Vidéo de ma pièce sur la Révolution française jouée par des élèves européens

La pièce que j’ai écrite sur la révolution française et qui a été jouée en anglais le 17 mars 2010 à Hirson par des élèves de cinq pays d’Europe a été enregistrée en vidéo par le groupe anglais (thanks to Tony Baker!)et peut être lue sur Youtube aux références suivantes :

Partie 1

http://www.youtube.com/watch?v=az9trae3NpA

Partie 2 :

http://www.youtube.com/watch?v=UMF4cKwFvOo

Partie 3 :

http://www.youtube.com/watch?v=5nRuUYtL7OY

Partie 4 :

http://www.youtube.com/watch?v=EFNwAOwl0eM

murmures

lorsque l’année a commencé
avec ses lisses lenteurs de glace
j’avoue que songeant à la neige
bouleversante je perdis mes appuis
et comme la terre rigidifiée
le temps me parut aboli et sans suite

la visiteuse couvrant les nappes
de sa longue cape bleu gris
désigna de ses cils l’univers
Vénus et les Pléiades reflétés
sur mon jardinet miroir de poche
et soupirant gaiement désigna l’orient

l’avenir était à l’aube sourde
où je marche guilleret adulte
désormais raccroché au tempo vif
allegro du concert général désarmant
où les fureurs cuivrées des soirs
se préparent tous les jours aux bosquets

tant d’appels de plumes perdues notes
jetées au vent et qu’on caresse distrait
c’est la crête du monde au lissé délicat
crème et brune la plume pèse à la terre
un soupir de visiteuse presque rien
autant que ces décasyllabes bancals

l’abandon de la mesure ce silence
ouvre pourtant un chaos que je tente
d’ordonner à la lumière du grand jour
où je vais solitaire dans la foule espérance
chercher des murmures dynamiques
que la saison distribue ironique

Autour de la Marquise d’O. Dialogue. (3)

Ce texte est le troisième sur le même sujet; voir 1 et 2 en cliquant sur les chiffres.

« a » pour auteur  et « c » pour critique.

c : Quelque chose ne va pas.

a : Et quoi donc cher ami ?

c : Je ne suis pas votre ami.

a : Et qui êtes-vous donc ?

c : Le tout autre.

a : Rien que ça ? Ben dites-donc !

c : Ne jouez pas les malins. Vous dites que Rohmer abandonne le marivaudage lorsqu’il met Kleist en scène.

a : Ah, j’ai dit ça ? J’avais oublié.

c : Perdu entre vos poèmes, récits et considérations diverses, évidemment.

a : Et mes rêveries, vous oubliez mes rêveries !

c : Parlons-en de vos rêveries…

a : Dites voir, ça m’intéresse.

c : Non, pas maintenant, revenons à Kleist.

a : Comme vous voudrez. Oui, la Marquise d’O.

c : Vous dites qu’il abandonne le marivaudage. Nous entendons marivaudage en un sens positif évidemment. Inutile de donner des définitions, on comprend.

a : Oui, oui, bien sûr. Enfin, cette affaire de marivaudage… hem… Il faudrait tout reprendre.

c : Permettez-moi de résumer d’abord le récit, on y verra plus clair. Une forteresse italienne est prise d’assaut par des soldats russes. La Marquise d’O, fille du commandant de la place forte, va être violée par les soldats. Un officier russe s’interpose et sauve la Marquise du viol. Elle est évanouie. Il la viole. Elle tombe enceinte. Le soldat russe est envoyé en mission, revient, apprend que la Marquise a été chassée de chez ses parents. La Marquise fait paraître une annonce dans la presse pour retrouver le père de l’enfant. L’officier russe se présente. Ils se marient. Puis, elle lui interdit de l’approcher. Il faudra bien du temps pour qu’elle lui pardonne. C’est ça ?

a : Vous n’avez pas oublié grand-chose en effet.

c : Qu’ai-je oublié d’important ?

a : Elle est veuve, a déjà deux enfants au moment de l’horrible forfait.

c : Ce qui place l’acte au comble de l’atrocité. Son honneur ne lui appartient pas à elle seule, ses enfants et la mémoire de son défunt mari sont également touchés… et quoi encore ?

