bouche

je me souviens de l’enfant sage

où sur la scène du souper 

ma bouche refuse d’engloutir

le chou et toutes ces choses vertes

qu’on a coutume d’enfourner vite 

en fermant les yeux

c’est l’oesophage qui dit non 

à deux doigts du pharynx 

qui ne peut pas dire non 

s’engage une lutte muette et grave

entre le regard de la nourricière

et l’instant où la bouchée enfin déglutie 

un sourire s’esquisse tout intérieur

plus tard il faudra digérer

couleuvres avanies 

pressions du goût commun

de bons esprits pousseront à la roue

emportée par le jeu du monde

il faudra goûter jusqu’à leur musique 

et la vilénie légitime de l’âge venant

s’épanouit alors le rictus de jalousie 

et sa propre rage à ravaler les envies

d’autrui parfois de soi

Mais j’ai souvenir d’une limonade

un jour dans mon palais

subtile beauté des étincelles en bouche 

sous le soleil d’avril 

et cent battements de cils

au fond du quartier doux 

c’était le printemps été de tous les jours  

et de nos bouches enfin utiles

s’échangeant mille souffles colorés 

mon amour je t’aime etc

aspirant goulûment l’autre

et dévorant les fruits de la passion

jolie salade de fruits défendus

63 réflexions sur « bouche »

  1. Avaler de la nourriture… Quel enfant n’a pas connu cette torture avec certains types d’aliments quand il n’arrive pas à les avaler ! Il mâche, il essaie d’avaler mais ça ne passe pas !
    L’inverse aussi, il avale sans prendre le temps de jouir d’un mets attendu. Avale pour se réconforter, pour assouvir un manque qui n’est pas dans la nourriture. Un soulagement qui ne dure pas longtemps…
    Vivre l’expérience de manger, d’avaler avec tous ses sens. Connaitre le plaisir, le ravissement ? On passe des choux à la limonade.
    Mais qu’est-ce que c’est que ce poème qui n’est pas un poème, vraiment, où rien ne nous est épargné de l’anatomie (pharynx, œsophage…)sauf à relire le final, imprévu, source d’émerveillement.
    Besoin d’aide.
    Je me tourne vers la poésie de Michel Deguy. Par exemple, ce texte :
    “Catachrèses
    Cette pièce ressemble à un départ de 100 mètres avant le starter ; tout l’air est tendu ; les tendons des chaises, les avant-bras des fauteuils, les talons de la table, les rideaux d’air, tout est tendu, dans l’attente que la sonnerie se fasse entendre, ta vibration, je bondirais si je l’entends ; je t’attends.”
    Un peu comme dans votre poème “Bouche” : “et de nos bouches enfin utiles s’échangeant mille souffles colorés mon amour je t’aime etc aspirant goulûment l’autre et dévorant les fruits de la passion”

    Le désir se nourrit du manque, de l’absence, de la lacune. l’attente amoureuse se projette pour Deguy sur les meubles et pour vous, Raymond, dans ce poème, sur les nourritures d’enfance.
    Métamorphoses. Faire de l’infini avec du banal bien réel. L’autre est alors évoqué par cet échange. Le poète cherche l’image pour faire apparaître son désir. Il fabule. Irréel du présent puisque le réel cache le virtuel. Conscience poignante de dire sans vouloir dire. Expérience du langage comme un retour vers soi dans cette poésie.
    Claudel prends un autre chemin dans “Le partage de midi” :
    “Ô je n’en puis plus et c’en est trop et il ne fallait pas que je te rencontre et tu m’aimes donc, et tu es à moi et mon pauvre cœur cède et crève.”
    L’émotion invite à nommer.
    Je pensais à Deguy, poète et philosophe car il est mort, à 91 ans ce 16 février 2022.
    J’aime sa poésie pensive.

  2. “subtile beauté des étincelles (…) s’échangeant mille souffles colorés ”
    Voilà, Raymond, je fais un rapt de mots dans votre poème pour aller vers un autre texte de vous qui me fascine. C’est dans votre livre “Laon ou la cité intérieure” (édité par “L’Arbre” et si magnifiquement imprimé et mis en page par l’imprimeur Jean Le Mauve à Laon.)
    Cela complètera ce que je vous ai écrit sous le poème “Ogives”.
    C’est à propos des vitraux (p. 58 et 60).
    “Je savoure tout ce temps au milieu des immenses écoutilles colorées du navire échoué là, et qui racontent le rêve, commentent le vide (… ). Et le vitrail (…). Entre nous et le ciel, il envoie des messages à la manière du chamane, décompose la blanche lumière écrasante et restitue le réel dans toutes ses facettes. (…)
    C’est un travail d’écriture où le trait noir qui sépare chaque morceau dessine des formes sèches que mouille la couleur élue. Les teintes ne se chevauchent jamais (…)”

    “L’histoire nous conte qu’après 1200 l’homme en a rajouté et la baie s’est ouverte au fil des siècles. On n’a pas compris que la pierre, la nuit, l’ombre, étaient le négatif nécessaire à la révélation. On a continué à chercher, à ouvrir, à percer les mille secrets de la nature. On n’a rien trouvé d’essentiel : comme à l’âge de pierre aucun père ne peut répondre à aucune question d’aucun enfant. (…) On a inventé l’insomnie et son enfant monstrueux et fécond : la nuit blanche, la nuit non dormie, l’agitation perpétuelle (…) et que l’insomniaque de Combray, voulut un temps prendre pour emblème de son œuvre.”

    Et dans les églises romanes les vitraux en grisaille ou, à notre époque, ceux de Pierre Soulages et du maître verrier toulousain Jean-Dominique Fleury de l’abbatiale de Conques (1040) en verre translucide qui laissent passer la lumière baignant ce lieu mais pas la vue extérieure.. Un ensemble rythmique où obliques et courbes inscrivent des mouvements d’onde comme la modulation de la lumière venant de l’extérieur.

