Le blanc

(Ecrire des poèmes c’est forcément penser au blanc qui termine la ligne commencée en noirs caractères… que dire de ce blanc?)

Le renvoi interruption de la ligne, c’est quand je m’enfuis d’avoir osé.

Le blanc est menace; sa présence accélère, force mon propos.

C’est un silence qui vient à contre sens cogner contre la parole écrite.

Il se fait un sacré bruit, un bruit sacré, quand la parole rencontre le blanc.

Les mots sont des fruits suspendus au-dessus d’un lac de silence ( “Moitié de la vie” Hölderlin).

Le passage à la ligne est une danse qui s’invite à l’intérieur de la parole. Mais elle menace de tout saccager à cause du court laps de temps où je n’écris pas.

Mon rêve est que la parole ne cesse jamais: que le blanc surgisse et c’est la défaite; c’est pourquoi il faut un autre vers puis un autre.

Pour les petits poèmes je suis sur une mer de glace; les vers se réchauffent et se protègent mutuellement.

Le blanc c’est toutes les couleurs, donc il faut contre ce brouillage multicolore, gribouillis, inventer un monde stable, clair, le plus clair possible.

Le blanc est une avance dans la neige; chaque parole est une trace de pas qui affirme ma présence.

Je pense ici à la neige qui déborde partout et tout le temps dans le château de K. Il s’essouffle(tuberculose). On ne connaît pas la fin. Ou plutôt on la connaît trop bien.

Le blanc c’est l’évanouissement après avoir été présent. On voit de quoi il est question.

Le blanc c’est le “tu ne chanteras pas” que l’on trouve à la fin de tous les Asterix; bâillonné, ficelé; je n’ai jamais souri de voir le barde rendu muet.

Son contraire est le “bon génie” qui enchante la maisonnée toute blanche; le musicien.

Ce qui fait l’espérance du blanc non écrit c’est l’envol du cygne, le futur, où dans un instant le pur présent éphémère va faire lever l’écriture.(Mallarmé)

Le blanc, c’est le ciel de chez nous, où l’esprit souffle pour en masquer la pâleur. 

En hiver, le septentrion pèse de tous ses blancs.

La voix blanche, ce sont des mots proférés hors sol, le sens sans la musique. 

Les draps blancs sont dans la nuit autant de je t’aime potentiels où se murmurent des promesses parfois tenues. 

Je me rappelle l’école où la craie faisait frissonner de toute sa blancheur dès qu’on la touchait: le seul souvenir du contact me parcourt encore le dos. Son crissement dessinait au tableau les crises futures.

La nuit blanche semble marquée des rides du malheur. 

La neige, gomme insaisissable,  efface le monde puis elle l’éblouit sous le premier soleil.

S’habiller de blanc c’est chanter à pleine voix. 

Joie du jardin enneigé, pur de tout pas. 

Miracle du printemps: blanches sont les fleurs du paradis. 

Les mouettes empruntent à l’écume. 

J’ai connu des pays de craie où c’était l’hiver tous les jours.

Cet emballement quand la page et son blanc disparaissent, ne laissant que mes noirs caractères.

Au téléphone, les blancs sont emplis de murmures indistincts.

Le lait fut mon premier coup de blanc. 

(à suivre)