a : Ah, ça me revient. Nous n’avons pas évoqué l’ironie.

c : De l’ironie ? Une femme violée… étrange…

a : J’évoque ici une très haute forme d’ironie… disons pour faire bref, l’ironie de la vie.

c : Très grossièrement alors.

a : Tiens, puisque nous parlons de grossièreté, je vais l’être jusqu’au bout.

c : Ça promet d’être intéressant.

a : C’est bon, c’est bon… Tenez : supposons qu’un homme et une femme se rencontrent, que font-ils ?

c : L’amour.

a : Mais non, voyez comme vous êtes vous-même très grossier !

c : Je vous remercie !

a : Attendez : un homme et une femme se rencontrent : ils parlent, ils échangent des mots, ils ne disent pas ce qu’ils veulent, ils se servent du langage pour tourner autour du lit. Ils s’embrassent, enfin vous voyez, quoi…

c : Je vois très bien. De nos jours, ça s’appelle flirter. Ils ne se jettent pas tout de suite l’un sur l’autre. C’est même peut-être là le meilleur moment de l’amour.

a : Je vous laisse la responsablité d’une semblable assertion ! Disons qu’ils usent de codes, surtout dans ces milieux sophistiqués, une marquise, un officier… Vous vous rendez compte à cette époque, avec ces rôles sociaux, on est au maximum de la complexité.

c : Ça marivaude, quoi.

a : Oui, et dans notre histoire au contraire, rien. Il la sauve à la manière romantique du feu et de la soldatesque – jusque là rien de plus cliché – puis il la viole… et là le romantisme qui est attente et mélancolie s’en trouve tout inversé.

c : Il profite de son évanouissement pour la violer.

a : Oui, sur ce point précis il faudrait peut-être… comment dire…

c : Être plus précis. Je décris : Il la tient dans ses bras, elle est évanouie, il la touche, il est bouillonnant de colère contre ses soldats, sans doute la robe de la Marquise a-t-elle bougé, enfin quantité de petits détails qui ne sont pas dits mais qu’on devine et qui… comment dire ?

a : Excusent le viol ?

c : Non, pas cela… mais réveillent l’animal qui sommeille en chacun de nous, les hommes. La bête mâle.

a : D’autant qu’ils n’échangent pas un mot. Elle est évanouie. Si la Marquise avait pu parler, sa voix lui aurait servi de rempart.

c : Oui, la voix de la Marquise aurait éveillé l’humanité en lui. Il aurait entendu les interdits civilisationnels qui permettent une relation sexuelle consentie par les deux protagonistes, car seul l’officier obéissant à sa libido assouvit son plaisir. Un viol c’est ça. Mais revenons à votre ironie…

a : Ce n’est pas la mienne. Je reprends : un homme et une femme se rencontrent ; ils parlent, ils échangent, et là tout compte : on échange des regards, les goûts et les couleurs, on estime le grain de la peau, les gestes et le timbre de la voix. Je pourrais évoquer les parfums, les froissements de tissu pendant la marche, les effleurements légers, enfin je veux dire…

c : Oui, que voulez-vous dire ?

a : Je veux dire que ce petit théâtre du non-dit est la vie du monde. C’est la civilisation. Et dans notre récit, ironie suprême, ils couchent d’abord (elle contre son gré) et marivaudent ensuite, bien plus tard. Ce qui est l’aboutissement naturel, est ici au début. On commence par la relation sexuelle violente. C’est cette inversion que j’appelle ironie. La prise de la place forte est en outre une image limpide de l’acte.

c : Oui, oui…Au fait, il est passé où, notre Kleist ?

a : Et Rohmer ?

c : Oh, ce sera pour une autre fois. Ce récit est inépuisable. À bientôt !

a : À bientôt !

