amis
il faut recreuser le silence
taisons-nous
si nous cessons de parler
quelque chose va advenir
comme un printemps
un visage étonné de se voir
une poignée de cinq doigts chauds
peut-être entendra-t-on la loi du passage
le tragique de nos avancées
alliées à une tendresse totale
sorte d’épousailles qui ne cessent plus
fusion d’aérolithes éclatés
qui découvrent une nouvelle manière de graviter
sourire à chaque pas
les lèvres au lieu de parler donneront et redonneront
dans un silence stupéfiant
monumental moment qui durera
pour s’éjouir de la joie engendrée
alors le renouveau sur la pointe des pieds
osera être ce que nos rêves sont
une illusion concrète qui se répand dans le monde
les arbres bruiront limpides
à pas menus les animaux
chuchoteront ce qu’ils disent depuis toujours
que le présent vaut son passage
que la vie est la vie sans besoin de langage
donnant raison à la mer
dans son ressassement fabuleux
qui invite au silence
Le commentaire sera de Pascal Quignard :
“J’ai écrit parce que c’était la seule façon de parler en se taisant.”
(Petit traité sur Méduse, p.62 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
La phrase est magnifique. C’est son côté La Rochefoucauld. On a envie de prolonger (comme pour toute bonne sentence). Disons: ce remuement verbal sous le reste de mes cheveux doit sortir. Il le faut; je ne peux rester silencieux, mais je dois, car on ne peut gloser sur Kleist ou Hôlderlin avec le brave homme qui vend son pain dans une ville de l’Aisne. Chacun son métier. Le mien est des mots. Ils attendent là d’être dits. Je n’ai aucune clef par ailleurs pour échanger avec la ménagère ou le ménager; ce que André Dhôtel a si bien magnifié. Le parler pour le parler, c’est tant la vie.
On en est donc réduits à écrire. Ce n’est pas une victoire, pas toujours en tout cas.
Merci pour Pascal Quignard. J’aime que vous écriviez au futur: “sera”…
Quel mystère que la naissance des mots, ce besoin d’écrire…
Mystère sans doute. Les mots écrits, l’importance qu’on leur prête à juste titre souvent, mais il faudrait d’autres vocables que écrits ou écriture, car après tout le poisson est emballé aussi par des mots écrits.
La naissance des mots est un lieu je crois. Entre conscient et inconscient, disons subconscient. Ne pas forcer. Laisser le besoin s’installer et prendre toute la place. Toute. La difficulté n’est pas écrire, c’est vivre. Vivre sans écrire. Tous ces moments où l’on n’a pas écrit: ils ont l’air blancs, vides, creux, ce n’était rien, broutilles. Quand on écrit on en vient à penser : que serais-je sans toi? et on sourit. Cela remplit, cela remplace, on abolit le temps. Cela naît parce qu’on est et qu’il faut bien être; être sans être tout à fait, c’est cela écrire. Peut-être.
Ce qui m’étonne c’est que l’écriture qui est pour. De communication est pour vous comme un dialogue avec vous-même. De soi à soi…
Puis un lecteur passe, un peu intrusif, s’attarde, laisse ces mots cheminer en lui et en fait du silence, une sorte de nid.
…qui est un moyen de communication…