  3. Merci, Soleil vert pour ce mot de Michel Deguy :

    “Attendez d’être porté par un ange
    Au lieu où la vue s’offre sans magie
    Terre fragile sous le faîte des mains
    Tout est marche où s’exhausse non Babel
    Ni le colombier même vu de Jacob
    Mais où monte la terre sur l’autel du sol
    Jusqu’à ce point d’elle-même si nous savons
    Où l’analogie de ses pistes nous guide vers
    Ses monts ses fentes ses lisières ses eaux
    Lézardes entre les heures où pareil au mulet
    Son chemin me partage entre tout et tout”

    Michel Deguy, Ouï dire, in Donnant Donnant, Poésie / Gallimard, 2006, p. 121

  4. Et pourquoi pas mais sous une autre forme peut-être loin des vers, des majuscules, du rythme qui veut dompter. Aller alors plus loin encore dans la descente, la non-absorption de l’intrus, dans la colère rentrée et le dégoût, la révolte contre l’obligation d’être sage, de “tout manger” face à la mère nourricière.
    Et ensuite comme je comprends cette délivrance associée à ce souvenir d’explosion gustative. Délivrance connue par le choix du “défendu” de la faim retrouvée.
    Tout cela est à coucher avec des mots venus du profond de la mémoire.
    Désolée d’avoir freiné ce qui cherche à se dire ici.
    Le poète se rebelle. Bravo !

  5. Au centre du poème quelque chose a fait irruption, imprévu. Quelque chose d’une nausée née d’un regard sur le comportement des autres, de certains autres. Les avanies de toute vie en société. L’inconscient prend la barre. Le nautonier s’endort et ses rêves sont tumultueux.
    De la solitude amère du réveil ne naît aucune espérance sauf à s’en remettre au hasard. Et ce baiser-limonade, c’est l’émerveillement de la vie qui éclot tardivement et ouvre sa faim de beauté, de bonheur, d’explosion de tous les interdits.
    Il y a beaucoup de transmissions des sensations du corps au psychisme.
    Juste avant le renoncement, une floraison tardive comme celle du lierre., en plein cœur de l’hiver.
    Jamais, jusqu’ici, un de vos poèmes ne m’aura autant mise en échec. J’avais beau le démanteler, le moquer, il me revenait, tenace. Je crois pouvoir le lire, maintenant, autrement mais d’abord j’efface sa forme, je ne garde que les mots à l’enfilade. je change le titre ou je n’en mets pas. Bouche ? C’est trop peut et induit en erreur. C’est une route, le chemin d’un désir vers son manque.

    1. Et puis non, le titre est bien. Bouche… Ce qu’il y avait en elle avant que les mots ne soient présents. Cette bouche qui contient la trace d’un état antérieur : l’enfance.
      Autant de palimpsestes avec les textes de 2012 (rubrique “souvenirs”)
      Les poèmes s’évadent tout ouatés d’une brume de distance.

      1. Par distraction sans doute on oublie que la bouche est un carrefour; l’amour et la nourriture y passent dans un sens, la parole (et l’amour encore) dans l’autre. L’enfance se bâtit à cet endroit précis, sur cette double postulation. Ma mère qui avait interdit la parole aux enfants, disait à propos de manger: “tu as un trou sous le nez qui nous coûte cher”. On admire l’élégance, la finesse d’esprit de cette mère nourricière… ou plutôt souricière. Le lexique est ici fort précieux pour donner sens à ce qui n’en a pas (c’est le destin!); mais tous les analystes savent cela et l’éprouvent quotidiennement.
        C’est la raison profonde de ces poèmes ouatés d’une brume de distance, pour reprendre votre belle expression.

        1. Je pense aux bouches peintes ou dessinées par Picasso, des bouches d’hommes de femmes, d’enfants. Il dessine leurs baisers, leurs cris. La bouche n’est-elle pas une frontière entre le dedans du corps et tout ce qui est extérieur ? Ingestion (même à contre cœur), rejet, baiser, parole, cri, murmure, désir.
          Je crois bien que le petit personnage de Hergé (Tintin), n’a pas de bouche. Pourtant il n’arrête pas de parler au lecteur…

          1. La bouche c’est ce qui va de moi à l’autre, enfin c’est cet organe qui permet l’ouverture sur l’autre, donc sur soi. J’adore votre remarque sur Tintin. Je crois que c’est quand même un ENFANT; il n’est pas doté du langage, ce négatif qui dort au creux de l'”enfant”. Il n’en rêve pas moins. Tintin est admirable. Il ne mange jamais. Il vit comme l’enfant vit dans sa nuit. Il parle beaucoup vous avez raison, mais il parle dans un dehors stylisé qui correspond parfaitement à la ligne claire. Ligne claire qui finalement est très obscure. Les bijoux de la Castafiore c’est admirable de bout en bout; à un moment on le voit en pleine dépression allongé dans l’herbe. On se dit qu’il va peut-être enfin se mettre à parler. Bien sûr que non. Je n’ai pas lu le livre d’Assouline. Mais je l’ai en perspective. Trois enfants: j’ai lu trois fois tous les tintins à HAUTE VOIX. je faisais tous les personnages, avec “le ton”. M’en est resté une vision totale. Mon fils plus tard lorsqu’il a su lire tournait l’ouvrage dans tous les sens me demandant: mais comment ça se fait, c’est pas le même livre que celui que tu nous as lu. mystification de la haute voix, celle du père (Dieu) qui est le contraire du murmure d’amour. Mais qui rassure. ça vous forge une psyché. Le théâtre n’est pas loin. Une vision du monde.
            Les bouches de Picasso disent le drame de la peinture; cet art sans son mais qui en déborde de partout.
            J’ai travaillé un court moment avec JB Pontalis sur un texte que j’ai dégotté en Allemagne de l’est (c’était dix ans après 89)et dont Freud parle dans son ouvrage sur la Gradiva. J’ai eu l’occasion de parler avec lui du texte de Freud sur Léonard. Il avait fait une jolie préface à une réédition. Je lui ai dit à un moment: oui mais justement, la langage c’est l’art de la psychanalyse, sa raison d’être et là Freud nous parle d’une œuvre sans mots, c’est pourquoi il surcharge de sens et fait forcément fausse route(le fameux vautour, le rêve de Léonard etc..). JB qui venait d’en faire la préface m’a regardé fixement puis a secoué la tête j’ai compris que j’avais vu juste qu’il n’avait pas vu ma pauvre remarque avant que je la lui fasse, je crois qu’il m’en a voulu un peu, j e m’en suis voulu de l’avoir ouverte(ma parole), enfin cela s’est terminé très vite. J’aurais dû insister pour qu’il me confie autre chose, mais ça ne s’est pas fait.

