Retour de la visiteuse

Je me monte du col tout seul balbutiant mes rêveries sur l’horizon du bord de mer, ligne fictive posée sur la sphère terrestre, lorsque je sens une main qui touche mon épaule, sursaut, tremblement, je me retourne :

– Tout doux, tout doux mon ami ! Ton tempérament mimosa m’inciterait presque à ne plus te surprendre.

– Surtout pas, chère visiteuse, surprends-moi ! Tes surgissements impromptus m’éveillent.

Je m’en veux de ma fragilité et me bâillonne la bouche de mes deux mains. Elle a relevé son col, j’en aime les teintes fraîches, buée d’argent mêlée de brun, saison oblige ; elle articule avec précaution, un murmure, pour tempérer sa plaisanterie :

– Je ne suis là que pour toi. Comment peux-tu imaginer…

– Excuse-moi, fais-je en posant trois doigts sur son avant bras gainé de bleu, je sais bien.

– Tu rêvais d’horizon.

– Comment le sais-tu ?

– Je sais tes songes, remuements fantasques, et c’est même là où je suis le plus souvent, si bien que je me sens embarquée avec toi sur l’océan – alors que nous sommes en pleine forêt (elle rit) – et je ne peux qu’approuver ta vision du bateau dont la voile disparaît lentement derrière la rotondité de la terre : le bord de mer… unique lieu où l’on constate que notre astre est une sphère.

Le frisson de sa robe encore légère dans les nuances très jaunes se mêle au retour du vent dans les cimes. Elle flotte, la soie et tous les tissus s’allongent derrière elle sur le sol sablonneux de la chênaie ; il me vient qu’elle semble vouloir s’envoler, je tends la main vers elle pour la retenir.

– Tu sens comme la pluie nous élit ?

– Il ne pleut pas !

Elle désigne du bras droit le mauve du fond des bois ; silence, nous retenons notre souffle ; je découvre des dizaines de feuilles déclinant en pluie, en effet – sur les fougères déjà vautrées dans la nuit des troncs – cascade d’étoiles qui scintillent lorsqu’un rayon les cueille de sa main malicieuse. J’approuve de la tête, bat des cils, mystère du détachement sous l’aimant de l’attraction terrestre.

– C’était éclos il y a des mois, dit-elle, toute cette sève qui fit les feuilles se retire peu à peu et voilà l’éventail de leur chute, couleurs qui tombent en chuchotant, mille papiers de gloire discrète dans ce sous-bois désert.

– Nous sommes là !

– Disons que nous en sommes les rares spectateurs, si tu veux. L’autrefois vert et tendre, du temps qu’avril chantait s’écrase en ocre brun rouge sans que personne d’autre ne l’ai décidé que l’oscillation de la terre sur son axe.

Comme je l’interrogeais sur son retour, elle me confia qu’elle venait me surprendre pour m’encourager ; elle savait trop mon déclin, mon tassement sur le temps, en vrai fragile trop large d’esprit ; elle dit qu’elle admirait ma force cependant (ma force !), l’histoire de vivre et l’affaire  d’écrire que je cultivais au beau des décades du déclin, déclin de l’âge, de la saison, déclin social, de la raison, des rêves et des arias, et que ce n’était tout bien considéré pas si grave puisque les cascades étaient toujours remontées des saumons dans l’éblouissement de l’écume des chutes, que le déclin cachait un trop plein d’espérances que nous ne pouvions présentement débusquer, qu’il n’y avait aucune raison de croire à la mort de la mer, de la terre, que l’horizon jamais ne s’effriterait et qu’il faisait si doux de voir debout sur la plage de galets la courbe de la terre s’obscurcir sur l’endroit fictif où le ciel la rejoint, moment magique, ligne sans déclin enfin, imaginaire il est vrai mais solide comme deux pieds, un pas, rien d’autre.

Je voulais qu’elle reste encore à pépier l’espérance. Il y eut un rire métallique de merle qui partit devant et comme je me tournais vers elle pour lui confier que son propre rire ressemblait à l’appel de l’oiseau noir, je vis se froisser la robe lourde de tous les tissus du monde, arc en ciel de l’enfance en allée ; elle n’était plus. Elle reviendrait.

Resta sa voix en ma mémoire et mon pas allégé. La nuit et tous les automnes pouvaient bien procéder.