roses d’avril
les roses donnèrent l’alerte
elles s’ouvrirent en une nuit
grâces et corolles
c’était le printemps
ma peine s’ouvrit avec elles
je me souviens du jardin
visité de pétales
de mon pas prudent
mesurant la chanson
sur la Picardie et les roses
chers amis chers amis
que sont vos vies devenues
je vois bien vos noms au monument
mais vos existences
vos gestes votre belle envie
de vivre
je devine ce qui vous a été volé
le café aux vantardises du samedi
où la tête vous tourne
la main qu’on frôle
aux flonflons du quatorze juillet
et le long frémissement qui suit
jusqu’à l’aube où son image trouble flotte encore
dans la tasse de café
de tout cela la mort vous aura dispensé
et au lieu du retour des hirondelles
vous n’avez eu du printemps que l’affreux avril de Nivelle
voilà ce que les roses me rappellent et les roses s’ouvrent partout
et je ne sais pourquoi partout en cet avril la rosée me gèle
Il n’y a plus de chronologie mais une torsion vers l’enfui du temps révolu. La mort comme un noyau central. comme si l’amour, c’est cela qui commence à disparaître.
L’odorante floraison s’incline sur les tombes. Roses engourdies sous la froidure d’un gel tardif.
Un sentier qui n’a pas été foulé pousse le poète vers la solitude .
On dirait une toussaint très tardive, dès que la pluie nous fonce dessus. On a beau dire c’est avril, et sentir le tiède de l’air sur la peau; je crois qu’il faut patienter. Je sais bien on dit toujours qu’il faut patienter, et on dirait que rien ne vient. C’est que quand ça vient on est dedans et il n’est rien de pire que d’être dedans le soleil, le bonheur.
C’est injuste ce procès que l’on fait au temps qu’il fait.
En fait le temps qu’il fait a peu à voir avec ces humeurs. C’est le temps qui passe qui compte. Et les humeurs sont moins des nuages que des mirages qui viennent visiter l’aboulique qui en effet est variable avec éclaircies. Le comique du quidam: il prend le temps qu’il fait pour lui-même. Prince de son intériorité il se prend pour le roi. Les gens du sud n’ont aucun mérite; ils se lèvent il fait beau, écœurant. Je me demande si c’est si bien que ça. ça tourne routine.
Goethe disait – et Freud après lui- (je te fais grâce de la formulation allemande): Rien de plus insupportable qu’une série de belles journées. Je me demande s’il songeait que “belles” signifiait ensoleillées. Je crois bien que “oui”. Non, je ‘veux croire’ que “oui”. Car cela veut dire qu’il n’y a rien à envier aux pays de méditerranée. “On dirait le suuud”, chantait un très bon musicien. Il s’est tiré une balle dans la mâchoire, ce qui pour un chanteur est rédhibitoire. Un vrai mélancolique, oh c’était pas Nerval mais quand même. Très beau, très plaisant. Une voix discordante dans le toujours rythmé de notre temps. Chantait bien la mélancolie des belles journées.
Je pense tout soudain que cela nous remet loin. C’est le temps de Charlemagne: la doulce France. Ce tiède un peu frisquet qui s’appelle la France. Un pays d’énervés. Un pays qui en a marre d’être en si douces frontières. Ils veulent du changement, les humains français, il faut les comprendre. La douceur c’est pas humain. Il faut de fortes émotions. Sinon on n’a pas l’impression de vivre. Ou plutôt cela fait un pays de croqueur de xanax, ce boustrophédon qui fait le bien. Sans le prozac pas de français possibles. Pire que les inuits qui au moins dans leur glace ont des ennemis à vaincre tous les jours. J’aime bien votre: “Roses engourdies sous la froidure d’un gel tardif”. On dirait que vous vous soufflez sur les phalanges pour que les veines recirculent. Ce souffle, cette musique qui réchauffe, haleine, viandox portatif.
“Un sentier qui n’a pas été foulé pousse le poète vers la solitude” dites vous. Eh bien, je ne dis pas autre chose.
