les souterrains de Laon (2)

“Cette cage de mots il faudra que j’en sorte

Et j’ai le cœur en sang d’en chercher la sortie

Ce monde blanc et noir où donc en est la porte” (Aragon le roman inachevé)

Obscurités gothiques

Puisqu’on cachait aux souterrains tout un monde de vin, de victuailles, de blé, il me vient que ces chemins obscurs renvoient à nos entrailles. Coloscopies, échographies, radiographies ont mis à jour depuis peu une vision claire de cette partie du corps qui nous hante chaque jour. Mais l’affaire est récente: depuis l’aube des temps l’humanité s’est préoccupée avec un zèle émouvant à décrypter les signes de notre abdomen, ce qui nous est le plus proche et qui était depuis toujours tellement lointain. C’était notre bien le plus précieux et nous ne le voyions pas, étrange monde souterrain. 

On n’oubliera pas que ce plus obscur est également à deux doigts du lieu d’où la vie jaillit. Mystère fabuleux de la naissance. La vraie vie est ailleurs, dit le poète, il veut dire le féminin sans doute, et ce passage obligé du vivant à travers le chemin des dames, souterrain encore, souterrain capital. Les choses ne sont décidément jamais simples dès qu’on pénètre sous la terre. Le touriste le sait bien qui a une curieuse impression de déjà vu, de déjà traversé, de déjà exploré, même la première fois, surtout la première fois, car ce n’est jamais la première. Il est né; divin ou pas il est né; donc ce souterrain là il le connaît, c’est ce qui le fascine, c’est le plus connu qui est le plus exaltant (ainsi le décolleté, objet de désir majeur du mâle, ouvre-t-il sur le sein qu’il téta bébé avec la passion que l’on sait). 

Pour revenir à l’histoire, il me semble qu’autrefois c’est aux souterrains que les fortunes et les vies ont été constamment ramenées. Richesses (vins, blés) entassées loin de la lumière de l’envie et de la cupidité; c’était aussi un lieu de fuite lorsque les envahisseurs avaient percé le rempart, nuit du sauve qui peut, illuminée d’un guide que l’on devine intuitif et malicieux. 

Il existe comme on voit une relation entre notre corps et la ville, nous le saisissons obscurément: la cathédrale est la tête, le plateau le corps, les souterrains sont le bas du corps, les boyaux comme on dit. A cette vision enfantine il faut ajouter les constructions souterraines qui empruntent leurs formes à la cathédrale. Les ogives sous la terre présentent une autre cathédrale où l’on pria peut-être selon des rituels peu catholiques comme le laisse entendre le poète conteur Hubert Haddad. Pas de portail édifiant comme à l’autre cathédrale, l’entrée n’est pas évidente, humble porte discrète, lourde, quelques marches, usées en leur milieu (il y passa donc bien du monde) qui projette, une fois ouverte, la lumière du dehors. C’est une structure en miroir: ces ogives noires sans but seraient le tain de la grande cathédrale. On sourit de songer que le gothique était aspiration vers la lumière et qu’ici ce style majestueux, grandiose, qui voulait dévorer le ciel, s’élance, dérision magique, dans la nuit du roc taillé. 

Une réflexion sur « les souterrains de Laon (2) »

  1. Ah, vous êtes tout à fait passionnant, Raymond. La suite de votre méditation sur les souterrains entraîne le lecteur au-delà d’une frontière. Au-delà de l’angoisse, de la peur. L’expérience du corps nous rappelle qu’il fut un temps où la matrice fut ce lieu clos et protecteur. L’enfoui. Le refuge. Instinct chez les petits qui, s’ils sont effrayés, cherchent à se tapir, se blottir dans un creux. Expérience affective et sensorielle.
    Soleil vert a récemment évoqué un roman de science-fiction où l’espace été envahi de vaisseaux-matrices organiques que l’on pourrait qualifier d’ d’utérins. Les étoiles sont légion de Kameron Hurley. J’ai fui cette chronique et ce livre qui me mettaient mal à l’aise.
    Donc, loin du corps (matrice ou intestins…), je renoue avec les mythes, les légendes, les grottes, les labyrinthes, les Enfers… autant d’abris ou de prisons qui hantent la littérature
    Marguerite Yourcenar explorant l’architecture de ténèbres inventée par Piranèse a su avec des mots traduire ce combat entre lumière et nuit, cet enfermement. Le cerveau noir de Piranèse, (titre qu’elle a donné à son ouvrage s’inspirant de cette expression de Victor Hugo). Les seize planches des Prisons sont impressionnantes. Un monde irrationnel où des personnages errent dans des galeries perdues. un songe…
    Je me souviens aussi d’une lecture ancienne Voyage au centre de la terre de Jules Verne, de la Divine Comédie de Dante. Que de dangers…
    Mon imaginaire me conduit maintenant, loin du royaume d’Hadès, des Enfers, de l’Achéron vers un autre monde souterrain, notre inconscient, le refoulé, nos ombres… et nos rêves qui ouvrent la porte à ce monde du lointain passé.
    Vous voyez, Raymond, comme vos textes sont porteurs.

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