Maurice Leblanc: Alcor et La Comtesse de Cagliostro

Sans dévoiler le mystère de ce roman exceptionnel, je reviendrai sur un passage étonnant où la recherche d’un trésor est liée aux étoiles de la Grande Ourse : celles-ci projetées sur la terre du Pays de Caux reproduisent l’emplacement des abbayes et l’on apprend que le trésor se trouve auprès de l’une d’elles. Arsène Lupin devine qu’un mot est la clef du lieu où repose le précieux objet ; ce mot est caché dans une phrase latine : Ad Lapidem Currebat Olim Regina (la reine courait autrefois vers la pierre). On voit que chaque lettre initiale de la phrase latine forme le mot Alcor. Le héros s’aperçoit que ce mot désigne lui-même une étoile qui ne fait pas partie à proprement parler des étoiles de la Grande Ourse, mais qu’elle se trouve juste à côté de l’une de celles-ci qui est tellement brillante qu’elle cache Alcor. Ce mot d’origine arabe signifie épreuve. Il suffit pour la voir de fixer l’étoile brillante (il s’agit de Mizar) et de laisser aller son regard pour percevoir sur les bords de la rétine la fameuse Alcor. C’est une « épreuve » que les anciens utilisaient pour tester l’acuité des yeux. Projetée sur la terre, le lieu qu’occuperait Alcor va donner l’emplacement exact du trésor.

Je n’insiste pas sur la suite que l’on pourra lire ou relire, mais il me semble que cette technique proposée ici a une valeur inestimable pour la recherche de la vérité quelle qu’elle soit. Cette technique est simple : laissons-nous fasciner par notre objet, mais n’en quittons pas moins tout le champ alentour pour y voir clair. La lumière jaillit de l’errance du regard autour de l’objet qui nous occupe. Une leçon est ainsi donnée : lorsqu’on se heurte à un problème, il convient d’en observer attentivement tout ce qui l’entoure pour trouver la solution. Le trésor n’est pas dans la luminosité de Mizar mais derrière celle-ci, au-delà ou en-deçà. Que l’on s’éloigne du centre qui nous attire et nous aurons la solution. François Jacob raconte qu’il découvre ce qui lui valut le Prix Nobel en s’installant épuisé dans une salle de cinéma après une journée vaine où il a fixé son objet toute la journée sans trouver de solution. Il nous est arrivé souvent de voir surgir une intuition au moment où nous étions en dehors de toute réflexion. C’est lorsque l’on oublie ce que l’on cherche que l’on trouve ce que l’on ne cherchait plus. Les poètes ne fonctionnent pas autrement.

Si l’on revient à l’histoire contée, on ne peut qu’admirer la virtuosité de Maurice Leblanc, accumulation d’inventions stupéfiantes qui fait tout le charme élégant de ses récits : la citation latine, les initiales, l’étoile cachée et pourtant présente etc… ces détails mis bout à bout donnent une impression de tournis où jamais cependant le lecteur ne perd pied. Une telle allure confond et l’on se demande pourquoi l’œuvre de cet auteur d’exception ne figure pas parmi les grands du XXème siècle. Il y a cependant un avantage à cette relative méconnaissance (due à la vanité qui hante notre vision bien française de la littérature officielle) : ces textes sont peu étudiés à l’école et on n’en dégoûte pas les adolescents, ce qui permet de les découvrir seul, dans toute leur pureté.

On pourrait s’arrêter sur cet étonnement face à une œuvre aussi ingénieuse que puissante, mais quelque chose nous dit que le fin mot d’Alcor n’est peut-être pas le dernier. Le fond de l’histoire nous y invite : Alcor cache un autre trésor. On se souvient alors que Maurice Leblanc était un fin lecteur d’Edgar Poe et qui ne voit dans l’affaire évoquée ici brièvement une sorte de reprise de La lettre volée, où Dupin (Maurice Leblanc lui emprunte presque le nom du héros) découvre ce qui était caché en décalant le regard ? Pour conclure je me permets de citer le même Edgar Poe, père fondateur du roman policier ; cet extrait se passe de tout commentaire, mais on peut être sûr que Maurice Leblanc le connaissait parfaitement et qu’il lui a permis de stimuler son imagination pour écrire l’ébouriffante histoire de La Comtesse de Cagliostro . Ce passage est extrait de Double assassinat dans la Rue Morgue. Après une critique des méthodes Vidocq : « Il diminuait la force de sa vision en regardant l’objet de trop près », Edgar Poe ajoute un peu plus loin :