            Le petit gars de Rethel avait au contraire de Tintin bien trop parlé.

          2. Ah quel régal que votre longue réponse. Le Tintin que vous approchez par vos souvenirs de lecture et de lecteur (près de vos enfants) est épatant. Un échange entre vous et Pierre Assouline serait animé !
            Quant à Picasso, j’ai en mémoire les visages de Guernica ( hommes et bêtes). Bouches tordues par le cri et la mort venus du ciel de bombardement.
            Bouches autres du baiser, de la faim, de l’enfance, du sommeil.
            Votre dialogue avec B.Portalis est passionnant.
            Je pense encore aux statuettes de Giacometti, leur solitude, leurs larmes invisibles. De ces statuettes de femmes, René Chat disait : “qu’elles étaient tels des décombres ayant beaucoup souffert en perdant leur poids et leur sang ancien.”, (ce qui se lit dans ce poème sur les mères que vous avez écrit et lu le 11 novembre). Les guerres vécues par les mères , les épouses….
            L’absence de salut dans le destin humain, la fatalité qui pèse sur les hommes.
            Oui, tout cela reflue dans des profondeurs si obscures…
            Je me console avec les dessins inachevés de Rembrandt. L’esquisse qui laisse la place à l’imprévu…

          3. Georges Bataille à propos de l’art préhistorique, s’interroge sur l’absence presque totale de représentation du visage humain dans les peintures rupestres : “Les traces, qu’après leurs millénaires nombreux ces hommes nous ont laissées de leur humanité, se bornent – il s’en faut de bien peu – à des représentations d’animaux. […] L’homme de l’Age du Renne […] disposait jusqu’à la virtuosité des ressources du dessin, mais il dédaignait son propre visage : s’il avouait la forme humaine, il la cachait dans le même instant ; il se donnait à ce moment la tête de l’animal. Comme s’il avait honte de son visage et que voulant le désigner, il dût en même temps se donner le masque d’un autre.”
            J’avais noté cela lors d’une expo à la BNF sur les représentations du visage humain.

    2. Vous dites des choses admirables ici.
      Le poème résiste, malgré ses défauts, j’irais jusqu’à dire à cause de ses défauts.
      “Le chemin d’un désir vers son manque” est étonnant de précision finalement.
      Vous dites juste avant “une route”… cela me rappelle La Route de Julien Gracq (in “la presqu’île”), son texte le plus puissant par la qualité du rêve qu’il suscite. Quelques vingt pages, sous couvert du presque rien, un joyau. J’y pense très souvent. Un appui.

      1. Il s
        Il naît de drôles de monologues quand on lit ce poème très particulier. Tout y devient questionnement.
        Parfois la clé se trouve dans un autre poème ou dans un de vos textes en prose. Tant mieux si jouant ay Champollion j’arrive à déchiffrer vos… hiéroglyphes !

        1. Oui, oui, ce sont des échos qui vont de loin en loin, qui courent l’un après l’autre. Surtout que je me limite en lexique: pas d’avion de véhicules, de problèmes de fins de mois, de carburateurs etc… C’est un monde intérieur qui se moque de réel réaliste pour s’intéresser uniquement à la présence au présent. Je dis cela en souriant, comme si j’avais écrit tout ça de manière concertée, alors que cela m’est venu comme ça… sans autre motif que de dire l’intérieur de l’intérieur. C’est directement présent au plus près de la psyché.
          Mais vous en savez bien plus que moi sur ce que j’écris.

          1. “Dire l’intérieur de l’intérieur “…
            Vous voici dans le clair-obscur de vos rêveries. De là vous teintez le réel de lumière du présent ou de pénombre du passé . Dans ce que j’imagine autour de vous, un monde en repos, assez silencieux et vous dans le besoin d’être autre, de rencontrer un double de votre être dans une existence en tension vers une naissance, par l’écriture, à votre table de travail. Une page toujours blanche de la vie. La pensée au repos, les images surgissant.
            Mais la forme que vous donnez à votre écriture marque une division, un tiraillement entre un métier, un savoir, une culture classique et la liberté, le fatras de la rêverie.
            Et ce poème “Bouche” est en cela très intéressant qui rassemble des intuitions et des memoires venues de temps étrangers les uns aux autres : l’enfance ,ses d’égouts, ses soumissions, la découverte de son corps par l’ingestion d’un mets détesté, les révoltes du jeune adulte en société et l’homme amoureux du présent qui envoie tout en l’air dans une joie débordante se moquant des interdits.
            Je me suis beaucoup amusée à suivre votre chemin en zigzag !

