l’an futur
il y aura forcément
du sourire et des gâteaux
les vignes croissant à deux pas
le champagne couvrira les voix
et l’on enterrera feuilles rêves et soupirs
dans un immense présent
gouffre intouchable pourtant
même au jour de bascule
on ne sentira pas le cliquetis
féroce de l’horloge électrique
et la main sur la bouche
j’observerai la nuit du fol hiver par la croisée
nuages graves lune grise
je ne suis pas pressé
ce novembre me va
je pense souvent penché sur l’âtre
à ce jour du bilan
fumée brune et bleue
tout me souffle l’éphémère des joies
c’est ainsi qu’auprès du feu
je songe combien est charmant notre petit novembre
esseulé crémeux sobre
je fais couler en gorge un peu d’eau piquante
et levant le liquide léger
à travers sa transparence
j’aperçois dans le ciel
un avion tout chargé de lointains visiteurs
qui faufile son col autour des nuages
je bois à leur santé
souhaitant bon voyage
à ceux qui volent
et à moi qui demeure
https://jepeinslepassage.com/une-simple-lampee-de-bonheur/
De poème en poème suivant la descente en bleu, j’ai trouvé celui-ci qui éclaire tant votre écriture…
Oui, je regarde en arrière et je vous donne entièrement raison.
“L’éphémère des joies”, écrivez-vous.
Mais les fêtes – dont celle que vous évoquez – ne sont-elles pas accueil des souvenirs, et certains sont de joie hors du temps, là où l’éphémère se lie à l’éternité.
Je vous suis. Les épiphanies nous catapultent en répétitions, anniversaires, fêtes, fusions finalement dont en effet Hölderlin disait qu’elles avaient à voir avec l’éternité (“comme au jour de fête” poème énigmatique et si beau). Il est curieux que vous ayez repris mon expression pour rappeler cette fidélité à soi-même dont le tohu-bohu consommatoire présent tend à nous faire oublier les modestes harmoniques d’éternité.
être vivant, c’est parfois participer à ces fêtes autant que faire se peut, mais accepter d’y être dissous dans la globalité.
il me semble que Jean Jacques parle aussi de la fête en ces termes. Dans les “rêveries” je crois. Je laisse ce souvenir jouer sans vérifier; il y est question d'”oublies” et j’ai toujours pensé que jean Jacques avait choisi ce mot pour les résonances avec le souvenir.
Je viens de regarder la version longue (180mn) d’Apocalypse Now – final cut, de Copola. Je me souvenais du roman de Conrad Au coeur des ténèbres qui a donné naissance à ce film terrible sur l’horreur de la guerre. Copola le traînait dans sa poche pendant le tournage… apocalyptique.
Et je pensais aussi à tout ce que vous a inspiré la guerre de 14/18, le Chemin des Dames.
Le colonel Kurzt meurt en murmurant : L’horreur…l’horreur… Une façon d’échapper à sa folie meurtrière.
Mystérieusement cette horreur est opposable à la joie et au commentaire lourd de sens que vous venez d’écrire. Comme la nuit s’oppose au jour et l’ombre à la lumière. Laideur et beauté. Horreur et plénitude. Vie et mort. Souffrance et bonheur.
Cette déchirure des contraires travaille toute votre écriture.
J’écoute, retransmis sur Arte, le dernier enregistrement d’Arthur Rubinstein, à Londres, en avril 1975. Ultime cadeau
à 88 ans… avant qu’il ne perde la vue quelques mois plus tard. Il a choisi le concerto pour piano numéro 2 de Chopin. Une oeuvre qu’il aimait. En osmose parfaite avec l’orchestre. Quelle interprétation et quel jeu fluide. Nul besoin de partition, l’oeuvre est là dans son coeur et au bout de ses doigts. Parfois une note suspendue… j’attends la suite en apnée. Parfois une nuance imprévue qui serre le cœur.
C’était aussi un lecteur passionné (Dostoïevski, Baudelaire, Shakespeare…).
J’ai souvenir de son sourire, les yeux déjà abimés, il jouait vraiment par coeur, “par coeur”. Il habite chez Chopin. Personne n’a ce son. Cziffra pour les études, Arrau pour les nocturnes, mais les valses, les préludes et les concertos sont à lui pour longtemps. Ah j’ai oublié les mazurkas; d’autres sont venus c’est vrai (J M Luisada), mais dès que ça bouge un peu joyeux, au-delà du tragique, que ça redanse, Rubinstein est là; la pierre qui dort en son nom miroite joyeuse. Etrange carrière d’un qui nous vient par son père de pas très loin de Chopin et qui nous le restitue heureux. La joie après avoir traversé le Rubicon du tragique.
Il était tant habité par ce concerto. Très beau visage marqué par la vieillesse et la cécité proche. On aurait dit qu’il créait cette musique. J’étais subjuguée.
Et tout cela avec dignité et sobriété. L’essentiel était dans cette musique si merveilleusement interprétée.
Coppola – Kurtz
Un homme de très grand âge qui chante la joie de vivre, avec mélancolie pourtant: rien de plus beau. Oui, l’interprète a cette illusion et donne à l’auditeur cette impression: il crée l’œuvre; à y regarder de près (cette liberté de ton, cette fraîcheur distanciée) c’est vrai puisqu’on ne l’avait jamais entendue comme ça auparavant.