Scène 2
- (Catherine et Nicole entrent en parlant)
- Catherine
- Et tes seins ?
- Nicole
- (éclate de rire) Ah ah !! Mes quoi ?
- Catherine
- Tes seins…
- Nicole
- Mais tu te crois où ?… hem, euh… tu plaisantes, j’espère ?
- Catherine
- Non, pas du tout.
- Nicole
- Écoute, on parlait de nos rides, des meilleurs produits, de la crème, de nos varices…
- Catherine
- Et du fond de teint ! C’est important le fond de teint !
- Nicole
- Oui, j’oubliais ! Tu as raison chère amie, ma bonne amie qui se fiche de moi !
- Catherine
- Non, j’insiste, parlons maintenant de tes seins !
- Nicole
- Quoi ? Mes seins ? Tu ne les trouves pas beaux, mes seins ? Enfin, je me fiche un peu de ce que tu en penses. Sauf qu’une amie qui t’insulte, c’est pas vraiment agréable. Je ne vois pas le rapport !
- Catherine
- Je ne t’insulte pas. Réfléchis bon sang !
- Nicole
- Tu veux que je réfléchisse sur mes seins ? Elle est bonne celle-là ! Tu continues de te moquer de moi ! Mes seins, mais c’est ma part intime ; c’est aux hommes qu’il faut le demander, pas à moi ! Ni encore moins à toi, même si tu es mon amie depuis longtemps !
- Catherine
- Allons, allons ; arrête un peu ! Tu ne vois pas ?
- Nicole
- Ah oui, attends, j’ai compris, tu ne les trouves pas jolis et tu voudrais que j’aille me les faire refaire, je ne sais pas où par je ne sais qui. Un copain à toi, un chirurgien esthétique, tu parles ! Tu touches un pourcentage ?
- Catherine
- Pas du tout. Mais alors pas du tout !
- Nicole
- Qu’est-ce que tu mijotes ?
- Catherine
- Rien du tout, c’est l’évidence, je suis très sérieuse…
- Nicole
- Heureusement, j’aime pas qu’on se moque !
- Catherine
- Personne n’aime ça ! Ne te fâche pas, je t’en prie !
- Nicole
- Tu voudrais que je reste calme, alors que toi, mon amie, tu dis du mal de ma poitrine ! Quel culot ! Allez, dis-le : « Va te faire refaire les seins ! » et qu’on en finisse !
- Catherine
- Tu ne comprends rien, décidément.
- Nicole
- Oh si, oh que si ! Je vois bien où tu veux m’emmener espèce de… Oh n’importe quoi ! Et ça se dit mon amie ! Et toi tes seins, tu crois que… ?
- Catherine
- Mes seins, ça va, je te remercie…
- Nicole
- Alors voilà, Madame, avec sa poitrine de femme de 45 ans, elle, elle est toute contente, elle est satisfaite ; et moi qui en ai autant, je devrais aller me faire refaire les seins par le charcutier du coin !.. Au fait, t’as les sous, parce que ça coûte bonbon c’t’affaire ?
- Catherine
- Non, c’est gratuit.
- Nicole
- Ah, ah ! Très drôle ! Et c’est remboursé ! Avec mes mamelons je vais encore creuser le trou de la sécu ! Non, mais tu rêves Catherine, tu rêves ! C’est remboursé, ben tiens, et les oranges du supermarché c’est aussi remboursé par la sécu ?
- Catherine
- Ah, les oranges, non, mais les seins, oui !
- Nicole
- Tu vois ça de ta fenêtre ma petite Catherine… on est où là, on parle de quoi ?
- Catherine
- Ah enfin la bonne question, Nicole, enfin ! Fais un effort !
- Nicole
- Tu m’énerves. Je me sauve, je me barre, t’as compris ? On est chez les fous là. On commence par parler de nos petits trucs là, de nos petites misères et tout d’un coup tu sautes sans crier gare sur ma poitrine comme une tigresse ! T’es à moitié folle. Bon, je te laisse avec tes fantasmes. Occupe-toi de tes seins, je m’occuperai des miens quand j’aurai le temps !
- Catherine
- Non, c’est tout de suite ! Excuse-moi, je m’y suis mal prise… Pardonne-moi je t’en prie. Reste encore !
- Nicole
- Mais euh, je…
- Catherine
- Tu veux bien rester ? Juste un peu…
- Nicole
- Oui… Enfin, non ! Là faut que j’aille faire les courses. Y’a plus rien dans le frigo. Tiens sur la liste, y’a même des oranges !
