les murmures et la mer

se sussure souvent
entre le drap et l’oreiller
entre la vague et l’estran
un chuchotis secret
qui dit notre origine
les enfants sont l’écume
de cet horizontal fécond
où la mer et les mains
ne cessent au flanc des vagues
au bord des lèvres
de se donner la vie
la marée vers l’avant
le reflux au passé
s’échangent l’éternité
pensées et roulis
étreintes et ressac
se donnent au langage
chuintements qui s’apaisent
parfois par amour pur
sorte de sel fin
où les paroles virent alors au refrain
mantras d’une foi portative
réservée aux deux fidèles
à l’exclusion du monde parlant
nous voici prêtre et prêtresse
posés sur l’eau étale des draps
et méditant la vague
nous trouvons le silence

sans fin

et je m’en vais garder
paumes serrées
l’eau petite et comptée
quelques gouttes à peine
cueillies sur les fleurs en corolles
tu plonges dans mes mains
j’aime ta peau dis-tu
(le soleil cogne dur
fenêtre sur le vide)

l’été décidément
c’est l’attente d’un drame
or à noircir ce temps cru
nos ombres je crois vont s’effacer
je compte sur mes doigts
les années décennies
le corps fut à peine chanté
la peau est devenue friable
et la vie intouchable

je sens tes joues
contre mes phalanges mouillées
je voulais te sculpter
et c’est moi que j’évide
ces mots sont les notes risquées
qui sèmeront contre le temps
des germes d’engendrement
sorte de lutte finale
qui n’en finit jamais

jeunes vies

le repli de sa voix assourdie
m’indiqua une peur très lointaine
je pris sa main
ses longs doigts étaient autant de questions
posées dans ma paume
je sus d’emblée qu’il y allait de sa jeune vie
mon rire avait son âge petit
et ses regards dorés visèrent ma peau
c’était tout mon langage en fait de profondeur
à vingt ans le futur m’est si vaste – je m’en souviens –
qu’il miroite à l’infini
et les je t’aime y sont repris
avec toujours la même largeur de timbre
les cordes vocales violoncellent
on va loin tout compte fait quand on va vers le grave
qu’on est au printemps
et qu’il y a des crises de juin
désamours grisâtres où le soleil s’arrête
(la cendre l’emporte sur le feu de saint jean)
l’affaire de vivre exige
chose impossible à livrer
ce calendrier d’aimer et de vivre
mélange explosif
où je t’aime et je suis
demeurent asservis
au maëlstrom de chaque aube

l’allée

il me semble qu’au bout de l’allée
s’engrave un château minuscule
malcommode inaccessible
or le chemin gravillonné a ses attraits
des chant profonds y couvent leurs doigtés
ça travaille en sous main bonne allure
des langueurs des siestes des sables
je médite mon avance souriante
bonjour madame le château n’est plus si loin
des mains se serrent élégantes
on s’effleure les joues baisers vides
j’entends la pluie qui se perd en route
le gravier pourvoit au souvenir des eaux
des galets égarés sur la place
content des histoires vécues
que j’écoute dans le crissement du crêpe
je me rappelle les visages d’Emma
Claudine Bérengère Alice
Et soudain il est là tout proche je me ressaisis
misère de l’allée qui s’achève
je vois le château agrandir son ombre
revoltant deuil des toitures
ça taille des chapeaux de carnaval
ce sont d’obliques verticales amidonnées de noir
je perds mes pas je perds mes pas

brusqueries

la brise porte en son souffle tout un monde
de branches frémissantes
qui aspirent hors sol
le juin limpide
on entend les étoiles du jasmin qui se frôlent
au cru des tiges
une enfant siffle au coin de la rue
l’histoire d’une amour mélancolique
et d’un qui n’en peut mais de vivre
puis le solstice des angoisses
se dissout bientôt au noir des frondaisons
le vent léger expire une joie de rêve
ça y est ça y est
il se passe quelque chose

