L’écriture maya : ak’ab ts’ib, l’écriture-dessin obscure
par Michel Boccara
C’est un livre naturel car il n’a été fabriqué par personne. Le livre tourne seul ses pages. Chaque jour s’ouvre une page et si quelqu’un veut la tourner intentionnellement, il saigne parce qu’il est vivant.
Mythe d’origine du livre glyphique, Xocen, Yucatan.
Le nom même d’ak’ab ts’ib, l'”écriture-dessin obscure”, qui désigne l’écriture glyphique * en yucatèque, exprime bien le projet des Mayas : d’une part, l’écriture ne peut être séparée du dessin ; d’autre part, elle est obscure, nocturne. Elle n’a pas pour objet de dévoiler le monde, mais de le voiler, de dire en masquant car la nature du monde est énigmatique, et le moyen d’en rendre compte n’est pas de le clarifier.
Le sens ne doit pas être complètement capturé dans un signe et il doit, périodiquement, être remis en jeu : c’est pourquoi l’écriture glyphique doit rester fondamentalement divinatoire. Périodiquement, les prêtres aspergeaient leurs livres d’eau suhuy, “eau des origines”, pour en restituer le sens.
La préhistoire de l’écriture maya est encore mal connue, et les recherches la concernant sont très inégales suivant les régions. Cependant, des documents remontant semble-t-il au IVe siècle av. J.-C. permettent de reconnaître certaines ébauches de glyphes. La première inscription dont les caractères correspondent à l’écriture classique date de 199 apr. J.-C., soit au tout début de l’époque classique, dont les archéologues fixent le point de départ au IIIe siècle. Il s’agit d’une stèle qui décrit un souverain ayant une vision – provoquée par l’offrande de son sang lors d’un rituel précédant son accession au trône. Il est remarquable que le premier document écrit connu raconte un phénomène mythique dans un contexte historique, fondant ainsi le statut mythico-historique de cette écriture.