Rimbaud par F.G. Maugarlone ( 2 / 3 )

Suite du texte précédent. Pages 135-136 du même ouvrage.

Izambard se demande s’il n’est pas Pierre. Certes, il n’a pas renié Rimbaud, mais il se reproche de ne pas l’avoir assez bien reconnu, et soutenu, voire sauvé du calvaire. J’ai raté un destin d’apôtre, soupire le vieil Izambard. Le pavillon qui colle dans son oreille sert moins à percevoir les questions des jeunes zélotes qui l’assaillent que la rumeur du passé. Mais, pour être à la hauteur, ne lui aurait-il pas fallu être prophète lui-même? La violence de Rimbaud l’effrayait, comme en témoigne l’anecdote du dernier vers d’A la musique. Rimbaud avait écrit:

Et mes désirs brutaux s’accrochent à leurs lèvres

et le professeur bien intentionné le convainc de remplacer ce vers plein de force par le mièvre:

Et je sens des baisers qui me montent aux lèvres

A la musique semble avoir sa source dans un poème de Glatigny, “Promenades d’hiver”, la comparaison fait apparaître la différence entre le talent et le génie. Celui-là, qui relève les beaux habits des bourgeois joyeux et qui approche “doucement les filles aux yeux doux”, on peut imaginer qu’il lui aura été donné de suivre un cours paisible, à lui qui fut peut-être accordé le bonheur de “boire tranquille dans quelque vieille ville”.

“Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés!” Le Jugement dernier, peut-être. Mais pas la grande distribution des prix où Dieu aurait récompensé le Poète dans le style du Préfet des Ardennes. Rimbaud a su trop tôt qu’il n’y a rien à apprendre du livre du maître. Il fallait l’écrire. Privilège cruel de la couronne de feu placée sur la tête de l’enfant, Tu vates eris

Rimbaud peut se résumer en ce mot: j’irai. Rimbaud explorateur, certes, et géographe, je me suis permis de développer ce thème devant la vénérable Société de géographie dont il fut un correspondant – mais sans suite, car sa vocation reste d’être le géographe du non-lieu, et c’est ainsi que sa fusée retombe à Roche. A “j’irai” répond ” On ne part pas”, car on n’échappe pas à la maison mère, même si la longe peut aller jusqu’à Java, il est à l’attache. Il peut aller où il va, il n’ira jamais plus loin. Puisque de toute façon il est impossible de partir pour le lieu qui n’existe pas. Changer la vie, non, alors au moins changer de continent: à quoi bon, ne reste qu’à passer un marché de dupes avec un Orient vainement mythique. Il ne voulait pas admettre que l’ennui de la province fût porté à l’échelle de l’univers, il échoue cependant à l’hôtel de l’Univers d’Aden, aussi provincial que la brasserie de Charleville.