          2. Et si je complète sachez que j’approuve totalement vos remarques sur le fatras et les tiraillements.
            Dire “l’intérieur de l’intérieur” c’est trahir. C’est le mot de trop. Celui qu’à confesse on balbutiait en tremblant: “j’ai volé une sucette”. La bouche alors pressée par le froid de l’église, la nuit du confessionnal, presque le nuit donc, plongeait dans un bain d’eau glacée, culpabilité, très grande leçon d’insincérité, de mensonge, de fausseté, de fiction certes mais surtout de ce que Sartre nommait l’inauthentique. Tout petit on m’apprit à “fermer ma gueule”; de toute façon les enfants n’avaient pas le droit à la parole. La bouche est au centre de la difficulté de vivre au milieu des parlants. Comment faire?
            Un détour: j’allai à l’autre langue, la honnie, celle qui venait à mon père lorsqu’il imitait ceux qui l’avaient fait prisonnier cinq ans. Celle qu’il proférait lorsqu’il était en colère contre nous les enfants, jusqu’à nous battre bien sûr.
            Quelle langue parler? La bouche qui refuse de manger, la bouche qui parle la langue affreuse (pour l’enfant)… décidément cette bouche est toujours encombrée de ses couleuvres. Plus aujourd’hui bien sûr, mais ça râcle encore en fond de gorge.
            En faire jaillir la lumière est un devoir, la poésie se déroule toute seule, sans presque mon aide. Et est-ce d’ailleurs bien de la poésie? Un fond de gorge plutôt, une mélancolie qui dit la joie de vivre au présent. Au présent: sans les fantômes d’antan. Quelle joie !

          3. Thierry Metz semble prolonger votre pensée dans cet extrait d’un long texte paru sous le titre “Terre” (éd.Pleine page) :
            “Car c’est ici qu’écrire m’attend – d’être plus ou moins ce que je suis, me hissant jusqu’à faire ce dont je suis capable. Je n’appréhende rien de plus extrême que de ne savoir vivre avec ce que j’ai, qui souvent me manque, qu’il en soit de cela comme du reste.
            Un arbre sans feuille.
            La route indiscernable.
            la trace perdue d’être ici.
            Je me réchauffe autour de ces braises. (…)
            L’enfant attrape ma voix et joue plus loin, sans marquer de but. Il lui suffit de m’avoir soulevé. D’une seule main.
            J’écris avec cette main qui se referme chaque soir, qui me garde pour que je veille.

  6. Votre blog contient différents angles d’exploration convergents pour traquer l’invisible, peut-être innommable. J’aime qu’il n’y ait pas que de la poésie. Les proses sont vivifiantes, les traductions ouvrent à d’autres paroles, d’autres écritures. Ce blog est votre seconde vie, une pliure dans le temps.

    1. Vous avez sans doute raison. J’ai parfois du mal dater les textes en prose que je ne n’ai pas publiés sur le blog. Il me semble que c’est toujours la même chose sous une forme différente évidemment. Ou plutôt les textes jaillissant impromptus se font des mines de loin en loin. La peur l’angoisse mais aussi la vraie joie pure de vivre s’échangent des clins d’oeil: “tu as vu, dit la prose; le voilà qui se met à écrire en vers; moi je veux bien, mais je croyais en avoir suffisamment dit pour qu’il n’y ait pas besoin d’y revenir. Mais j’ai l’impression qu’il nous écrit circulairement, non, spiralairement.” j’emprunte la spirale à Goethe; le vieux Goethe avait établi la spirale comme principe moteur, on repasse parles mêmes endroits mais un peu plus haut (les années de voyage de Wilhelm Meister). C’est très efficace quand on écrit sur la longue durée.
      J’aime que la structure ADN lui ressemble. Goethe eût été ravi, lui qui pensait Sciences avant littérature.

      1. Ah, quel grand plaisir de vous lire à nouveau.
        Qu’importe la genèse de tous ces textes et leurs formes. Un blog permet cela d’être soi avec mêlées toutes les inspirations. Subversive ou docile, dans les règles ou hors des règles, c’est la vie avec son instabilité, son impalpable. J’aime son retour infatigable, ici. Charge légère ou douce cadence, l’écriture cingle à contre-courant vers les sources.

      2. Votre poésie est un art du temps. Elle installé le lecteur dans la durée, dans les mouvements de la durée.

  7. Ah, “La presqu’île” de Julien Gracq, vous avez raison d’évoquer la première nouvelle si belle et mystérieuse “La route”.

    “L’étrange – l’inquiétante route ! Le seul grand chemin que j’aie jamais suivi,font le serpentement, quand bien même tout s’effacerait autour de lui de ses rencontres et de ses dangers – de ses taillis crépusculaires et de sa peur – creuserait encore sa trace dans ma mémoire comme un rai de diamant sur une vitre. On s’engageait dans celui-là comme on s’embarque sur la mer. (…)
    Il commençait bizarrement – à la manière de ces fragments…”
    Oui, un cheminement que vous connaissez bien dans votre blog.
    Je garde en mémoire la fin mystérieuse de ce texte, cette rencontre très pure, la nuit, avec cette femme venue de nulle part, “dénouée comme une pluie, lourde comme une nuit défaite” et qu’il quitte avec un baiser sur le front.
    Gracq, qu’elle magie d’écriture…

    1. Ecoutez, je ne sais pas si vous serez d’accord mais cette route de Gracq est le début d’un roman qui n’a pas été jusqu’au bout. Car je crois que ce qui attend le héros après la fin du texte c’est un balbutiement à la Beckett. Il a redouté d’être à court d’imagination. Ce sont vingt pages splendides.
      Quelle magie d’écriture dites vous, oui, je suis d’accord, même si (le Rivage des syrtes) il a un côté professeur d’histoire et géographie un peu distendu. Il lit parfaitement ses auteurs (Stendhal) mais il a du mal à concevoir du fond de son imagination un texte emballant. Il ne se fait pas confiance. Pour parler comme autrefois: ce n’est pas un histrionique mais un obsessionnel. On le sent trop clos. C’est un prosateur admirable: lettrines et les autres, c’est magnifique, mais l’imagination est un peu contrainte.
      Ce que je dis là est très risqué mais j’essaie de comprendre le peu de fictions sous sa plume. C’est étonnant.

