider la bobine du jour
heurts des mots
craquements du plancher
des poussières dansent
il faut habiller ce dimanche
j’arpente
et j’emplis les pièces de mon sifflotement
je songe soudain
qu’il y a toujours quelque part un château à visiter

je conduis je me gare
puis quatre pas sur le gravier
nulle parole ne s’envole sous la brise
dans le soleil s’avance notre couple muet
le cœur nous bat
il nous enclot sous les porches
les douves noires peuvent bien clapoter
du haut du donjon les contes usagés affluent
débordant d’étrangetés
et la mer des blés fous
la respiration du globe
le basculement des saisons
l’horizon dictant l’éternité
saturent l’espace
avant même qu’on fasse mine
d’esquisser une première parole

l’irrésolution

de nos bavardages
présence réelle des voix
auprès du feu qui grondait
j’entends encore les cordes brisées de ton être
(nos peines se valaient)
les explosions de bois frais illuminaient
ta mélodie d’étincelles féroces
nous baissâmes d’un ton (souviens-toi)
puis froissées par l’intimité grande
et la fraîcheur de nos échanges
tes paupières s’agitèrent
papillon
c’était trop ce n’était pas assez

l’heure du thé nous sortit d’affaire
se lever faire bouillir tendre la tasse
doigts qui se trouvent sans se chercher
tout un flot très connu nous grisa
je t’aimai bien sûr
et les années et d’autres rencontres
autour du thé
et la langueur paresseuse de nos lentes natures
tu sais ce pauvre éphémère du toujours proclamé
nos gestes légers sur l’instant
qui pèsent des tonnes durant des années

et nous voilà attendant
près de l’âtre
les mains grises de cendre

la rose(2)

vitalité de la rose
qui se permet tout
encore éclose en décembre
(la vie a de ces remuements)
elle se fiche des mois des lunes
la crudité des temps ne l’effraie pas
sa sève monte incongrue
son éclat – poésie – est inaltérable
incohérence des belles saisons
qui crèvent sous nos pas
la rose prie de toute sa corolle
sourit au voisin – moi – qui regrette au balcon
la fin brutale du jardinier
(son corps s’était usé à lui sarcler le pied)

ah la rose tu peux prendre la pose
comme à moi le poème
tu dois tout à cet homme
comme à moi

au fait je songe que
coupée
ta présence rouge
ferait merveille sur son marbre violet

la Visiteuse ( 2)

miracle du texte écrit
cette efflorescence draine l’eau des jours
pas une minute même dormie
où la Visiteuse aux foulards colorés
ne vienne saluer le marcheur chantant sa sérénade
en mineur (andante)
allez rit-elle en faisant bouffer ses cheveux
passe dans le jardin à mon image
ta semelle grave fera s’envoler au coucher
fauvettes et moineaux
autant de syllabes que l’on frotte
pour faire des vocalises lues

l’apaisement de l’amie éternelle
par la main qui s’offre est alors muet
ou presque
troènes et roses à l’unisson
on ne devise plus
effet de l’âge sans doute
les querelles et leurs oripeaux
pendent au-dessus des poubelles
là-bas
la Visiteuse emplit les verres
mire le sien au soleil
et sans se consulter on trinque en harmonie

urgence du soir

la neige

nous irons au ruisseau
là où tout commence
du cresson glacé aux peupliers profus
ce que nous toucherons
sera neuf comme la truite élégante
ou l’enfant qui dort à la source
ma peau ta peau
nos battements qui font le temple
des églises aux cathédrales
beautés majeures
nous serons au bon vivre du vin
nous serons au privé des chambres
nos voix chantant l’essentiel

nous monterons sur la colline adulte
cette déraison qui croit
puis l’âge allant et venant
le tapis des pas
dira le labyrinthe des hasards
dés jetés ici et maintenant
au croisement des rues
nous nous étonnerons d’être au présent
mains chaudes yeux dévorants
cheveux mille fois lissés des paumes
jusqu’à se couvrir de cette neige
que l’on redoute tant
alors qu’elle est si douce à survivre