« On trouve dans la contemplation des corps célestes des exemples et des échantillons excellents de ce genre d’erreur. Jetez sur une étoile un rapide coup d’œil, regardez-la obliquement, en tournant vers elle la partie latérale de la rétine (beaucoup plus sensible à une lumière faible que la partie centrale), et vous verrez l’étoile distinctement ; vous aurez l’appréciation la plus juste de son éclat, éclat qui s’obscurcit à proportion que vous dirigez  votre point de vue en plein sur elle. »

J’ai fait paraître :  Deux Nouvelles de Maurice Leblanc chez Libretti (vol.19304 de Le livre de Poche), où la relation Maurice Leblanc-Edgar Poe est explorée plus avant, puisqu’une des deux nouvelles est une imitation avouée de Double Assassinat Dans La Rue Morgue.

La cabane

Tandis que je coupe les légumes, les cris des enfants, leurs rires et peurs me remontent irrésistiblement. Il a fallu ce printemps (éxubérance jouée soixante fois) et pas un autre, pour qu’au milieu des chants ininterrompus, à côté des arbustes qui s’habillent pour l’été, reviennent en plus grand nombre d’anciens précipités plus forts que le présent.
Souvenir.
Je tiens la main des petits, un de chaque côté, le pas est lent, je plie les genoux pour que ma prise ne les oblige pas à lever les bras; ils posent des questions, n’écoutent pas le début de réponse que je propose, parlent d’une cabane qu’ils rêvent de construire et d’habiter, et pris par leur mouvement – occultant ma propre enfance, cette ombre blanche – ma voix s’élève grave contre les milliers de chants d’oiseaux qui nous font cortège:  – Nous la construirons en haut d’un arbre! – Oh oui, quelle bonne idée, dit l’une. – Comme ça, les renards ne pourront pas nous attaquer. – Et les loups non plus, dit l’autre. – Les loups non plus. J’évoque les chambres, une bleue pour la petite, une rouge pour le petit. – Oh oui, rouge comme… il hésite… rouge comme le soleil du soir. – Rouge orangé, dis-je, c’est ça orange comme la terre du soir. Je décris le toit de tuiles, rangées comme les fils d’un tissu, la gouttière, c’est important, et les fenêtres qui donnent sur la forêt entière; de là-haut personne ne pourra nous déranger… Oui, il y aura une salle de bain. Une objection s’élève dans le silence: – Enfin, il y aura quand même des oiseaux pour venir nous visiter. – Tu as peur des oiseaux? – Mais non, crie le petit, ce sont mes amis tu penses, ils ne peuvent rien nous faire! – On mangera quoi? dit-elle. – La forêt est pleine de bonnes choses: des noisettes par exemple. – Oui, par exemple, des noisettes bien sûr.
Je prolonge longtemps le rêve, agrémentant le tableau de détails précis, une entrée, un canapé, des meubles lourds, des tables, des chaises et tandis que nous prenons le chemin du retour et qu’au loin la voiture garée luit dans le couchant, ils lâchent ma main et me précèdent en courant. Le petit s’arrête soudain, se retourne et lance: – Notre cabane, ce sera comme la maison, en fait!
– Bien sûr, dis-je.
Je retire les légumes de la poêle et m’installe en souriant; ce n’était pas pour rien… les premières bouchées passent difficilement, puis le présent se réinstalle, meubles lourds, tables, chaises, tout est là comme autrefois, mais le silence…

perspective

impeccable déroulement du jour
à peine d’ombre vers midi
le pas ralentit à cause des parfums
sucres et épices venus du nord
portés par le vent horizontal
c’est un visage poudré à neuf
les chemins glissent menus
j’y vois les parements d’un habit
le vert se noircit au fil des heures
les collines vêtues d’églises froides
parlent en toute simplicité d’un temps
d’un temps perdu supplicié oublié
où la ville chantait tandis qu’en bas
les miséreux labouraient crânement
derrière encore se dressent les hauteurs
et là j’avoue que je ne sais plus
confusion des canons et des morts
par centimètre carré tant de casques
puis plus haut encore liseré perdu
un nuage qui respire semble-t-il