      1. Ces vingt pages m’ont comblée justement parce que inachevées . Leur mystère reste comme une brume où la route continue loin de nous, sans narrateur. Juste sur un baiser, “une espèce de tendresse farouche et pitoyable…”

  8. J’ai vraiment apprécié sur un blog voisin la réponse que Paul Edel adresse à un qui lui reproche un billet littéraire :

    “Vous me reprochez d’avoir posté ce matin, sur mon blog littéraire, une analyse et une déclaration d’amour au roman de « La modification » de Michel Butor publié en 1957,pour vous il y aurait crime à parler de littérature alors que des troupes russes pénètrent en Ukraine.il faudrait se taire et ne pas parler de Butor en ces circonstances. J’avoue que ce roman fut une lecture importante et formatrice dans ma jeunesse et ce texte me donna envie d’écrire. Il faudrait donc se taire sur la culture pendant cette invasion ?
    Il faudrait donc selon votre raisonnement que je cesse de tenir mon blog littéraire parce qu’il y a des chars russes qui roulent en Europe ? Il faudrait s’empêcher de parler culture si un tyran envahit un pays ? Il faudrait demander aux enseignants de ne plus parler du Nouveau Roman en cas de conflit proche ? Vous voudriez que j’oublie la littérature et que je mette un cadenas à ma bibliothèque tant que les chars russes seront en Ukraine ? Est-ce raisonnable. ? Est-ce que les français ont cessé de lire et d’écrire pendant la seconde guerre mondiale ? Non. D’André Breton à Aimé Césaire, de Sartre à Camus, de Desnos à Supervielle , de Thomas Mann ou Saint-Ex, les écrivains ont compris l’urgence absolue de continuer à écrire librement et à se battre pour l’expression libre, pour l’intelligence libre et la poésie libre pendant une guerre mondiale.. ”

    Cet homme là a du cran.

    1. Oui, oui, oui… je ne me sens pas non plus d’écrire sur le sujet (Ukraine) et de laisser tomber la littérature. Je vais aller y voir mais ce que vous citez est tout à fait la manière dont je vois les choses.
      Il a du cran. Vrai. Heureusement qu’il y a des gens comme lui. Croyez bien que ma mini soirée poétique n’en touchera pas un mot de ce conflit.
      Il faudrait tout planter là parce qu’il y a une guerre? Faudrait-il que la terre tourne dans l’autre sens? Faudrait-il que la vie intérieure cesse d’être intérieure pour ne s’occuper que de l’encre aux journaux et du sang hélas versé?
      Il faut du cran oui, il y faut aussi un sens de la dignité.
      L’écriture n’est pas là où sont la télé les journaux et les remuements du monde quels qu’ils soient. Au contraire la vie intérieure doit préserver sa VOIX. Individuelle et ferme.
      Bises à vous !

  9. Vous revenez, Raymond, sur le “chemin du désir”.
    C’est pour moi un questionnement ancien et toujours actuel.
    Le désir face à ce qui n’est pas encore, face à ce qui est désiré, espéré.
    Le présent ne suffit pas à l’être qui désire tout tendu vers une absence, une absence désirée, une sorte d’avance sur le temps fugace.
    Que se passe-t-il quand l’attente est comblée ? Que devient le désir ?

  10. Vendredi 4 mars, vous écrivez que la lecture de vos poèmes sera suivie d’un échange sur la poésie contemporaine.
    J’espère que sera abordée ce qui est là au départ du poème, ce qui semble attendre, ce qui n’a pas été dit, ce qui n’est pas encore là et que vous cherchez à coup de ratures de réécriture. Écrire en réponse à ce manque, à cette attente. Autant de poèmes autant de tentatives de réponses, d’approches.
    Ce qui est extraordinaire c’est que l’écriture donnera au lecteur quelque chose à interroger. D’où le plaisir de la lecture.
    Quelque chose surgit du poème, de la toile, de musique qui interroge celui qui regarde, écoute, lit. Quelque chose de l’ordre du désir, de l’attente. Quelque chose d’inconnu.

  11. vendredi 4 mars vos visiteurs auront bien de la chance. Lisant tout ce qu’on échange ici, d’une charge si forte (on est face à un texte autobiographique), je comprends que ce qui parle dans votre écriture donne voix à votre part la plus vivante, la plus inconnue. Le double participe bien sûr à cette écriture .

    Peu à peu, au fil de ces dernières années un espace structuré, architecturé s’est développé qui vous sert de guide.
    Vous lire c’est être face à des évènements météorologiques de la pensée.

  12. “Quelle langue parler ? La bouche qui refuse de manger, la bouche qui parle la langue affreuse (pour l’enfant)… décidément cette bouche est toujours encombrée de ses couleuvres. Plus aujourd’hui bien sûr, mais ça râcle encore en fond de gorge.”, écrivez-vous.
    Donc, la parole ne vous a pas été donnée, il vous a fallu la prendre ! Ponge disait : “parler contre les paroles”. Puis le long cours créateur de vos poèmes est apparu. Cette continuité autour de questions laissées en blanc.
    L’écriture – bien qu’elle soit une interprétation créatrice- vous a-t-elle donné une nouvelle identité plus intime loin de la représentation dans le monde social ? Quelle impulsion a déclenché le passage à l’acte d’écrire visible dans votre blog ?

