l’eau douce

la terre n’est qu’une pente infinie vers la mer

que l’eau douce rejoint avec sa fine saveur 

arrosant les bois les prés contournant les jardins 

déroulant impavide son flot parfois violent

jusqu’aux houles salées qui se fâchent en mars 

là où oiseaux et bateaux glissent toujours 

sous l’horizon gros de soleils couchants

dans le roulis inoubliable des eaux 

négligeant les coquillages compliqués

que mon pas écrase sur l’estran

il me semble que je dois garder en mémoire la source

j’ai la nostalgie de sa douceur

de la grande douceur de l’eau vierge

qui grossit en ruisseau puis en rivière

elle seule étanche la soif dans ses graves courants

purifiée des nuages et des terres

mais me voici sur la falaise dominant l’estuaire

j’admire le mascaret qui mêle le doux et le salé

l’émotion presse contre mes cils 

un air de piano fait des vagues croisées 

et je songe tout à coup qu’à Schubert

qui composa nombre de vagues successives

il ne fut jamais accordé 

d’entendre ni de voir aucun océan

24 réflexions sur « l’eau douce »

  1. “L’eau est la maitresse du langage fluide, du langage sans heurt, du langage continu, continué, du langage qui assouplit le rythme, qui donne une matière uniforme à des rythmes différents. ”

    (Gaston Bachelard- L’eau et les rêves)

    Je pense, vous lisant, à “Rêverie” pour piano de Debussy. C’est de l’eau pour moi qui habite cette pièce musicale.
    Votre eau est double, duelle, douce ou mystérieusement impétueuse. Jean-Yves Tadié a publié un essai “Le songe musical de Debussy” dans la collection “L’un et l’autre” dirigée par J.B.Pontalis (Gallimard). Une belle méditation pour ce grand lecteur de Proust.
    Donc promenade dans l’estran. Odeur de varech et coquillages crissant sous les semelles.

    1. Bachelard a raison: l’eau aide le langage à s’assouplir, quand je dis musique je pourrais aussi bien dire l’eau, surtout le piano, et dieu sait comme Debussy est aquatique. il est un virtuose, un torrent perpétuel, jusqu’à la mer. Ses préludes doivent beaucoup à l’eau sous toutes ses formes!
      Ah oui Jean Yves Tadié parlant de Debussy, ce doit être très bien…. Debussy, Jankélévitch en a superbement parlé, j’ai oublié le titre, c’est “la musique et…..”, mais vous connaissez certainement, la prose de Jankélévitch étant proche du ton Debussy, j’ai beaucoup apprécié ce livre.

      1. Vous avez raison d’évoquer cet essai inoubliable de Jankélévitch sur Debussy. Livre érudit, rare, puissant où le musicien passionné qu’il était a su approcher le silence nocturne, l’ineffable, la puissance hypnotique de la musique de C.Debussy.
        Mais place aussi à l’essai très attachant bien que plus modeste de Jean-Yves Tadié, sensible et profond, écrit en courts chapitres dans cette langue un peu surannée qui est sa marque. (Prix Pelleas en 2009). J-Y.Tadié a une passion réelle pour la musique de Debussy qu’il découvrit enfant sur les 78 t. noirs et rouges et n’a cessé d’écouter. Il a lu sa correspondance et explore dans cet essai sa vie, son rapport à l’imaginaire. De belles images de la nature, de l’eau… Une esquisse d’une cohabitation de deux moi, celui du monde intérieur (création, fantasmes…) et l’autre qui affronte la vie réelle, l’extérieur.
        Puissance de l’imaginaire et des songes, et transcription de ces rêves en musique.

        1. Je ne sais rien de ce que Debussy affronta dans la vie réelle; je sais ce qu’il en est de son piano (préludes) qui, me semble-t-il, mais J Y Tadié m’en dira davantage, est un instrument gigantesque, énorme auquel il fait dire des choses inouïes, montagnes de notes qu’il entasse à plaisir; la mélodie horizontale est tellement entourée de notes qu’elle en devient verticale: brouillard, brume, Monet dans la musique, épaisseur très légère, fines gouttes innombrables qui grâce à la pédale résonnent longtemps. On dirait qu’il lutte contre l’horizontalité de la musique qui forcément est l’art du temps qui avance là devant. Il s’essaie à creuser l’espace. Cela pour le piano. Pour le reste je n’en sais rien.
          Et il réintroduit le réel dans des thématiques précises, titres littéraires, paysages rêvés. Après le romantisme qui rêve d’un monde qui n’existe pas ailleurs que dans le sentiment, on dirait qu’il va rechercher le monde de Couperin avec ses titres qui disent par avance que c’est le réel qui est cherché. Je crois que ce fut pour Debussy un jeu pour dire autre chose avec son fond solide de virtuosité.
          Ce que je dis ici, je n’aurais su le dire il y a cinq ans; découverte tardive donc…. même si Jankélévitch m’avait amené au plus près. Et Chopin bien sûr.
          Une curiosité que j’aime à penser:
          Elève de Chopin, la belle mère de Verlaine ( la mère de Mathilde Mauté donc), fut un temps le professeur de piano de Debussy.

