un bonjour

pour faire tomber les murs de la prison intérieure
où l’on est à douleur
– antique recette de ceux qui se souviennent –
je m’en remets aux mélodies d’antan
un tissu apprêté de légère nostalgie se déchire alors en douceur
classiques en tête
des marionnettes – violon piano – s’élancent en rythme limpide
le par coeur joue son office de baume
la douleur renonce à lancer
et c’est un faux présent passé qui s’ouvre à mes langueurs
sortie efficace mais provisoire
la mélancolie la sérieuse la rigide
un moment désarmée
tapie sous les notes
devine que son tour reviendra
après la fin du morceau
elle attend
ce n’était en effet qu’un pis aller

je ne sais qu’une recette efficace
une seule
c’est la poignée de main
– mais le poème aussi –
quand nos deux paumes chaudes écrasent la mélancolie
et que regards droits voix d’ombre sage
tu m’adresses un vrai fervent bonjour

un pétale

la consolation est du côté des fleurs
des doigts giroflées aux effluves légères
car dès qu’il gèle
l’air se fait minéral et novembre désole
où prend-on alors en hiver
ce minimum fragile
un pétale
qui rassure de nous ressembler
vieille affaire du trop doux
joues caresses cheveux morsures
et la tendresse joie nous épargne la faux un instant
et les bruits crevants du vrai

tu as vu le carrosse des années
ce désastre
sans l’espoir d’une éclosion renouvelée
je me sens ce novembre
interdit de chant de souffle
et de peau sans cesse effleurée

un pétale dit-elle soudain
un pétale est un autel pour la rosée
car la peur de vivre au printemps fait sourire
et la brume d’avril
déposera bientôt l’aube perlée au creux du velours

une vie

parti depuis longtemps
plein d’intentions louables
je me souviens des pavés du chemin
sérieuses alarmes chaotiques
les sourires sereins des amoureux
compensaient les graves absences
il est pourtant doux de vivre disaient les chansons d’alors
et les amours arment le présent
bras d’acier jambes de feu baisers de chair
le ciel sauvage éclatait dans les larmes
je songeais
ne redoute rien
ni chanter
ni tordre les mains
ni serrer les corps

plus tard
selon la promesse paume contre paume
l’entrelacs des doigts se relâchant
j’ai dû composer dans les ouragans
nuque baissée
des chants d’ici
et maintenant je sais

rien n’est à l’ordre des nuits
ni des jours
je tricote ces syllabes au présent

debout

claquement de langue des vagues
elles disent aussi le sérieux de l’écume
et les larmes
– innombrables présences venues de l’horizon –
sèchent à deux doigts des orteils
et la chaleur les boit
faisant mousser le long sable mouillé
il faut du sang froid
pour risquer face à cet immense fête
ce pas qu’engloutit la sérénité inaltérable des lames
pas perdu qui chante pourtant
crissement infime du poids du corps
et la ligne de plage a beau être infinie
– victoire – la voici coupée par mon corps

je suis là
je ne crie pas j’écris debout
chante chante confie la vague
éloigne les falaises
qu’elles accueillent ton écho
comme je le fais de la naissance sans cesse renouvelée
ainsi ta voix aura-t-elle ce grouillement
ce chaos nécessaire à l’ordre des chants et des choses

ta parole dit l’océan
signe mon écroulement sans fin
sur tes pieds nus

le verdict

au pays où l’on babilla
et s’emplit de joies floues
quand des cris brisaient le fil des songes
l’encre bleue de mélancolie coulait longtemps au lit sec du corps figé là

puis la peine faisant ses gammes
le cœur s’est ressaisi le sang bat désormais dans sa chambre particulière
je songe aux autres qui dansaient dansent danseront
et j’aperçois – j’en ai vu des choses –
des figures fluides d’enfants qui font mine de fuir
une main mélodise en mineur là-bas des sonates crépitantes
et la bonne vieille peur
appuyée sur son bâton
s’avance familière et usée
la voilà qui se redresse souriante
paume sur les reins
ne t’effarouche pas dit-elle de me voir revenir
je sais bien le silence et le monde qui s’éloigne
je suis venue du fond des ans pour partager
ton petit univers
ce souci des syllabes comptées – poèmes –
minuscule logique de modes négligées
où tu humes et rôdes et soupèses

haussant la voix elle ajoute
je te condamne à continuer

l’éphémère

douze ans
les chemins dévalés coeur battant
on filait au loin
aucune peine vive n’équivalait alors
la vaste douleur présente

