La montagne couronnée (4 nuit )

La nuit tout change. Éclairée, elle jaillit triomphante, fait des mines aux étoiles en criant qu’elle est la plus belle; sur fond d’encre, illuminée pleine face, elle drague, elle se farde toute seule , curieusement elle s’éloigne, actrice détachée du drap de nuit, elle devient la montagne couronnée de nos rêves enfantins; mais il manque justement la montagne. C’est trop. Il y entre du songe mensonge de la marchandise rutilante et sucrée; elle se demande, je crois, ce qu’elle fait là et une fois passé le sifflement d’un qui apprécie, me voici bras ballants, souriant des trompettes fanfaronnantes des tours enguirlandées. J’admire, puis plus rien. La voilà consommée. Toute autre est la cathédrale non éclairée, la vraie, de nuit. On ne la voit presque pas, un bout de lune déchire la pierre, le grand mystère s’avance, navire dans l’obscur du présent, j’avoue que j’ai peur parfois que les arcs de leurs bras fastueux fassent craquer mes os. Un frisson parcourt le plateau; quelque chose palpite dont je ne sais rien, mais c’est davantage que l’espérance, c’est le goût de vivre au plus près des grands événements. Il a fallu la nuit pour que je la voie vraiment : c’est sa stature magique que j’esquisse sur le tableau noir du cosmos, mais c’est pure invention et la voilà qui s’avance, plus près, encore plus près, tandis que les constellations tournent avec les tours justement, là où les bœufs obscurs cette nuit ruminent les jours, recouvrant enfin leur signification perdue: c’est une magie tellement archaïque qu’elle s’incarne en animaux de trait qui s’évitent du regard, et meuglent pour faire entendre la voix grave du monde, de la terre qu’ils ont quittée et qu’ils chantent pourtant à leur humble manière. Nos contemporains bienheureux laissent perler un bleu grave et joueur qui arrose l’intérieur des tours, chanson des yeux qui rappelle les belles de nos contrées, discrètes et douces, avec leurs yeux verts bleus gris, là-haut, tout là-haut… Je tourne le dos à ce que je n’ai pas vu et dans la nuit, dormant, je suggère à mon esprit le souvenir d’un animal, encore un, aux pattes énormes formées des arcs boutants; il rampe à deux pas, il nous garde, félin audacieux qui feule dans la nef de mon crâne, comme en écho. On ne dort pas ici comme ailleurs. On se sait protégé. C’est la nuit de la foi du charbonnier qui dort comme un plomb et profite de ses rêves colorés qui coulent dans le jour pour ouvrir encore son esprit aux fêtes frissons du présent.