Début de paroles

C’est une esquisse de voyelles lactées s’élançant hors consonnes dans le silence gardé à chaud par les adultes profus qui se taisent soudain, les yeux concentrés sur la bouche énonçant ses premiers “a” (elle a répété pendant des semaines et débute sans prévenir); la petite devine l’attention des parlants, entend dans la rupture de leur flot une attente, elle essaie aussitôt de stopper: on a le temps d’entendre un roucoulement amusé, jeu de voix où des consonnes viennent exploser, manifestement mues par le manger de maman, non pas le moment où elle aspire le lait merveille, pures voyelles, mais celui où elle pince et pause, en puisant dans son corps exposé, lieu des consonnes. Le chapelet de syllabes qui s’ensuit va être mélange du désir vocalique et du physique consonnant: le squelette des consonnes va s’habiller de chair vocalisée. La soprano d’opéra seule en garde pieusement le souvenir ébloui et tragique.

Reverdie

… tellement fin et saoul que j’ose à peine poser mes pieds sur le champ dont chaque brin d’ivraie témoigne du chemin peu frayé à la verticalité dynamique et dont l’aspiration au ciel laisse à la fois admiratif et hanté de stupeur. J’ai peur de blesser. J’entends bien que c’est la loi de la vie, j’entends bien que l’on doit vivre et donc marcher, écraser, détruire ce que la sève s’évertue à lancer au plus droit, fierté fiévreuse, ouvertures d’une audace délirante, où un vert translucide domine au point de virer au gris lorsqu’un nuage avance rappelant la longue peine gravée au ciel des ramilles croisées sombres, c’était à quelques semaines d’ici, quelques jours. Le fracas de ces craquements d’écorces par millions, je l’écoute, tentant de ralentir au maximum ce temps qui trépasse à chaque pas de jour comme de nuit ; autant essayer de stopper la machine ronde, car ces innombrables élancements ne cessent d’être aspirés vers le ciel où je crois bien qu’ils nicheraient volontiers pour faire de la terre un paradis, ce lieu dangereux où les épousailles du bleu et du blé feraient mourir la sève et le temps, si bien que ( perdu dans l’habillement des halliers craquant de leurs coutures si utiles lors du voyage d’hiver et auxquels les pépiements en cascade restituent seuls un équivalent sonore) je me contente d’observer, désirs suspendus. Mais par un retour où je m’arrache à cette fascination, je constate que c’est à un nid que je songe, à un lieu où je serais suspendu entre le ciel et la terre – l’ange sourit -, lieu du temps lui aussi suspendu, cet à peu près silencieux où pour écrire on se retire du monde débordant d’allégresse. Durant cet exil, la visiteuse laisse tranquillement sonner ses pas sur l’humus ; je l’interroge du regard mais les froissements de sa bure étonnamment riche m’interpellent: qu’importe ton pas qui écrase et ta peur de blesser, qu’importe ton retrait, n’est-ce pas justement ce remuement universel qui te pousse à laisser monter tes chansonnettes artisanales, et n’es-tu pas tout compte fait partie intégrante de cette croissance effrénée lorsque tu en décris le décours ? – Je suis à la fois dedans et dehors, d’où le malaise. – Non, dit-elle, tu es entièrement immergé dans la saison. Interroge ton corps, il te le dira mieux que mes froissements murmurés.

la petite au printemps

ce miracle au visage poupin
épouse à merveille le déploiement
des feuilles qui guettaient rouge
au creux des sèves endormies

et lorsque la petite aux mains
de marionnette éloquente
vacille de tendresse l’accueil
du matin déplie tous ses pétales

sous le vent un peu frisquet
le souffle de petite s’arrête
ses pupilles cœur visible battent
au ras des joues du monde

elle appelle contre les volets
qui grincent et crient à neuf
accueillant dans l’air les arias
roulées des tourterelles graves

sa peau invite la douceur
et c’est du fond du corps
que nos lèvres insuffisantes
touchent son cou de satin

aux frissons trop hâtifs des bises
glissées entre les branches nues
elle répond par la demande
farouche d’une pression des bras