le tragique haché insiste sur chaque seconde
sur chaque pas
ce négatif qui me fait avancer
l’écoulé de l’adulte
n’en finira plus jamais de fuir
et ta main qui me lâche
et mes lèvres qui s’ouvrent
(excuse-moi)
désormais loin de l’autre
pour dire quoi pour dire quoi

et la barque et la barque
dont la proue craque au vent
les tolets grincent
j’entends là-bas des ailes qui battent
on reclaque en hâte les persiennes folles
je rentre ma tête au creux du blouson
acheté trois sous l’hiver dernier

le col seul m’abrite

l’éternelle

sorti de la tanière
où d’ordinaire on végète trois cents jours et plus
j’allai sur les bruyères avant l’aube
et penché sur mon pas
attentif à la floraison grise et rose
je l’entendis glisser sur les feuilles de mai
grave au sourire
majeure en son aura
et son parfum futur
m’entoura vite de son orient privé
longtemps une lumière très neuve monta
sous son regard fabuleux
un vitrail frissonna
(que j’aménage désormais largement en ma mémoire)
ne restèrent bientôt que les poussières des rayons de midi
il fallut la nuit et mes bras pour que l’ombre me la ramène en son allure
dans ce rêve qui court depuis la première entraperçue là-bas
il y a bien des siècles

Novembre

quand le pas broie du noir
quand la mer dès l’aube – paupières cireuses –
charrie des masses d’encre voilées
à peine inspirée
l’iode de novembre
se fait fièvre aux poumons
les cimes dépouillées
charmes ormes chênes xylophones affairés
s’entrechoquent dans la brume fatigue
l’affaire de vivre
en plein doute
fait de novembre un où es-tu entêté
c’est à peine si l’on avance aux halliers glacés
le corps dépose les armes
au bout des alarmes maximales
la onzième saison sonne derrière la mort

et c’est alors
au bout de l’an ou presque
que remonte facile la mélodie des doigts
dans le filet des jours
la pluie joue du piano
le vent souffle ses symphonies improvisées
l’époque affolée bascule
dans la saison des œuvres chaudes
le noir rédige enfin
sur le blanc silence des brumes qui se lèvent à volonté
le chant joyeux des enfants de la vie

La Visiteuse

ce qui grandit avouait-elle
– j’entends encore son soprane velours –
c’est sur la placette
votre saule qui chante sur ses mobiles feuilles d’or
elles seules font le rire cru de novembre
vous l’entendez demandait-elle
et ce silence de mai cet écrin des oiseaux
vous l’entendez je le sais

je revois à travers les décennies
sa silhouette inchangée venue de l’horizon
j’aurais aimé sa main dans ma main
mais rien n’aurait pu la toucher

ponctuant chaque saison de ses fruits nouveaux
prenez disait-elle prenez
fleurs fraises pommes et noix sur un lit de paille
la corbeille semblait légère
comme ses robes en ma mémoire
allez ajoutait-elle enfin
enclose dans votre palais
la chair des framboises explosera sur commande
et l’éphémère parfum des poires de juin
montera dans la fuite des jours

étrange visiteuse
reviendrez-vous
autant que vous vivrez rit-elle
je veux dire
longtemps

Une Faiblesse

merci dit la femme aux paupières papillon
ticket d’adieu à la main
je suis hors boutique
et retrouve à l’asphalte l’apocalypse des âcretés carburées
tenant le pantalon payé au bout du bras
j’anticipe l’usure et les mille plis
puis les soleils et les pluies
tout se débine soudain
ce dépit ce dépit
le sac de plastique danse son sarcasme
je dois arracher ma présence à la foule
ils sont tous là
obstacles rêches odeurs fortes appels parapluies semelles
et moi et mon petit pincement d’aimer
à peine apaisé
(désir de forêt)
voix fuguées des passants aux cent pas
ils vivent mieux
dans leurs fièvres complices
éblouissements
monte d’eux un secret dont je ne sais rien
dont je rêve
empruntant la bordure du trottoir
en équilibre
sur la rive du caniveau ressuyé
ma cheville dévisse aux pavés
choc des malléoles
panique qui me crie que rien
rien ne va

au réveil
chuchotis de paroles salivées
à deux doigts des tympans
je crois que je gis au-dessous des choquantes sirènes
cahots du brancard