la brise redouble son fouet
les nuées d’ouest affluent
la pluie s’effondre
le jardin à peine sec
réinterroge ses racines
tout est bien tout est beau
miracle
les miroirs d’azur soudain écartent les blancs frissons
les troënes frottent leurs tiges au soleil
un poivre amer et pur
monte en poussières mouillées
longtemps l’aventure d’être sera cet unique parfum
paradis des pavillons de chez nous
calés contre de gris et bleus bosquets engazonnés

corolle

corolle de l’aube
je te devine ce jour en robe vive
à l’instant où tu paraîtras tout à l’heure
au lointain de la rue
tes lèvres emprunteront à l’ombre des murs
la gravité du ton
et ta voix reprendra le rythme des branches
qui craquent sous mes sandales
humectées de rosée
je verrai s’amincir et se dissoudre l’enveloppe d’effroi
qui me tenait lieu de coeur battant

je marcherai à tes côtés
visité du matin doux
je crois bien que soudain feront défaut
les mots
leur suspend devenant qualité
(ils ne briseront plus l’air)
fraîcheur du silence
qui ne demande qu’à monter

chaque jour soit ainsi
le temps peut ronger les sangs
nous ne céderons pas

vertige

il fallait que je ne bascule pas
vers l’arrière
je m’adosse à la bibliothèque
mots pages volumes
paumes plaquées verticales contre les tranches
je m’accroche aux étagères
c’est ta vie
il n’est pas de rechange à ta vie
l’urgence est au présent
je tourne le dos à l’antan des romans
là-devant au travers des baies mille voies
ombragées croissant folles
frondaisons noires de juin

ça ne va pas demande-t-elle
si si un peu le vertige
tant de choix dis-je ce n’est plus un choix
vertige du monde
l’univers est transparent
plus de nuit tu comprends
lourde est la lumière du jour
éclaboussant les recoins
ce jour ce jour de juin
je comprends tout c’est trop

on pourrait commander une pizza
dit-elle en souriant
je fais oui de la tête

voix

des voix montent parfois
de l’intérieur de la placette
elles chantent crient parlent aussi
j’essaie d’en capter la joie
pour la reverser dans ma vie
car tout cet étranger que sont ces rires
qui enflent entre les demeures
signent la présence de l’autre
et je sens que mon corps approuve
l’appel très cru des paroles
surtout lorsqu’elles sont lointaines
vague murmure incompréhensible
qui est la vraie rumeur du monde

j’y entends la chaleur de l’instant
les voix sont des êtres de chair
la vie les meut
contre la peur joie d’être ici et maintenant
on y parle du temps qu’il fait
contre celui qui passe
éclats de voix comme des entraves aux horloges
les gorges graves aigües disent
je suis là je suis là
tu m’entends tu m’entends
et chacun n’a de cesse de monter sa voix
contre l’autre
bribes d’écume qui sont de chacun
le cri de naturelle fierté

et ce concours murmuré durera
autant que la terre habitée

un duo

quand les amis s’assemblèrent
sous le tilleul de la place
à deux pas du kiosque à flonflons
où nous avions sévi

-tous ces sons énormes
allèrent derechef à la rivière –
je m’esquivai
affirmant que je serais bientôt de retour
j’avais serré sa main elle avait fait oui
je revois encore sa peau velours pâle
et ses pupilles graves de brun doré
ma peur tendresse palpite à ce seul récit
j’entends son pas proche
elle vient en effet
du fond des obscures charmilles
sa robe vibre au vent de juin
ce sont des notes de piano
qui donnent le tempo
de notre éloignement
c’est une mélodie par une fenêtre ouverte
je ne sais plus si nos mains se rejoignent
à la fin dans la nuit
ma mémoire trébuche

un peu fous
les musiciens s’inventent ainsi des mains des duos
qui n’existent sans doute qu’au noir des partitions

les souvenirs

quand je me lasse de l’instant
j’emprunte l’escalier
qui mène au grenier gorgé d’objets
jouets valises araignées balconnières
ça danse là ça dort là confus et honteux
astiqués ça pourrait revivre
mais pourquoi des voyages lointains au pays des regrets
à quoi bon les robes fanées dans les étés féroces
tout refluerait inutile
et mes arguments en leur faveur
crèveraient en bulles de sourires brefs
le corps un peu malhabile
se ferait plus gauche encore

