La rencontre fut animée et intéressante. Quatre poètes, ce sont quatre musiques, quatre manières d’envisager le provisoire de notre existence. Chacune avec son style et l’extrême fragilité du recueil qui contient pourtant chez chacune d’elle une force magique. Les regards étaient emplis de feu. Soudain cette impression que nous ne nous étions jamais vus (ce qui est vrai) mais découvrant à travers le regard le contenu du recueil que je n’ai pu m’empêcher de projeter sur leur présence. Passer d’un « recueil » (si bien nommé) à un visage est si émouvant: comment ces mots d’exception ont-ils pu naître de ce visage tellement avenant? Et c’était le sourire qui confirmait. Très beaux moments où les voix alternaient comme au théâtre; c’était le théâtre du monde en réduction. Ceux (du public si heureux d’être là) qui étaient absents sont à plaindre. Ils auraient appris ce qu’est complicité, et légèreté de propos, et amitiés naissantes, à deux pas de la cathédrale par une étonnante journée où le soleil même avait été invité.
J’ai eu l’impression trouble que ma voix reprenait à elle seule les quatre voix pour les porter au-devant, voix parfois si légères, que ma reprise était finalement trop méditée, sauf les jeux d’esprit qui viennent ainsi sans qu’on le veuille et qui chantent à leur manière la joie de vivre ici et maintenant. Il flottait dans l’air un infime brouillard rieur que le soleil trahit depuis les croisées. Notre présence fut présente dans la toute-puissance du verbe poétique, à l’instant. Il n’est pas si facile d’être présent à ce point, si bien qu’alors que je sonnais la retraite, le public indigné dit: mais nous avons encore le temps! Le temps justement, c’est du temps qu’il s’agit. Bonhomme, j’ai laissé faire, il le fallait, je me suis assis, écoutant ravi le ramage merveilleux que j’avais humblement suscité par les voix de Bernard et Lucie. Il faudrait dire ici aussi l’importance de leurs corps; quand l’esprit parle, c’est métamorphose; nos récitants incarnèrent avec foi les paroles précieuses à nous destinées et rien que pour nous.
13 réflexions sur « Quatre poètes à Laon ce 16 octobre »
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Un temps hors du temps inscrit dans la transmission orale qui est là tellement évidente. Où vont toutes ces paroles portées par des voix-instruments ? De coeur à coeur dans un espace où la musique naît de l’enchantement de l’écriture.
On ne sait pas vraiment comment ça vient; mais je crois que ce propos même est un peu triché, un peu romantique et laisse croire à une inspiration venue d’en haut, alors qu’elle vient plutôt de la terre, de la saison, du vent dont parle si bien Jean Pierre Vidal. Ne pensez vous pas?
J’évoquais les lectures en poésie. J’ai souvent assisté à ces heures enchantées à La Maison de la Poésie, à Paris, et ailleurs. Ce que vous avez vécu samedi.
La voix du lecteur ou du récitant s’envole alors et nous atteint mystérieusement comme une musique faite de mots.
Hier après-midi, dans l’émission de M.Farine, en direct du Marché de la poésie, la poète Sapho était évoquée par des lectures mélodieuses en langue grecque. Magique.
https://www.franceculture.fr/emissions/poesie-et-ainsi-de-suite
Vous pouvez écouter cette merveille avec ce lien.
Quant à vos poèmes (j’ai lu ceux que vous mettez en lien), comme un voyage se refermant tel un anneau sur son point de départ. Une longue subversion. Une mélodie impalpable.
Grand merci pour “impalpable”… j’ai quelque part du côté du préconscient (ainsi que le disait Joëlle Abed ce dimanche 16) cette musique dans l’air…
Votre éditeur , Yves Perrine, “La Porte” (à Laon ) a, en 2013 , édité un petit recueil cartonné et cousu, même format que le vôtre, que j’aime beaucoup. C’est un dialogue entre deux poètes, Jeanpyer Poëls et Bernard Noël. Le titre “Défaillir ?”. Une étude à quatre mains.
J.P. écrit : “se blesser comme s’il fallait se fouiller, défouir soi, une ignorance, toucher à une altérité en somme, ce pour se sommer de parvenir au grand “creux” de sa carcasse, sa “charcoi” eût dit un Moyenâgeux, montré davantage une défaillance de sa nature, humaine inévitablement, menée là de se trouver à bout ; là, près de son âme, cette sacrifiée du cœur-abîme / cœur abîmé, dont rien n’amnistie la déroute, dont l’allant peut devenir celui d’un… ange dépourvu d’ailes, un rêve de taiseux, éventant la poésie portée au secours de ce taciturne, un ange qui déambule sur l’ocre étalé par le silence”.
Voilà, pour s’attarder sur votre rencontre en poésie, samedi.
montre ( au lieu de montré)
J’ai recherché ce petit livre…. pour l’instant je en l’ai pas retrouvé.
Votre citation invite à s’y reporter. J’ai croisé dimanche dernier Yves Perrine à la séance que vous savez, il m’a encore redit: non, je ne publie plus, j’ai fait 340 auteurs de poésie à raison de deux fois quatre par an… (ça fait un certain nombre de décennies!), tout était cousu à la main, illustré à la main… Trop fatigant, ce qui a été confirmé par son épouse.
Quant à retrouver un exemplaire, ça me paraît impossible. Il garde tout; mais il ne me confiera pas “Défaillir”. Enfin je le lui demanderai…
Je vous offre le mien. Il sera posté demain. Je crois que Bernard Noël serait d’accord.
Pouvez-vous évoquer le livre que vous avez écrit sur Georges Brassens, en ces jours où on fait mémoire de lui ?
Merci d’avoir suscité la parution sur Brassens.
En fait j’ai tout une série de textes – contenu du livre paru en 2001 – auxquels j’ai ajoutés bien d’autres pages, ce qui fait un livre qui ne demande qu’à reparaître…quant à trouver l’éditeur, je suis preneur !!
J’aime bien: “fait mémoire de lui”…
Hâte de lire ces textes !