du sérieux à l’éclat son humeur
traverse des univers successifs
c’était un soleil et le ciel s’aigrit
dans le même soupir esquissé

les ramages de la belle saison
sont lancés sans partage
et ses sourires creusent au large
des babils qui hantent les années

http://lenep.com/jepeins/2010/01/26/le-sommeil-de-petite/

la petite

deux temps

l’ange parfois embouche la trompe de génie
l’air en est sombre de gravité solide
sons exemplaires qu’il pleuve qu’il vente
leur marche harmonique assure
que les fruits seront et les cols des cygnes
approuvent en écartant les branches des saules
qui se mirent dans le lac
ce chant tranquille de l’avril approchant
éveille les vrilles des chèvrefeuilles en fièvre
qui partent sans fléchir vers des hauteurs délicates
leur gris vert s’égare sur les chanterelles inouïes
d’un art heureux

comment garderai-je ces jeux sans nombre
lorsque la bouche de novembre vide
exercera ses gels et ses jours descendant
sur les fausses notes ces injures
que la nuit rythme et quand des vols de corbeaux
s’abattront en criant sur les friches appauvries
qui gisent sans reflet
quelle parole restera-t-il à ce mois lent
j’invoquerai les pailles et les grains
qui s’entassent en glissant sur le pavé des granges
où le gris des froids remonte de la terre
pour nous fonder

mystère

comme à l’ami on tend la main
le pardon que l’on donne
est une parole si légère
si fugitive dans l’avancée des rues
que je m’étonne de ma voix
distraite alors que c’est la même à la vie
ou à ce chant montant ici
dans le secret souci de l’œuvre

ainsi s’échangent des voix
pour presque rien un peu moins qu’un texte
ce croisement de fils usés
où l’autre pourtant est visé vers la venue
d’une réponse au son du pas
ma chance est au silence je le sais bien
et le chant qui nous lie
est lui aussi étonnant acte de foi

toujours à la fin le pas
cette preuve que je suis et serai
et même s’il est passé
il fut aussi n’en déplaise aux amoureux
qui se croient seuls
car ce qui fait la beauté des avenues
c’est ce mystère
où je me trouve quand je me perds avec toi

refrain

     poser la main sur le bras de l’aimé
pour attirer son attention vers le bleu
sans dire un mot est
une affirmation mélodique
où le seul devient deux
et s’extrait de la gangue
où la vie pour soi me retenait

     poser le pied sur la terre en éveil
pour éprouver son avancée
sans penser à rien est
un miracle qui me grandit
où loin de marcher sur les eaux
je sors de mon unique corps
où le silence me retenait

     poser la tête sur l’oreiller frais
pour songer à l’ami lointain
sans penser à soi est
un écoulement dans le temps
où ma solitude se dissout
et je m’endors loin du souci
où la peur inutile me tenait

     poser le vase de fleurs sur la table
pour faire entrer la fraîcheur
sans autre pensée qu’un bonjour est
une sacralisation de cet espace
où je vivotais mes habitudes
et voilà le monde changé
où des battements vains s’attardaient

     poser une question à l’aube
pour dissoudre l’absence dans l’azur
sans pour autant s’attrister est
un chant neuf de ma voix
où la bouche séchait rauque
et l’ange fait vibrer l’air
où la poussière le retenait

     poser son corps au fauteuil
pour apaiser le désordre
sans oublier les secondes jolies est
la seule manière d’écrire
ou de rêver un monde juste
et je cueille les violettes malignes
où la grave espérance attendait