    La bouche a mémorisé ce monde antérieur. La langue a fait naitre à partir de la bouche les mots sonores de la langue. Et vous voilà face à ce manque, à cette tentation puisque écrire ne suffit jamais à écrire, vous poussant à vouloir du sens, un épuisement échappant à la datation, remplaçant votre corps par un corps de langue, une écriture inachevable. Le réel devient fantastique. L’inconnu jaillit de la langue.
    Comme un sourcier, je cherche la source des mots; ce qui se cache derrière les mots. L’écriture semble une chose mentale qui avance par glissement du visuel, l’espace mental et le visible permutant, projetant l’instant dans la durée. Magritte m’a aidé à comprendre cela.
    Et j’ai un peu honte de fouiller votre écriture pour découvrir, sous les tessons-poèmes, comment vous inventez votre propre pensée, comment vous suivez ces traces, comment les mots apparaissent, ces vides aussi, lieux de l’inconnu, ces ombres. Et c’est fascinant car hors poèmes, dans l’espace commentaire, vous cherchez aussi.
    Le… dedans ne pouvant s’exprimer que du… dehors, hors de la cloison du corps. Votre JE est bilingue !

  13. A chaque relecture de vos commentaires, je découvre ces mots-douleur “mais ça râcle encore en fond de gorge. (…). Et est-ce d’ailleurs bien de la poésie? Un fond de gorge plutôt, une mélancolie”
    Ça vient de loin, ça remonte de cette bouche qu’ils ont voulu boucher, pour ne plus l’entendre formuler la douleur.
    Plus haut voulant écrire les dégoûts de l’enfant, le téléphone a traduit “d’égouts”. Une bouche d’égout… Quel humour noir…
    Ce “fond de gorge” est bouleversant.
    Je pense à la toile d’E. Munch : “le cri”…

    1. Oui, bouche est un mot à multiples entrées et sorties. Et nous allons vous et moi reposer la question : est-ce de la poésie? Mais voyez comme Suzanne Julliard parle de la prose poétique, c’est très juste !Le Munch est une bonne illustration oui.

      1. Question redoutable, tant de fois posée, jamais résolue.
        Sous votre billet réservé à Pascal Quignard vous donnez votre réponse :

        “Alors s’ouvre là devant, dans le blanc une autre inscription inattendue. C’est POUR ELLE qu’il écrit, pour la voir surgir
        Cela dit, je ne fais guère autrement. Ecrire c’est s’étonner. s’oublier pour s’étonner. s’absenter pour faire jaillir la présence, l’autre présence. Ce qui fait dire à certain poète: « Le sacré soit ma parole »: c’était Hölderlin; on ne dirait plus le sacré, de nos jours, on dirait: le corps soit ma parole, c’est toute ma vie que j’engage à l’instant, car le corps est ma seule présence, il n’en est d’autre, aucune autre.
        D’où l’importance du blanc. Signe de l’absence alentour. Chacun est désormais si seul qu’il semble porter sur ses épaules une manière de cage de verre que l’ordinateur semble pouvoir franchir mais la palpitation, mais l’odeur, mais le parfum, mais le pas, mais la voix, surtout la voix. Surtout la voix.”

        Je vais essayer de réfléchir à cette question et tenter d’y répondre à ma façon.

      2. Suzanne Julliard (Anthologie de la prose française / De Fallois), si fine, dans la dernière émission “Répliques”d’A. Finkielkraut sur la prose poétique. Ainsi quand elle dit , à propos de son essai : “J’ai préféré, choisir de parler des proses, parce qu’il y a une énorme différence entre une oraison funèbre de Bossuet et une lettre vive, pétillante et insolente de Voltaire. Ce n’est ni le même rythme, ni les mêmes mots. On a l’impression que l’on change d’univers. La prose poétique, c’est quelque chose qui tout à coup se met à chanter à l’intérieur de la prose. Les “Mémoires d’outre-tombe” de Chateaubriand sont de la poésie dans la prose constante parce qu’il y a une richesse de la langue extraordinaire, un afflux de mots anciens merveilleusement utilisés qui sont comme des bijoux dans le texte, et puis surtout, parce qu’il y a ce jeu du temps, à savoir le présent dans le passé, le passé dans le présent. Chateaubriand vaporise en permanence de la poésie dans la prose. ”
        Et Fabrice Luchini d’intervenir entre deux lectures à propos de ses lectures (en 2015) où il entremêlait des lectures du “Bateau ivre” et de “Voyage au bout de la nuit”, des fables de La Fontaine : “Après un travail hallucinant du “Bateau Ivre”, j’ai quelques éclaircissements, mais on n’y comprend rien ! Puis, je me suis interrogé en me disant : et dans une page de Proust, de Labiche, de Céline ? Est-ce que ce ne sont pas tout simplement, au fond, de grands poètes ? (…) Je tente tous les soirs de témoigner de la poésie chez Proust, chez Céline, chez Labiche, chez Molière…”. Il interroge les secrets de ces grands textes de la littérature française qu’il lit, récite, dit et redit, analyse à voix haute, en s’émerveillant. Les textes se répondent comme dans cette émission quand il lit le début de “Mort à crédit” de L-F. Céline et un extrait de “Un amour de Swann” de M. Proust avec tant de talent. Quel acteur rare, libre, iconoclaste.
        (C’était une rediffusion du 28/11/2015 dans le cadre des trente ans de “Répliques”.)

        Heureuse que vous l’ayez écoutée.
        « Les mots sont des planches jetées sur un abîme, avec lesquels on traverse l’espace d’une pensée, et qui souffrent le passage et non point la station. » Paul Valéry