          1. Merci pour Debussy Tadié, j’attendrai !
            Pour le 17 mars on a le temps d’en reparler. Un hôtel à Laon ça se trouve !
            Merci d’avoir accepté le principe !

          2. Oui, j’ai appris que la lecture d’un livre peut être patience de l’attendre.
            C’est bien l’hôtel à Laon. Merci de chercher.
            Hâte de découvrir l’atelier d’Élisabeth Detton et votre terre de mémoire et ces étranges encornés là-haut. Il y a un vitrail aussi. Bref. Joie en perspective.

          3. … et la croisée de transept si haute qu’elle vous a fait rêver et écrire ce poème de lévitation !

          4. Pour l’eau et la croisée du transept, j’ai parlé dans mon petit livre sur Laon de la douche clamante; allusion à la lumière qui dégringole de la tour lanterne. Je vous montrerai quand vous viendrez. C’est évident. Mais du coup vous avez l’intuition de la chose! Bravo!

      2. Pour vous faire patienter, un petit fragment de l’essai de Jean-Yves Tadié “Le songe musical – Claude Debussy” (Gallimard).
        P. 101 (début du chapitre “Émotion et musique” :
        “L’émotion que Debussy a éprouvée devant la mer, pouvons-nous la retrouver dans l’œuvre ? D’autant que, s’il a aimé passionnément la mer, il a composé son poème symphonique en Bourgogne. A l’inverse, lorsqu’il fait des séjours féconds à Pourville, près de Dieppe, il ne compose pas d’œuvres au titre maritime. Ce que nous trouvons dans l’œuvre est dans l’œuvre elle-même, non dans un en deçà biographique. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons vérifier dans la biographie si telle émotion s’y trouve et, même là, nous sommes renvoyés aux mystères de l’imagination, qui ne se représente bien, comme le disait Proust, que ce qui est absent. La biographie est l’art de l’absence. Entre l’émotion et l’imagination, le lien n’est pas apparent. La plus exquise sensibilité ne mène pas à la création, (…). tout est dans le mystère de la traduction, qui est métamorphose. Une émotion brève peut s’incarner dans un court poème, dans un prélude, un nocturne, une valse. Combien d’émotions pour un poème symphonique ? Et pour un drame lyrique (en cela comparable au roman, long tissu d’émotions) ? Et quand ressenties ? Maintenant ou jadis ? En écrivant ou dans le souvenir ?
        L’atmosphère d’un prélude de Debussy peut être décrite, mais nous ne sommes jamais assurés de retrouver l’état d’esprit de l’auteur lorsqu’il composait l’oeuvre, ni celui qu’il a voulu y laisser.”

        Voilà un peu de ce que je ressens quand je m’essaie à commenter vos poèmes.

        1. Ce propos est fabuleux. Je me souviens d’un mot de Debussy: pour un musicien il vaut mieux regarder un soleil couchant que d’écouter la sixième symphonie. Oui Debussy n’a pas besoin de la mer pour écrire la mer. Je crois bien que ce serait un obstacle. Comme le pollen des fleurs de pommiers pour Proust. ça fait tousser, c’est trop brûlant. Je ne comprends pas bien les impressionnistes (ah si, c’était nouveau, donc à tenter); on n’a pas besoin des nénuphars, des nymphéas… Suffit de les rêver.
          Je crois que le souvenir et le rêve sont bien plus musiciens. J’adore “l’imagination ne se représente bien que ce qui est absent”. Grande idée de Proust.
          Vous savez pour prolonger je dirais que c’est un propos de fin de siècle. Je ne sais pas trop pourquoi je dis cela puisque je viens d’approuver tout ce qui est dit ici. Cela vient je crois qu’un propos d’un écrivains allemand que je traduisais et qui me dit (on avait passé l’an 2000 ) si je dis Debussy fin de siècle est-ce que l’on comprend en français que c’est la fin du XIXème siècle? J’ai dit oui. Je n’en suis plus très sûr. Cela ne correspond pas à ce que disent par exemple les préludes.
          Debussy c’est plus proche de Boulez que de Saint-Saëns. Et du coup fin de siècle pour Debussy me paraît erroné. Mais c’est vrai que c’est l’articulation, le passage au siècle 2000 qui provoque ce pataquès. Qui je le reconnais est assez drôle.
          Je n’ai pas répondu au fond de ce que vous dites. Je suis très flatté que vous m’emportiez dans ce monde. J’espère à tout le moins que je m’en approche.