Le retour mélodieux du traducteur

C’est le plus beau des voyages. Je suis ici, niché dans ma langue avec ses collines bleu horizon et ses fleuves d’évidence, mais je suis aussi là-bas, au pays où rien ne me ressemble, forêt noire et landes de bruyères. L’autre est à portée de main, j’en ai les caractères au bout de mes phalanges, c’est un cousin lointain que j’entends parfaitement ; ma tâche est de l’arracher à son altérité pour l’attirer dans mon palais, enfin dans ce qui est ma vie, mon souffle, mon rythme, raisons et rêves mêlés.
 Que faire ? Je prends des risques, moins des libertés comme on se plaît à dire que des nécessités ; je bouge prudemment la syntaxe comme on écarte les branches à l’orée de la forêt, je déplie la lisière des mots et l’autre pénètre dans mon royaume – là où le mot et la chose s’épousent un peu, où le dire et le voir se font inconsciemment des mines.
 Même si le sens m’en est clair, il se peut que le texte allemand ne consente pas à se défaire de sa gangue ; j’ai souvent l’impression que plus la clarté de l’étrangère est aveuglante, plus l’arrachement vers la langue maternelle est ardu. Tout est blanc soudain ; le prisme qui doit décomposer l’autre se trouble d’une opacité de roc gelé qui aveugle mon esprit pourtant lesté du sens : je guette un retour qui ne vient pas.
 Il faut s’attarder sur ce moment où rien n’advient, où la loi du sens fait pression pour exiger sa restitution dans la langue d’enfance. Je me dis parfois que c’est davantage un lieu qu’un sens : je vole sur place au-dessus du Rhin, je suis totalement frontière, je me vois sur la carte, isolé, battant des ailes contre le vent d’ouest, bloqué par le mur de ma langue bien aimée. Je rêve de péninsule d’Europe, de clarté tempérée où l’Atlantique tiédirait la verdeur du Harz, ce cœur d’Allemagne bien connu, bien entendu, qui viendrait se réchauffer à deux pas du Gulf Stream, au seuil de ma maison.
 L’aller est tellement facile, le mouvement est naturel, on a toujours envie de partir ; je vais à l’aventure, plein d’espoir, sûr de l’étranger dont je connais la langue et qui pourtant me dépayse si bien que je vois déjà miroiter le bonheur de sortir de ma peau. La difficulté est au retour : tant de connivences m’attendent, je vais renouer avec l’allure ordinaire de mes heures toujours jouées, un amont de souvenirs va dévaler sur mes épaules, tant d’affections anciennes à porter. Un trop plein d’amour pour ma langue embarrasse mon retour. L’effacement de l’autre – pure fiction, car avec ou sans ma traduction, il demeure – n’implique pas automatiquement l’ouverture sur le monde des mots où j’ai grandi : celui-ci m’est en effet si familier que mille chemins s’offrent à moi. Tant de voies pour un sens, j’hésite. Superbe attente, délicat retour : j’ignorais que ma langue maternelle allait vers toutes ces directions à la fois et sans l’autre langue je serais resté enclos dans le refrain des tournures moulinées étourdiment chaque jour.
 Mais j’anticipe comme si j’avais trouvé le chemin de la maison alors que je trébuche sur les marches qui nous séparent. Il faut prendre cet entre-deux à bras le corps, lorsque l’autre disparaît et que l’un n’a pas encore paru : je plonge en vérité, je me noie dans la perte du langage, flot d’oubli taciturne. Moment désolé en apparence, très proche de l’ouvert auquel l’écrivain est constamment confronté. Mais le poète aime l’aventure, il chérit ce risque, il éprouve sa force ; le traducteur face au vide, paralysé de stupeur, se reproche sa maladresse. Je me console en songeant qu’ainsi, hors de moi, hors des mots, je côtoie au plus près l’auteur que je traduis : je me penche par-dessus son épaule, je le vois incliner la tête pour que je suive l’avance de sa peine et je découvre alors sa main qui repousse la nuit du mot à venir.
 Je comprends tout à coup ce qui me manquait : j’avais oublié que le poète lui aussi est traducteur ; il traduit une réalité intérieure et c’est ce mouvement qu’au cœur du langage j’ai pour tâche de retrouver. Il a fallu le silence, il a fallu mon indécision pour que, dans la nuit de l’avancée vers la langue française, je croise mon écrivain allemand, dans l’autre sens. Nous nous saluons, nous nous reconnaissons : son effort est à la mesure du mien. Certes, le sien est d’un ordre différent, sa traduction va vers le tout autre, alors que la mienne surgit de sa main de maître. Mais il me donne au passage un conseil de la plus haute importance : je dois m’accorder à lui comme on le dit du violon et du piano. Parmi les mille voies possibles, le chemin que je choisirai dans ma langue est annoncé par son chant. Sa musique va me guider.
 Je dois saisir sa mélodie. Je lis une page de l’œuvre, je la relis jusqu’à la connaître par cœur ; je sens que mon corps assouplit ma bonne vieille langue familière, je m’accorde, je m’adapte, je dis oui à tout, je suis tout ouïe. Je m’efface, j’efface le texte étranger et guidé par la musique, une voix murmure enfin un chant d’eau claire qui sourd au beau milieu du silence. Je sors de l’autre, du livre, délivrant enfin le sens jusqu’alors prisonnier de ma langueur.
 Car une certitude dort au fond de la langue maternelle ; il suffit de dire, d’oser dire et le filet se fait tapis de mots ; la phrase fidèle et imprévue attendait patiemment que la pression du sens se dénoue en mélodie. C’était un jeu, le voyage retour était affaire de confiance, jolie petite peur suscitée mais nécessaire pour retrouver le chant de l’autre.
 On voit bien que le même jeu d’abandon court sous les doigts du musicien : le texte est écrit, croches, noires, blanches, tempo, et pourtant, sur le silence à venir, le soliste va inscrire sa langue au plein du jeu. La chance est au futur, sa règle est plus féroce que celle du traducteur puisqu’il est cloué au rythme, mais il va faire déborder le temps de toute la technique de son corps éprouvé. Il se doute de l’avenir mais il compte sur le ton général dicté par ce moment de son corps pour se surprendre. Il va vers le nouveau puisque tout fuit, mais comme le traducteur il obéit à une règle étrange, déroutante : plus je m’efface, plus je suis moi-même. Car être soi-même dans le temps, c’est vivre l’aube perpétuelle, devenir neuf à chaque instant, entrer dans un prolongement renouvelé de soi.
 En jouant, en traduisant, je me découvre ; je rencontre l’autre, je le devine, ma langue s’affine, le retour m’obligeant à ouvrir dans ma langue des voies que je n’aurais jamais frayées.
 Il n’est pas question pour Ulysse de rentrer sans avoir traduit tout l’espace lumineux de la Méditerranée ; c’est ainsi qu’en devenant « personne » il s’absente de soi pour découvrir les figures stupéfiantes de l’autre. Ce retors s’amuse à se perdre, on admire les mille ruses, mais Homère seul, on le sait bien, est le vrai traducteur de ce traducteur au long retour mélodieux.