        1. Je l’avais déjà entendu en 2015, les deux tomes de Suzanne étaient là toujours feuilletés; La réécoute m’a rempli d’un plaisir particulier: je reconnais ce monde dont ces deux là parlent; c’est là que je suis et je ne veux pas être ailleurs.
          J’ai en plus la chance d’avoir quelques allemands de cette pointure, ce n’est pas Proust, mais Thomas Bernhardt et bien d’autres viennent faire un cénacle imaginaire où les deux langues cohabitent parfaitement. J’ai à main gauche mon Hölderlin que j’entends de mieux en mieux – au fur et à mesure que j’écris.
          J’adore votre citation de Valery. On y retrouve le “passage”! Que c’est beau!
          les mots en mouvement; rien d’autre. Un mot n’a de sens qu’avec les autres, tous les autres. Un bleu on le voit bien en ce moment n’a de sens qu’avec un jaune. Le drapeau souffle le chaud et le froid. L’azur infini et le blé que j’ingère. Cosmos et ego. Ces gens humiliés dans leur paille envahie, ont tout le temps infini pour recouvrer leur dignité. Attila en pinçait pour nos moulins. Les champs catalauniques ont été fatals aux orientaux. L’occident c’est la culture désormais, celle que tout le monde nous envie, liberté mais aussi finesse contre la brutalité qui confine à la pathologie. Vont-ils enfin comprendre qu’il n’y a rien à craindre du côté de la liberté? Leur brutalité les désarme. L’Ukraine représente admirablement cette rencontre entre le fou et le sage cultivé, assagi par la culture. Au moment où l’on pensait avec mélancolie que l’occident d’effilochait avec ses valeurs anciennes, voilà une brute qui à coups de poings nous réveille en plein sommeil démocratique fatigué…Stimulant; pourvu que la tragédie ne se prolonge pas…

          1. Merveille que votre réaction, cher Raymond. J’aime quand vous écrivez sur votre blog surtout pour dire ces mots. Paroles qui se gravent en mon cœur. Et il en faut autant que de la culture et de l’intelligence. Le seul vrai gouvernail : le partage avec la vie des autres.
            A nos âges les feuilles de détachent et apparaît le cœur impatient de proximité, d’intimité avec l’ami, ceux qui font découvrir par ce qu’ils sont comment on peut aimer.
            Merci, Raymond.

  14. Et maintenant, face à vos écrits si divers que vous dire ici ?
    Ce qui est certain c’est que ce blog est jeune, une dizaine d’années. Ce qui laisse supposer qu’avant il n’y avait pas d’écriture publiée, pouvant être lue par tous ceux qui ouvraient votre espace, si joliment nommé “Je peins le passage”. Montaigne…
    Je suis venue ici par hasard cliquant sur votre nom surligné dans un blog voisin, après avoir lu vos rares et justes interventions dans l’espace-commentaires de ce blog.
    Et là surprise par la forme que vous avez adoptée après les proses. Vous passiez d’un ton professoral et assuré a une langue autre, sensible, voilée. Invitant la nature mais aussi la guerre de 14 avec toute son horreur puisque vous habitez cette terre meurtrie où tant de jeunes soldats français ou allemands ont laissés leur vie dans des charniers épouvantables, ces tranchées, cette boue, cette solitude. Deux livres sont parus, le premier avec votre seule voix “poèmes 14/18 aus éditions La Porte. Le deuxième. Ces poèmes présentés en face de leur traduction en allemand par Helmut Schulze et des créations à la gouache d’Élisabeth Detton. Une poésie drue, sonore, violente. J’ai beaucoup aimé. Puis cette chronique du confinement “Fièvre ” aux Ed. Lumpen. Des textes en prose serrées qui occupaient sur les pages de gauche la même surface que les miniatures d’E. Detton. Des textes mélancoliques d’un qui étouffe.
    Enfin, il y a le blog avec, ces derniers mois, des poèmes presque quotidiens.
    Ce qui est certain , Raymond, c’est qu’écrire est devenu vital, prioritaire pour vous. Poèmes, commentaires, comme une urgence de dire le monde, légèreté et gravité, bonheur et angoisse, présent et passé . Que m’importe si c’est de la “poésie” ou pas. C’est une voix, une écriture. J’aime la lire, la relire, l’attendre. Dans ce monde de taiseux pour l’intérieur de soi il est bon que vous créez, que vous écrivez et que cette écriture nous soit offerte généreusement. Continuez. C’est grand, c’est fort.

    1. Parfois j’en doute bien sûr, ces textes, les poèmes et tout le fatras. Heureusement. J’y perdrais la fragilité qui est la marque de fabrique du petit rethélois. Le terme de poésie est trop emphatique, c’est aussi un moyen de régler son compte à ce ton un peu trop brumeux(non, non, ne vous inquiétez pas, ce n’est que de la poésie), semble-t-il indifférent parfois aux activités humaines, à tel point que cette affaire en est un petit peu inquiétante, sans que je le veuille.
      Vous dites l’essentiel: oui, cela m’est indispensable. Vers quelles vacations sinon me tournerai-je?
      “Ce monde de taiseux pour l’intérieur de soi”, est une excellent manière de décrire nos contemporains.
      Vos encouragements très directs me font grand bien, soyez en certaine

  15. J’ai oublié votre pouvoir de sourire et la présence de la nature alors que le dégoût et l’angoisse étaient tels qu’ils auraient pu étouffer toute parole. Et puis ces poèmes vous protègent en vous permettant de garder une distance, de ne peindre que le passage… Le jeu raffiné des limites. Un voyage apparent. L’écriture trace la route…

    1. Le mot, à une lettre près, est de la mort. La parole est vive, elle est dans le passage, elle est le passage: c’est pourquoi je me disputais avec ces termes que je croyais si proches alors qu’ils sont antinomiques. Le mot ne meurt pas puisqu’il est la mort elle-même.
      Il est amusant de constater que le mot et la parole en allemand sont un même mot: Wort.
      Mais ils sont différents lorsqu’on les met au pluriel: Wörter pour mots, Worte pour paroles. C’est un mystère. Il faudrait que j’aille y voir de plus près. Je dis cela mais je le fais rarement: est-ce si important? Le mystère est si beau. Et puis on devine que Worte c’est les paroles de dieu et Wörter, les mots païens qui disent le monde et nos vacations.