Merci Raymond pour cette longue réponse
Beaucoup de forces en conflit dans votre réponse, Raymond. En vient une sorte de paralysie ou une fuite dans l’irréel. Quelque chose de douloureux, un trop plein de lucidité. Le poète se rétracte en lui-même, s’esquive dans un no man’s Land.
Vous évoquez souvent “l’ouvert”. Cette notion philosophique chère à Hölderlin. Est-ce entre deux extrêmes le pays des possibles ?
L’ouvert c’est Rilke. C’est cet affolement du tout est possible de l’homme moderne.
Hölderlin, c’est tout autre chose, mais ça revient au même. Il a connu la révolution française. Il a fréquenté adolescent ces sublimes rêveurs: Schelling et Hegel; copains de classe. Quel trio!! Dommage qu’on n’ait pas d’enregistrement!!
Enfin voici comment ça se passe chez Hölderlin: il croit à la poésie à la mode de Pindare. Le poète est l’intermédiaire entre les hommes et les dieux. C’est plus antérieurement encore le chamane de la Grèce d’Homère et même avant.
Puis tout soudain la révolution française, le tout est possible s’immisce. Hölderlin croit que l’on va revenir au temps de Périclès, et de Pindare. Cela jusqu’en 1800.Il écrit donc à la mode du temps, des chants qui évoquent ces temps où les hommes et les dieux se tenaient ensemble. Le ton est lyrique harmonieux apaisant. Il dit qu’il veut maintenir pur l’espace entre les hommes et les dieux, car il sent que quelque chose se passe. Comme un séisme. L’hypersensible sent que 1800 est une date clef pour la vie de l’esprit. Bonaparte est le fis de cette fracture. La croyance dans les dieux s’affole, balbutie. Alors Hölderlin accepte un poste de précepteur auprès du consul d’Allemagne à Bordeaux. Il y va. C’est comme s’il allait en Grèce. Il passe de la fraicheur des forêts de souabe à la lumière du sud ouest. A partir de ce moment les déceptions se suivent. Diotima (Suzette Gontard) meurt, il écrit à un ami qu’il a été frappé des traits d’Apollon la folie point. Les textes se font brisés et jusqu’en 1806 il va aller de chez lui à la rencontre du néant. Quantité de textes le montrent.
J’ai imaginé que c’est la première fois qu’un être humain est aussi seul sur la terre. Le voyage initiatique s’est transformé en cauchemar.
J’ai imaginé que ce n’était pas le seul Hölderlin mais tout l’occident qui avait basculé dans le prosaïsme et la dégradation psychique. On avait dans les rêveries de Rousseau une promenade où au plus profond d’une foret il tombe sur une usine. On passe tout doucement d’un monde agricole répétitif à un monde industriel. La nature cède aux absurdités industrielles. Hölderlin est hanté par ce nouveau monde qui vient qu’il devine, un monde sans dieu, un monde sans nature, déjà un peu mort.
Sa crise psychique est la crise grave de notre occident qui entre dans l’ouvert du tout est possible.
Je relis. Il faut toujours relire avec vous. Donc le soleil, le bonheur, autant d’assouplissement dites-vous. Et quoi, un peu de frissons pour les réveiller de cette torpeur ? A inventer de préférence pour qu’il se passe quelque chose enfin. Trop gâtés pour être lucides ?
Et si c’était que sous la peau tranquille au soleil le dard noir du désir parlait d’insoumission ? De renoncement en renoncement nous devenons tièdes et malléables. Période de silences honteux. Ne dit-on pas qui ne dit rien consent ?
Je sens que vous n’êtes plus en période météorologique. La foule passe et vous dans votre beau jardin à une rose vous vous liez.
C’est aussi que je pense une chose et son contraire.
La solitude de Hölderlin, sa folie c’est nous. Mais quelle joie aussi de vivre totalement libre dans sa tête. L’imagination n’est plus bridée par une quelconque invention humaine; liberté de rêver dans un pays sans normes, sans balises. Chacun forge ses clefs. Aucune n’existe absolument.
Vous dites tout cela aussi, mais autrement, superbement.