bonjour

         l’air envoie un signe
du lieu où il vente lâchant les hirondelles
tenues dans le poing de la chaleur là-bas
les revoilà obliques ou filant sous les pluies
au ras de nos demeures ouvertes au silence

          caresses de l’air neuf
elles s’appuient sur sa transparence fluide
passantes distraites cherchant parfums
de feuilles vert cru boutons éclatés
mérite et récompense du voyage abouti

          creusant l’espace
de leurs exercices acrobatiques et sûrs
la peine qu’elles prirent à revenir
s’efface en souplesse sur les saules
qui bordent le jardin au bonjour très naïf

          puis s’installent
vérifiant l’appui de leurs pattes pliées
calées sur les branches épargnées du vent
nous avons vu l’hiver je peux le raconter
mais que vaut ma légère parole votre venue

          est un salut poli
par les milliers de kilomètres lourds
chères figures pointues et vêtues de futur
vos cris lancés dans la lumière de l’aube
anticipent les creux mélodieux des nids

écriture

que d’abord s’établisse un silence

où rien d’autre ne perce que le chant
toujours tu de la présence de l’autre
               en moi
mon ange cliché puisque je suis entre deux
puisque le texte entre ciel vide et terre bousculée
              se glisse

parfum épicé de troènes en friche
               la vérité
ne monte que sous la surprise du dehors
ce que tu sens est à toi-même une invite
               secrète
à boire les rivières je me lie à la source
et mes gorgées deviennent cette phrase mesure
               qui naît

et qui donne à mes pas la grande allure
               de la joie
le fluide de la visiteuse prépare
l’avance sereine des mots que je me dois
               d’écrire
et la présence se dresse libérée de moi
face à l’horizon du temps qui nous est accordé

en moi se glisse la vérité secrète qui naît de la joie d’écrire