solstice
le jardin est immobile
et quand l’aube perce
elle arrose troènes et rosiers royaux
comme un appel rayonnant
à la folle gravité de l’ombre noyée
je m’affole de pareille chance
je vois bien qu’il faut saisir la lumière
le coeur me manque
c’est trop de beauté
les parfums fabuleux de tous les temps
se confondent dans l’écrasant matin
les morts à regret font retour
à travers la blancheur ironique
ils maugréent des chants
où l’on parle des nuits ouvertes
à tous les vents du rêve
je me tourne sur l’oreiller
je me bouche les tympans
j’en appelle au banal
à la suite des jours défaite du solstice
car ce soleil qui ne cesse de demeurer
est un piment cruel à goûter
mon palais flamberait
si j’étais embarqué dans ce jour infini
je ferme les rideaux
laissez-moi ma nuit bien rêvée
dis-je à l’intruse lumière en souriant
j’aime dialoguer avec les disparus
les nombreux absents qui m’enchantent
et qui demeurent longuement
dans mon crâne têtu
Oh, quel combat ! pourquoi savourer cette lumière rayonnante, arrivée en son apogée en la maudissant et en appelant aux ombres de la nuit ? Poète au double visage seriez-vous Janus ? Vous voici teintant de bleu, rideaux tirés la lumière plus intérieure du Solstice d’hiver …
c’est que c’est le solstice d’été; le soleil s’arrête. On craint le cataclysme d’un soleil à son maximum. la trop grande clarté force à fermer les yeux. Trop de lumière c’est l’ultime éblouissement. Je redoute le déclin qui s’annonce par cet éclat.
Fermant les yeux, j’entre dans ma nuit. En février j’ouvrirais au contraire le regard pour faire les yeux doux au soleil qui naît; s’il te plaît épargne moi laisse-moi vivre encore ce printemps. Mais là juin illumine redoutable, il signe d’une plume dure l’avancée irrépressible. Oui, les contours sont mille fois magiques, mais c’est pour mieux nous emplir d’espérance factice.
Dans les derniers poèmes dit de la folie Hölderlin dit:
“Avril mai et juillet sont loin/ Je ne vis plus je n’aime plus cette vie”.
Il escamote juin. Son bienheureux commentateur suggère qu’il ne cite pas juin parce que c’est le mois où Diotime est morte, tandis qu’il était à Bordeaux(1801-1802).
Disons pour faire simple que le moment de la plus grande lumière est celui où l’ombre est la plus noire.
Nous les gens de doulce France avons un nuancier en mémoire qui redoute les excès.
Merci Christiane. Merci.
Hum, ne seriez-vous pas ce chat- là , si bien évoqué dans ce poème de
C-M. Leconte de Lisle dans ses “Poèmes tragiques” ?
“Le chat et le soleil
Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.
Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J’aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.”
Voici le poème de Charles-Marie Leconte de Lisle auquel je pensais :
La mort du soleil
“Le vent d’automne, aux bruits lointains des mers pareil,
Plein d’adieux solennels, de plaintes inconnues,
Balance tristement le long des avenues
Les lourds massifs rougis de ton sang, ô soleil !
La feuille en tourbillons s’envole par les nues ;
Et l’on voit osciller, dans un fleuve vermeil,
Aux approches du soir inclinés au sommeil,
De grands nids teints de pourpre au bout des branches nues.
Tombe, Astre glorieux, source et flambeau du jour !
Ta gloire en nappes d’or coule de ta blessure,
Comme d’un sein puissant tombe un suprême amour.
Meurs donc, tu renaîtras ! L’espérance en est sûre.
Mais qui rendra la vie et la flamme et la voix
Au cœur qui s’est brisé pour la dernière fois ?”
Car le poème y est associé à la mort et au sommeil et me donne même impression que celle qui vous a inspiré ces mots : “On craint le cataclysme d’un soleil à son maximum. la trop grande clarté force à fermer les yeux. Trop de lumière c’est l’ultime éblouissement. Je redoute le déclin qui s’annonce par cet éclat.
Fermant les yeux, j’entre dans ma nuit.”
Celui de M.Carême est un souvenir d’enfance !
Je comprends à chaque fois que je le lis pourquoi il a pu être LE poète de son temps. C’est si beau, tellement immobile, malgré l’injonction: “Tombe!”
Pur.
Douceur et tendresse. Maurice Carême, on a raison de le faire apprendre aux petits. Enfant et chat c’est pour vaincre la nuit. Remarquable petit texte, si consolant, lorsque le soir vient.
De Maurice Carême, le poème de le Conte de Lisle, c’est un autre !
Et pour vous remercier de tous ces poèmes, je reviens au nom de votre blog par Montaigne : “Je ne peins pas l’être. Je peins le passage… »
[Essais, Livre III, chapitre II, « Du repentir »]
“Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention. C’est un contrôle de divers et muables accidents et d’imaginations irrésolues et, quand il y échoit, contraires ; soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres circonstances et considérations.”
Texte cardinal à mes yeux en effet. L’opinion a bonne mine ! Et qui es-tu?
La volonté est envolée. Le présent une chimère. Terrible texte qui décrit à merveille les embarras de notre postmodernité.
Merci de le citer dans sa crudité !
Merci d’avoir remis en ordre ces commentaires , pour lesquels une anomalie avait effacé une phrase, rendant à chacun des poètes leur œuvre.
Je voulais effacer et recommencer mais je ne pouvais le faire !
Oh mais il n’y avait pas grand chose à modifier. Vos interventions sont précieuses, chère Christiane.