depuis les cimes
l’eau avait rompu les grès
au long des millénaires
on entendait encore l’écho des rocs
qui s’écartaient avec respect
sous la force basculante
l’eau dans sa hâte accélérée
fatiguait le lit
usant de la gravitation
pour dévaler ses kilomètres
de bienfaits
le chant des jeunes berges
approuvait la cavalcade
des hêtres des aulnes
qui bordaient les pentes
où les chamois s’abreuvaient
les éclats des eaux folles
contre les chalets
accrochaient leurs seuils
vertigineux
des femmes étonnées
appuyées sur les rambardes
saluaient les saisons
souhaitant bon courage
au flot qu’elles effleuraient
du bout des doigts
puis le cours consentait
à reprendre son souffle
en mélodies vallées
la rivière adulte
creusait alors
mordait au fond
le lit s’installait riche et gras
dans les contrées
où les moutons s’acclimataient
des riverains s’appelaient
d’un bord à l’autre
civilisés par l’amont et l’aval
ils arrangeaient leurs toits
sur les meulières ocres
afin dès juin de profiter de l’ombre
et les soirs d’hiver de la musique
des âtres qui crépitaient
ça grouillait de poissons
qui s’entredévoraient en un éclair
et les ponts faisaient craquer
les flots les courants les tourbillons
devenus domestiques
les eaux accueillaient les esquifs
et ça tanguait pour rire
c’était encore l’âge des éclats
où les voix se parlent en échos
dans le silence étonné
des champs environnants
puis dans l’accroissement des villes
on multipliait les arches les tabliers
on s’installait près du flot
pour user de son courant
les villes grossissaient
l’amont semblait caduc
la richesse était à l’estuaire
les ports mimaient le monde
le flot doux des montagnes
finissait pas se mêler
au salé de l’océan
conflit éternel du vaste mascaret
quand le ressac suscité par la lune
venait cogner contre la terre
des saumons loyaux
remontaient alors à leurs origines
forçant l’admiration
des vieillards inquiets de la perte définitive
de l’eau douce dans les larmes amères
et les délicieux poissons ravis
témoignaient alors
en sautant les barrages
que rien n’est jamais perdu