Les méfaits du tabac (monologue)

Cette scène sert d’introduction à la pièce: “Addictions et Contradictions”.
(L’actrice entre en scène en refermant le plus silencieusement possible une porte fictive.)
Voilà ! Voilà ! Voi-laaaaa ! (Au public) Permettez… euh… attendez. Voilà ! Ouf, ça y est ! Elle est bien fermée, ouf ! Oui, euh…( Elle s’avance sur la pointe des pieds comme si elle voulait faire le moins de bruit possible). J’arrive, là, mais je ne sais pas quoi vous dire, c’était pas prévu comme ça ! Mais bon, j’ai quitté les coulisses, je n’en pouvais plus… et dans un théâtre quand on quitte les coulisses, on se retrouve où ? Je vous le demande… ben oui, sur la scène bien sûr, c’est pour ça que je suis là.  Oui, faut que je vous dise, oui, elles fument toutes là-bas, dans les coulisses ! Oui, oui, je sais, c’est interdit, oh ben oui, oh ça je sais, oh je sais bien, (Elle crie presque) hélas, hélas! Attendez faut pas que je parle trop fort elles risquent de m’entendre… mais vous savez pas comment elles ont fait les furies ? Elles ont ficelé le directeur du théâtre comme un saucisson et lui ont mis un ruban adhésif sur la bouche, puis elles ont allumé leurs clopes ! Non, mais les drogués, c’est un vrai malheur, une vraie tragédie, elles feraient tout pour… (Elle tousse) Vous voyez les furies, je vous le disais, elles vont me refiler le cancer de la gorge, des poumons et des orteils… euh non les orteils, je crois pas… mais surtout c’est pour ma gorge que je crains, vous pensez, une actrice, sa gorge c’est son gagne-pain… Alors quand je les vois fumer comme ça… j’allais dire : quand je les entends fumer comme ça… eh oui c’est qu’elles toussent les malheureuses, si vous saviez… oui, donc, moi quand elles fument comme ça, j’en ai mal à la gorge, alors c’est pour ça, je me précipite sur la scène, c’est mon refuge, enfin j’ai peur pour ma gorge, mon larynx, enfin, j’ai peur pour moi tout entière et du coup, j’aime mieux être sur scène que dans les coulisses… le problème, c’est que c’était pas prévu comme ça et je ne sais pas quoi vous dire (Elle tousse)… enfin, c’est mieux d’être là à dire du mal des copines qui fument, que de risquer le cancer de la prostate… euh qu’est-ce que je raconte, le cancer de la rate… oui, j’ai oublié de vous dire, oui, parce que si on fume on risque d’attraper le cancer de tout ce que vous voulez, si, si, ils l’ont dit l’autre jour à la télé…D’ailleurs ils ont parlé aussi du tabagisme passif…Oui, le tabagisme passif, c’est pour ça que j’ai fermé la porte. Comment ? Le tabagisme passif qu’est-ce que c’est ? Ah, vaste question, vaste question !  Attendez, juste un exemple comme ça. Voilà, vous êtes dans un bistrot, assise là, toute seule, déprimée (forcément puisque vous venez d’arrêter de fumer) et vous croisez le regard d’un mec, un brun aux yeux verts, et là donc vous vous sentez envahie d’un immense bonheur… (Silence) Euh, non, là je confonds avec le coup de foudre… oui, oui, oui, excusez, c’est parce que dans une autre pièce je joue ce rôle là, le coup de foudre tout ça, alors ça vient interférer, je confonds, excusez-moi… Vous comprenez, là j’improvise hein, faut pas trop m’en vouloir. Oui… euh, j’en étais où? … Ah oui… le tabagisme passif, la vache de tabagisme passif… c’est quand vous respirez les cigarettes des autres…  Oui, c’est interdit de fumer dans les lieux publics, oui, je sais, mais c’est tout récent et dieu sait combien j’ai fumé les cigarettes des autres… je n’en avais jamais sur moi ; ils disaient : tu vas arrêter de nous taxer nos clopes, toi, qu’ils me disaient… non,  non, je me trompe, ça, c’était quand je fumais encore… Non, le tabagisme passif en fait, je le vois bien, je ne vais pas vous expliquer, vous savez ce que c’est… (Très vite) En gros c’est quand les autres fument, que vous fumez pas, mais que vous fumez quand même, parce que vous fumez leur fumée… C’est clair non ? (Elle reprend un débit normal) Remarquez à ce compte là, à y bien réfléchir, faudrait interdire aussi le soleil : ben oui, le soleil = le cancer de la peau. Du coup, du coup… sans le soleil, y’aurait plus de voitures qui se ruent vers le sud puisque le soleil serait interdit, ce qui fait qu’en juillet et en août, avantage collatéral, on ne respirerait plus les carburants qui font les bronchiolites des petits. Car à y bien réfléchir, les bagnoles, ça aussi c’est une forme de tabagisme, enfin c’est du diéselisme passif. Ça vous bourre les poumons de cochonneries aussi. Donc, plus de soleil, allez, on interdit le soleil…(Elle hésite)… Allez, on interdit le soleil, d’accord ? Vive la pluie ! Non, attendez, qu’est-ce que je raconte ? Attendez, je crois que je me perds un peu là, excusez-moi, j’improvise… Reprenons !
Oui, donc je préfère être là avec vous qu’avec elles dans les coulisses. Tiens, je vais vous dire un truc (Elle tousse) … c’est incroyable que je tousse comme ça, elles m’ont peut-être refilé le cancer des poumons… oui, un truc à vous dire… Voilà, en fait, comme je suis obligée de me réfugier sur la scène, en fait, vous me sauvez la vie, je vous dois la vie, heureusement que vous êtes là, oui, sans vous je n’aurais aucune raison de venir sur la scène, merci à vous… Si, si, je vous en prie, voilà merci, merci, merci, sans vous je serais morte, si, si… Ah ben si, merci ! Morte que je vous dis, enfin… peut-être pas morte quand même, non peut-être pas (Elle tousse)… Oui, parce que ça ne vient pas tout de suite, le cancer, c’est sournois, ça rampe à l’intérieur, ça peut durer des années, ça vous gratouille les branchies… non, attendez, c’est pas les branchies, c’est les bronches, voilà, oui, les bronches… les branchies c’est le truc des poissons, vous savez sur le côté le petit clapet qui s’ouvre et qui se ferme… tiens à propos de clapet qui s’ouvre et se ferme, je ferais mieux de le fermer, parce que si elles apprennent que je les ai critiquées, ça va barder pour ma fiole… Attendez, non, juste un truc avant qu’elles arrivent, vous dites rien, hein, chuuuut, vous dites rien, chuuut…