  2. Retour à Jankélévitch, (au cours d’un entretien avec Robert Hebrard) quelques confidences qui devraient vous faire sourire…
    “Je joue du piano… pour rien. parce que j’en ai envie. c’est une grande partie de ma vie. Je me demande même si je n’aime pas le piano davantage que la musique. le piano, c’est un plaisir complet, qui va jusqu’au bout des doigts : il y a in plaisir particulier à enfoncer les touches.
    Quand je joue, je suis dans un état d’innocence complète. Le temps est un milieu indéterminé, sans frontières, qui nous enveloppe, et le temps nu, c’est l’ennui. La musique est le meilleur remède à l’ennui, c’est-à-dire à la temporalité informe et brouillardeuse. S’il n’y avait que le temps, on en serait réduit au suicide, c’est pourquoi la réclusion est une peine si sévère. Mais la musique est du même ordre que le temps, et c’est une temporalité enchantée : le temps est ensorcelé par la musique.”

    1. “La temporalité enchantée”; quelle formule ! Je suis sans arrêt en conflit avec mon piano. Je ne parviens pas à avoir du temps pour lui. Je vois bien qu’il s’ennuie tout seul contre le mur de la pièce principale. J’approuve totalement le propos de Vladimir. Vous savez, l’idée c’est que je me dis qu’à mon âge c’est un peu tard. J’ai joué successivement de la clarinette (conservatoire deux ans, du sérieux! 14 à 16 ans) puis j’ai voulu la guitare pour chanter Brassens; ça m’a duré longtemps jusqu’à 40 ans et plus, mais ce n’était pas bien sérieux. Puis enfin ces cinq dernières années le piano, à tel point que je n’avais plus le temps d’écrire. J’ai tout rejeté pour écrire. Mais je m’aperçois que chaque jour je lorgne vers le piano, je me considère comme un débutant. Du coup je ne sais plus jouer de la clarinette, j’ai du mal à me remettre à la guitare et le piano qui aurait tous mes suffrages se perd à cause des mots.
      Ne croyez pas que ce léger malaise ainsi décrit soit triste. Je vois la musique comme une passion parallèle, une amie ingrate et difficile, mais je n’étais pas fait pour ça, je veux dire pour jouer en public, trop timide. Je vais me remettre au piano je crois, je vous tiendrai au courant de mes aventures mais j’attends les chants d’oiseaux. IL y en a eu un qui tous les soirs vers six heures, attendait que je me mette au piano. C’était un merle. C’était avant le confinement. Il n’est pas si facile que Vladimir le dit, de jouer du piano. Pour un instrument il faut un objectif, un public. Vladimir (je le sais par un ami qui le fréquentait régulièrement) jouait pour lui, c’est ce qu’on lit bien ici. Il possédait une bibliothèque de partitions comme nous avons des livres. Je crois me souvenir qu’il n’avait pas de disque; quand il voulait de la musique il en jouait. C’est ce qui faisait qu’il avait un objectif ce qu’il n’avoue pas ici. Il faut un objectif, je vous assure, sinon la musique que l’on pratique n’a pas grand sens. Un objectif c’est un concert, un jeu entre amis (Quignard) ou comme Vladimir, un jeu pour soi (mais c’est la vieille école)…
      Je vous conterai quelque jour une anecdote sur Vladimir. Je vous fais la bise.

      1. Ce que dit aussi Jankélévitch (dans le même entretien) à propos de l’oralité : “On m’a dit parfois que j’étais surtout “oral”. Je suis oral parce que je suis professeur. C’est ma croûte. Mais j’ai un débit saccadé, haletant, vertigineux, découpé en petits morceaux. Ma culture n’est pas oratoire comme la culture latine. Et j’ai toujours la nostalgie de l’écriture.”
        Vous aussi, vous avez toujours la nostalgie de l’écriture.