je pense soudain aux araignées
elles bien actives
tissant dans la poussière
un empire de fils serrés
elles revisitent nos objets dans le métier du temps
nos petits gestes nos grandes amours
et couvrent le passé ici présent
d’un film apprêté presque collant
les souvenirs en tête ravaudent aussi obstinément
les même quadrillages compliqués
d’où on ne se sort qu’à peine
Gulliver était moins prisonniers des fils
que nous de nos toiles
sous lesquelles s’agitent les fantômes qui pèsent sur la maison

vers la danse

ouvrant la porte
trempé
il entendit venant d’on ne sait où
les couleurs d’un trois temps très chanté
rythme main gauche
on avançait main droite au chemin forestier
feuillage froissé de bouleaux fabuleux
dans une Pologne de grâce lointaine
il eut tout loisir de n’être plus là
défit machinal son imper
et resta debout dans l’entrée noire
puis soudaine lueur chaude dans l’air
on s’envola vers les aigus

impalpable pièce pour piano seul

alors négligeant leur amour défait
il procèda vers elle résolument
(elle écoutait les doigts crispés au canapé)
la souleva à bras le corps
vers la porte-fenêtre
l’emporta dans la brusque éclaircie
en trois temps sur l’herbe détrempée
et la prière qu’il formula
tout à trac en dansant
s’imposa dans son corps
il lui demanda
du bout des bras
d’essayer de renaître tous deux en folie mazurka

histoire de sourires

que sont les sourires devenus
qui m’avaient allégé l’écoulement des ans
j’ai beau ratisser ma mémoire
je les vois miroiter au loin et c’est tout
puis impromptu au détour d’un air
mélodie enrouée
en voici un qui redouble
ce jour canicule
il vibre mirage sur la fontaine
où je m’en viens mains en creux
pour une lampée de glace féroce
solide confrontation
où je souris sur l’eau
on n’est jamais si bien servi que par son reflet
et l’envie d’un autre et le vent qui vient
porte qui bat que j’ouvre
les sourires à venir s’avancent
les promises les rencontres belles
un ruisseau de visages
des cascades de mercis du bout des doigts
la vie la vie du jour
infini d’élégances sous les pas
et ces lèvres aux charmilles
où des jardins bourdonnent
de chants de voix
saluts perpétuels des vivants d’aujourd’hui

la pâquerette

enfuis sont mes pas d’autrefois
ceux de midi pleins de plages de soleils
ceux de minuit grevés d’hésitations
j’étais encombré de rêves inglorieux
de chevauchées carnavalesques
sur les rosses de pensées fortes
toutes livresques
et voici que mains vides
j’en suis venu à me pencher au gazon
vers une indolente pâquerette
présente sur l’instant
je me demande la cueillant
pourquoi soudain le coeur me bat
seconde infime marquée sur le temps
je vais prélever sa présence
pour sacraliser ce moment
il y aura un avant et un après la fleur
je la pince au coeur du carnet où j’écris
je l’entends qui gémit
et craque sous la pression des doigts
je l’étouffe entre les feuilles
c’est ainsi que dans son squelette sec
je vais la recroiser souvent
renouvelant à loisir le moment où je la saisis
dorlotant alors sa mince image
éternité portative
métaphore des jours enfouis

heureux temps

derrière la misère d’être
si l’on reprend le flot
de la source à l’estuaire
où l’on se perd dans l’océan de l’âge
j’entends ma vie
et il m’apparaît que
les dieux n’ayant jamais été
nous sommes au vent de la joie
engendrée sur l’instant
et bien sûr rien d’autre
rien d’autre
les anciens pièges à mouches à jamais devenus dérisoires
(religions et marchés)
notre aventure s’ouvre
des milliards poussent à la roue
je bascule tu me bouscules
oublieux de l’ancien
nous allons au boulevard
gorgés de nostalgie
alors qu’à tout prendre ce printemps
exceptionnel et vif et joyeux
caracole sur les sommets
de la présence au monde
contre les dévastations d’avant

nous étions engoncés
qu’on nous laisse être enfin neufs