4 réflexions sur « Les méfaits du tabac (monologue) »

  1. quelle bouffée de bonheur, d’humour et de légèreté !!!
    je m’envole un peu chaque fois que je vous lis !
    quelques unes de mes STSS ont commencé à lire Des Illusions, Désillusions, elles ont l’air d’apprécier. Je n’aurai pas les financements cette année pour faire venir la troupe, ce serait possible pour l’année prochaine, mais comme je ne sais ce qu’il adviendra de moi… Je ne peux malheureusement rien organiser.
    En revanche, si votre intervention est toujours possible, mes élèves sont intéressés, et j’apprécierais vraiment de travailler avec vous.
    Bien à vous,
    Perrine.

  2. Grand merci chère Perrine, je suis bien heureux que ce monologue t’allège à ce point! En réalité, cette scène est la première d’une pièce que j’écris sur les “addictions”. De plus le titre de ce monologue est emprunté à Tchékov qui a écrit si drôlement sur le même sujet. Son génie m’a guidé, même s’il ne traite pas le sujet comme je le fais ici.
    Pour ce qui est de ma visite pour “Des Illusions Désillusions”, pas de problème. On en reparle par mails interposés. Je serais ravi de rencontrer tes élèves pour leur parler de cette pièce sur les femmes battues. Cela m’interesserait beaucoup de travailler autour de cette pièce. Merci d’avoir pensé à m’inviter. Je viendrai.
    Bien à toi,
    Raymond Prunier.

  3. J’ai hâte de découvrir d’autres textes sur les addictions…
    J’ignore quels sont les thèmes que vous aborderez, mais les nouvelles technologies devraient en faire partie intégrante ! et pour reprendre les propos d’Aldebert : “Aujourd’hui qui se souvient du temps des échanges humains ? Nous étions nous même les écrans et on se shootait aux gens.” Dorénavant, rencontrer de “vrais gens” peut faire peur, peur dont on se déleste au contact des touches, derrière l’écran. C’est étrange ce besoin compulsif qu’a l’être humain de se protéger des autres… Ou est-ce plutôt de soi?

  4. Ah oui chère Perrine, la pièce est terminée et je t’en reparle par mail. J’approuve entièrement les propos d’Aldebert que l’on peut sans peine recroiser avec d’autres de notre temps: les “écrans” (portable, télé etc) sont ce que le mot désigne, des moyens de se protéger CONTRE l’autre. L’autre est à éviter ! On l’a bien vu au moment de la grippe H1 N1, les gens se mettaient des masques et se lavaient les mains avec un produit qui est demeuré désormais dans les foyers… c’est à ce genre de petits détails que l’on voit les mutations que tu évoques. En réalité il faudra peut-être y voir le narcissisme entretenu par la publicité, la peur de l’autre, l’évitement de la passion qui oblige à sortir de soi etc… c’est un vaste problème que je retournerai comme un doigt de gant en disant que les écrans permettent AUSSI des contacts que l’on n’aurait jamais eus autrement, la télé bien utilisée est un lieu d’information sur le monde non négligeable etc… tous ces instruments peuvent être aussi être lus positivement. Tout dépend l’usage que l’on en fait personnellement. Pour la civilisation, on ne sait pas ce qu’il advient, on sait seulement que l’on est dans une période étonnamment différente de toutes celles qui ont formé la culture occidentale.

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