La montagne couronnée (9 chemins)

Lorsque le besoin se fait sentir d’une promenade digestive, c’est l’embarras. Deux chemins s’offrent aux pas. On peut préférer la promenade au niveau des pentes, là où le calme s’élargit à vive allure jusqu’à l’horizon. C’est l’avance du rêveur qui s’attarde sur son plaisir; il domine le paysage et songe en sa logique: ce pays m’appartient puisque je le vois tout entier. Parfois la vue est obstruée par un arbre, c’est vrai, mais cela ne dure jamais. Il avance, rêve, extérieur à la cité et assume tous les risques. Dans le dimanche irrésolu, il est au pied du mur, suit l’ombre des remparts, lorgnant en contrebas l’arrivée hypothétique d’un envahisseur. Il y en eut tant. Je ne peux m’en empêcher, je confonds leur souffle avec le vent du nord; les vikings – ou peu importe leur nom –  n’ont jamais cessé d’affluer; le noroît les portait par la mer et les fleuves. Il me semble encore entendre les cris de ceux qui surpris par l’ennemi, dos à la pierre, furent cloués d’une lance ou d’une flèche; le malheureux, il lui suffisait pourtant  de franchir la porte de la cité à quelques mètres pour conserver son seul bien, sa vie. Le chemin du bas était l’embûche assurée. Le lieu des plus affreux cauchemars. L’injonction: “Ne reste pas dehors”, semble s’être transmise depuis ces lieux risqués. Décidément, Il faut toujours emprunter l’autre chemin, celui où les remparts remplissent leur office rigoureux, quand la pierre appuie sur le nombril et que l’on a l’impression d’un chant de victoire avant que la bataille commence. C’est qu’on est dedans, on avance en prince, le sourire en prime. Rien ne peut arriver, le pas est ferme, jusqu’à rêver que l’on marche sur les cimes des subtils acacias qui nous font cortège dans le fond du vallon et semblent les contrebasses de la symphonie des pierres qui dansent. L’orchestre des rues étroites qui se croisent sans cesse est malicieusement perturbant, c’est vrai, et tout à coup on cogne au rempart alors qu’on se croyait perdu et la cathédrale et l’église de l’ouest, si juste avec son Martin qui donne plein vent son fameux manteau, elle, si audacieusement petite sœur de la grande, servent d’appuis soudains au regard reconnaissant de l’égaré. La promenade qui risquait la déroute est redirigée constamment par la ceinture habitée qui dégringole partout sous les pas. La splendeur des couchants vue depuis ce chemin est le long linceul dont parle le poète; la rambarde gémit presque sous la paume, comme pour rappeler qu’il n’y a pas que les orangés lointains, mais également la grise pierre calcaire posée par l’homme et sur laquelle j’appuie mes avant-bras : elle seule permet la longue contemplation de ce pays proche qui miroite longtemps.