        1. vous avez entièrement raison. Je fus professeur. Ce fut ma croûte ! Certains élèves m’appelaient Lucchini. Je n’arrive pasà deviner comment vous savez cela/
          Je crois que mes poèmes ne sont pas des poèmes, cela je l’ai dit. Ils sont mots rêvés.
          Mes textes ne sont pas faits pour être lus seulement.
          Ou alors à haute voix.
          Je vais lancer un moment de poésie contemporaine ici à Laon. La première aura lieu le 4 Mars: je vais lire mes textes à haute voix. Je ferai cela tous les premiers vendredis soirs du mois…à partir de 18h, ça durera environ une demi heure. Je vais lancer l’annonce là aujourd’hui ou demain. Nous sommes en pleine actualité !!Bises à vous.

          1. Oh, rien de tout cela , Raymond. C’était juste la priorité de l’écriture sur autre chose parce que vous évoquiez l’abandon trop fréquent de votre piano au profit de l’écriture.
            C’était pour aboutir à cette pensée :
            “Vous aussi, vous avez toujours la nostalgie de l’écriture.”
            Bonne soirée.
            Mais c’est très drôle votre portrait de vous en prof-Lucchini. Je vois tout à fait la course des mots en ce que vous vouliez dire à vos élèves. Une sorte d’eau bondissante faite de joie de transmettre.

  3. Dans l’essai de Jean-Yves Tadié que je vous donnerai prochainement, tout au début, pour expliquer comment il s’est approchée de Debussy, il écrit : “C’est par la reproduction en soi de ce qu’ont croit être l’autre que l’on peut retracer sa démarche créatrice, qui est obscure.”

  4. Je reviens sur le qualificatif “modeste”, une des plus grandes vertus, la plus discrète. Quelque chose qui est offert sans tapage, presque du silence. Authentique. Une lecture qui laisse une empreinte mystérieuse. Une vibration… N’appelle-t-il pas son livre “Le songe musical – Claude Debussy” ?
    De Jankélévitch je retiens surtout les ouvrages philosophiques. La vacillation d’un homme qui tente d’échapper au néant. Un passager évanescent non dénué d’humour. Un style. Le contraire d’un spécialiste. Un faiseur de lumière qui suit la présence et l’écoulement du temps.
    “Chaque moment de notre vie advient une seule fois dans toute l’éternité et ne sera plus jamais.”

    1. Ce n’est pas un philosophe(si quand même), même moraliste. Il s’intéresse au mal mais à l’ironie aussi et à la musique donc. Modeste, oui, voilà, c’est le mot. La lecture même rapide de son gros livre sur la mort, est impressionnante. J’ai rêvé un jour de les avoir tous sous la main, mais n’étant pas philosophe de formation, je n’ai pas eu la joie de les avoir là comme on a un recueil de poèmes. Et puis j’avais un ami qui le connaissait trop bien. Il l’imitait, le ridiculisait, comme font tous les épigones.
      Comme vous j’admire son courage et surtout son humour. Un début de phrase à l’oral, attrapé comme ça: “On ne peut pas calculer la vitesse de Dieu en plein vol, mais ….” C’était aussi une manière d’acrobate, vous ne trouvez pas?

      1. Un jour ma fille de passage s’est arrêtée songeuse devant ma pile d’ouvrages de Jankélévitch. Elle m’a demandé si elle pouvait en emprunter un. (Je l’ai aussitôt racheté). Ils sont là, à portée de mains comme une énigme aimée. Je les lis, m’y attarde, les interroge, m’interroge. C’est un combat contre le temps, la mort, le néant. C’est un homme debout, un lutteur au regard plein d’étoiles. Son livre sur Debussy, je l’ai traversé par amitié. Ai choisi mes pauses surtout celles où il évoque le mouvement dans l’immobilité ou l’inachevé. C’est magnifique mais trop savant pour moi. Il explore toutes les œuvres, les partitions, les personnages de Debussy. C’est magnifique mais trop immense. Je m’y perds. Je l’écoute en le lisant, dodeline de la tête, et tourne comme un derviche ou une toupie. Voilà un homme pas ordinaire. Même mort, il pense encore, il parle encore et ça habite la nuit des hommes de plénitude.

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