fièvre 45 chaumes (juillet 2020)

45

chaumes 

après le passage de la dévoreuse de juillet 

qui anticipe sur nos bouches affamées

ils se dressent 

ocres et gris parfois rouges 

puis sous l’effet de la lumière adulte 

les brins crépitent en un murmure immense

chacun d’eux veut conter l’histoire 

de la terre et des grains 

épis et tiges se sont balancés librement 

et voilà leurs derniers témoins qui palabrent 

et se disputent sur les champs

nous étions ensemble et nous voici querellant 

ma mie que sommes-nous devenus 

piques trop brèves 

le vent ne nous inclinera jamais plus

la terre à deux doigts 

ne permet plus la grâce oscillante 

qui fit la stupéfiante splendeur des blés 

dont nous étions la racine première

pauvres chenus

ils lèvent sur la terre tassée 

de petites pointes benoîtes 

que je froisse négligemment 

comme on marche au désert 

chevilles harcelées du picotis des sables

une plainte ose enfin s’allonger vers le soir 

autre chose contrarie mon pas 

ah c’est l’enfance ténue qui revient 

féroce arrachement 

annonçant le crissant retour d’automne 

des charrues et des socs

fièvre 44 cathédrale VII (juillet 2020)

cathédrale VII

rappelle-toi

au temps de fièvre folle

je me tenais tout silence au parvis

cet espace aux pavés heureusement inégaux

qui me cognaient dans la poitrine à chaque pas

mille souvenirs

face à toi ma dame

j’étais le drôle qui s’en vient vénérer les beautés et les siècles

au temps de la détresse

je pensais moins à marie 

qu’aux hommes d’alors aux femmes du temps 

hantés de toi jour et nuit 

me voilà seul disais-je je suis tout seul

dis-moi ton mystère

tu peux bien me le dire

ce souffle qui te fit

ces milliers de bras qui montèrent ici 

et les boeufs précédant l’attelage 

il était naturel qu’ils se dressent là-haut

tirant les tours

ma voix allait répétant

mais d’où vient l’énergie qui fait tenir

contre les siècles et les charrois

contre les cris les pas et les épidémies

rien de plus urgent pour nous 

que cette haleine spirituelle

qui te souffla 

bulle de pierre 

un matin de mille deux cents

et qui depuis emplit notre horizon

il n’est aucun mystère 

répond-elle face au vide

l’imagination seule

accouplée à la raison

déplace les montagnes 

et dans un murmure elle ajoute à mon endroit

un peu comme un poème

fièvre 43 masques (juillet 2020)

43

masques

il y a beau temps 

que l’avenue a dissout les rires aux quatre vents 

passants du silence

dites 

que sont vos visages devenus

je vois bien le mien au miroir du matin

mais les vôtres

barrés de ce pansement grave

blessés d’on ne sait quelle guerre 

vous avancez dans un brouillard diffus 

présences spectrales

barbouillées de blanc de bleu 

je vous entends à peine

je vous dis bien le bonjour

mais vous semblez murmurer

les voix vos voix me font défaut

englouties sous ces masques têtus

hélas parfaitement justifiés

(étouffons un peu 

pour ne pas étouffer tout à fait)

et manque affreux

l’absence de nos lèvres

nous rend tous égaux en laideur

la partie nue émergée de notre corps

ce visage qui faisait notre identité

iceberg de nos émotions

voilà qu’il est littéralement

défiguré

reste le miracle des yeux

oui les regards sourient

dans la nuit blanche de l’été

leurs reflets n’ont jamais été aussi beaux

cils et sourcils sont devenus des signes 

aussi importants que les gestes

perché au dessus du masque

le clin d’oeil se risque alors en lieu et place

de nos mains interdites 

et des paroles mal osées