  16. Et puis zut ! Je vous passe la parole : “J’ai toujours écrit, mais c’est seulement depuis vingt ans que je me suis résolu à publier en revues ; puis des livres sont venus. J’ai eu la chance d’avoir le prix du livre de Picardie 1995. Je suis également l’auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre, presque toutes centrées sur des êtres en difficulté sociale ou affective (chômeurs, femmes battues etc.) Je me risque également à l’écriture de poèmes. Mes auteurs les plus fréquentés sont : Montaigne, Kafka, Hölderlin, Goethe, Proust, Claude Simon, et bien d’autres. Je pratique la haute voltige qu’on nomme traduction et je m’attache en particulier à restituer avec un immense plaisir les œuvres du romancier et poète Alban Nikolai Herbst. La musique dite classique est au centre de mes préoccupations.”

      1. Les paroles ? ces mots qu’on dit et qu’on n’écrit pas ! mais ici ces mots dits ne peuvent qu’être écrits et les paroles deviennent écriture. Et puis les mots écrits se disent. N’allez vous pas les lire à haute voix, les dire, donc.

  17. Je viens de découvrir dans vos rubriques les 52 poèmes de “croque le jour” et dans la rubrique “poèmes” tout autant de poèmes inconnus. Je ne savais pas que vous aviez écrit tout cela. Quelle musique. Oui, c’est de la poésie et de la belle eau.

    1. Oui, je crois bien qu’il faut parler de poésie. Je songe à mon blog souvent, sans pouvoir décrire le fatras, je songe: “y’a du monde”… et je souris. J’aime bien quand vous dites: “de la belle eau”. ça bouillonne de partout, oui. Difficile de survoler l’ensemble. Voit-on jamais à l’intérieur d’une psyché?

      1. De la poésie ? En voici un plein boisseau : “elle est mon rythme, lente ou posée, le plus souvent cascadante, vive eau, eau vive, Bach est un ruisseau, c’est aussi une musique, le temps qui court et ne repart jamais vers l’amont. C’est donc la vie, condition et expression de la vie. Le temps de la vie que l’on n’attrape jamais, si bien que le mot en français n’a aucune consonne pour pouvoir la saisir…”

      2. Votre question : “Voit-on jamais à l’intérieur d’une psyché?” me renvoie à ces propos de Magritte : “Cette image est la description entière d’une pensée qui unit, dans un ordre qui n’est pas indifférent, des figures familières du visible : ciels, personnes, arbres, montagnes, astres, etc. Cet ordre efficace a été imaginé, mais il n’est pas irréel. La réalité de l’image poétique est la réalité de l’univers. Les images poétiques ne sont pas tangibles. En conséquence, elles ne cachent rien. Je nomme le mieux possible, avec des titres, les images que je peins . Ce sont des images qui se rencontrent, qui s’imposent à moi. Toujours des images des objets les plus simples, comme chacun peut en voir autour de soi”
        Beaucoup de miroirs aussi dans son œuvre, pleins de faux reflets devant le face-à-face des apparences donnant naissance à des assemblages troublants comme vous avec les mots. Autant de portes ouvertes sur le mystère, l’inconnaissable réalité. Ses toiles sont emplies de décalages qui émergent de la banalité du quotidien comme vos poèmes qui nous emportent au loin.
        Poèmes qui représentent votre espace intérieur comme ses toiles reflètent le sien. Est-ce pour réveiller un monde endormi ?

  18. “En joaillerie, l’eau est synonyme de limpidité pour les pierres précieuses et spécialement le diamant. Eau est aussi une figure naturelle. Cet élément aquatique est représenté par des ondes, des sources, des rivières, des gouttes, etc. “

    1. Ce diamant au centre de ce que j’écris: l’eau, partout sous toutes les formes de la pluie à la rivière et la mer là-bas, toujours là-bas. Je me dis à moi même en souriant que c’est l’eau qui m’imite, elle est mon rythme, lente ou posée, le plus souvent cascadante, vive eau, eau vive, Bach est un ruisseau, c’est aussi une musique, le temps qui court et ne repart jamais vers l’amont. C’est donc la vie, condition et expression de la vie. Le temps de la vie que l’on n’attrape jamais, si bien que le mot en français n’a aucune consonne pour pouvoir la saisir et c’est bien ainsi. Si elle avait une consonne, elle s’en débarrasserait très vite, dans son impatience tremblante, elle l’userait comme elle fait du rocher qui devient sable au bout de quelques petits millénaires. C’est-à-dire rien.

      1. Votre interrogation sur la composition en trois voyelles du mot “eau” me déporte vers d’autres mots : mer, lac, étang, pluie, giboulée, averse, torrent,rivière, ruisseau, cascade… Chacun porteur d’une image, d’un son.
        Bach bien sûr, Schubert, Debussy…
        Aqua…aquatique…aquarium…aqueuse… ( Ceux-là claquent).
        Puis vers soif, sécheresse, oued…
        Le monde entier coule dans vos regards et dans les gorges assoiffées.
        Dans vos poèmes, lumière et paix bucolique jusqu’au froissement du regard quand la vision intérieure vient obscurcir la fin de certains poèmes.

  19. 11 avril 2021, un autre poème où les bouches sont présentes. Une autre musique, très mélancolique. Pourriez-vous le remettre en lien ?

  20. Ça commence par ces mots :
    “pose ton doigt sur la bouche / cesse de chuchoter / tout a fui / l’air vibre en vain / les lèvres tombent / demain est un autre silence (…)”
    Il se nomme “Séparés”…

  21. vous écrivez : “dans son impatience tremblante,” . Tout le mystère de l’eau vive est en ces mots. On la sent fuir entre les doigts, glisser d’une pierre à l’autre, frémir oui. Comment rendre cette vision flottante du monde des reflets et des transparences ? Quels sortilèges. Il y a comme un point aveugle là où s’accomplit le précipité des sensations visuelles. Un état de lévitation pour traverser le temps des tempêtes… Un idéal arcadien…

    1. On dirait un résumé du travail des impressionnistes français; car la France est ce pays d’eau où la lumière constamment frémit. Que d’eau vive en France. Quantité de départements et de villes qui chantent l’eau vive avec ses reflets et ses transparences.

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