- Catherine
- Non remboursées !
- Nicole
- Comme tu dis, mais arrête de te foutre de moi, s’il te plaît !
- Catherine
- Alors que l’examen des seins, lui, est remboursé !
- Nicole
- (Silence) Ah d’accord… d’accord… ! C’était… c’était ça ton truc ! Tu veux que…
- Catherine
- C’est l’évidence. Palpation, radiographie… à nos âges, tu sais… C’est la première cause de cancer chez les femmes.
- Nicole
- Non, je ne sais pas et j’en ai rien à cirer… Ah la dame patronnesse ! Tiens, y’avait soeur Emmanuelle pour les gamelles, voici soeur Catherinepour les poitrines ! Non, non, non et non !
- Catherine
- Explique-toi ! Pourquoi tu t’énerves comme ça ?
- Nicole
- Parce que tu m’énerves. Occupe-toi de ta santé, d’accord ? Ton corps c’est ton corps. Va te faire voir, oui tiens, c’est ça, va te faire examiner ! Moi, rien du tout, je m’en fous !
- Catherine
- Onze mille par an !
- Nicole
- Onze mille quoi ?
- Catherine
- Onze mille victimes du cancer du sein, tu mesures les ravages ?
- Nicole
- Rien à faire, je m’en fous ! Ça fait mal ton truc d’examen machin, j’ai pas envie de me faire triturer la poitrine. C’est pas pour moi !
- Catherine
- Nous sommes toutes…
- Nicole
- Oui, ça va on est toutes concernées… Ah concernées ! Dis-moi par quoi on n’est pas concernées ! Dis-le moi ! On est concernées par la misère dans le monde, concernées par le sida, concernées par les grains de beauté, concernées par la bouffe trop grasse, concernées par la privatisation du téléphone, la disparition des hirondelles, le retour des coccinelles, l’absence des coquelicots au bord des routes, la guerre en Irak, l’extinction progressive des baleines, du tigre sibérien, des indigènes en Amérique du sud, et le réchauffement de la planète par là-dessus pour en remettre une couche! T’en veux encore des concernements ? Ou des concertations… enfin je m’en fous comment on dit, mais j’en ai marre d’être concernée. Qu’on me fiche la paix ! Voilà ce qui me concerne !
- Catherine
- Ouh là là ! Arrête de délirer ! Tes seins, tes seins, c’est pas du concret ça, ça ne te concerne pas ?
- Nicole
- Non.
- Catherine
- Et pourquoi non ?
- Nicole
- Je ne suis pas fragile. Jamais malade, moi, jamais !
- Catherine
- Ça frappe n’importe qui, n’importe quand ! Tu le sais bien. Onze mille par an !
- Nicole
- Onze mille femmes, pas d’hommes…
- Catherine
- Si, si, il y a des hommes, mais en proportion infime.
- Nicole
- Me fais pas marrer !
- Catherine
- Si, il y a parfois des hommes, je ne rigole pas. Mais bon, c’est surtout les femmes bien sûr !
- Nicole
- Ben tiens, évidemment, tu veux me faire croire n’importe quoi !
- Catherine
- Non, je t’assure… enfin, là n’est pas le problème !
- Nicole
- Et c’est même tellement pas le problème que je me barre, comme ça tu arrêteras de me foutre la trouille !
- Catherine
- Ah voilà bien le problème cette fois ! Onze mille, ça vous fiche le frisson !
- Nicole
- C’est des statistiques. Moi, je ne suis pas une statistique. Je suis moi et je n’entre pas dans ta combine de chiffres. J’ai jamais été malade, pas une fois sur le billard, c’est pas demain la veille que je vais risquer de…
- Catherine
- Risquer de quoi ? Tu as peur, c’est ça, je le vois bien, tu as peur, c’est normal…
- Nicole
- Mais c’est toi qui me fiche la frousse ! (Silence) Eh ben, oui, voilà, j’ai peur et je n’ai pas envie qu’on me dise après m’avoir pincé les seins dans une machine…. Oh, pis, j’en ai marre, je ne suis pas fragile, tu comprends, pas fragile… je m’en fous, je m’en fous, je m’en fous !! (Elle s’enfuit en se bouchant les oreilles)
- Catherine
- Nicole, je t’en prie !… où est-ce que j’ai commis une erreur ? Je lui ai fait peur. C’est nul ; oui, c’est ça, la peur, la peur… mais comment est-ce que j’aurais dû faire ? Bon sang, comment faire avec une pareille tête de mule ? Oui, pourtant c’est mon amie, mais comment faire ? Comment ?