Il est curieux de constater que Léo, admirable, a modifié le sens du poème de Rutebeuf; la version originale dénonce l’abandon du poète par ses amis. Ainsi ce qui nous reste en mémoire n’est pas le sens de Rutebeuf mais le sens que l’anarchiste avec beaucoup d’à propos a glissé dans ses interpolations de plusieurs textes du poète moyen-âgeux.
Dans « la complainte de Rutebeuf »
(d’autres vers viennent de « Le Guignon d’hiver »:
« Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a donné Dieu le roi de gloire
et pauvre rente
et froid au cul quand bise vente »;
Léo Ferré a fait un mélange subtil)
ceci de « La Complainte » à propos des pseudos amis
« De tels amis m’ont mal traité,
car jamais, tant que Dieu me frappa
De maints côtés
je n’en vis un seul en ma maison….
Ce sont amis que vent emporte,
le vent soufflait devant ma porte
et il les emporta .
Car jamais aucun ne me réconforta
Ni ne m’a fait le moindre don.
J’en retiens
que le peu qu’on a un ami le prend;
Et il se reprend trop tard
celui qui a trop mis
De son bien pour gagner des amis,
car il n’en trouve pas la moitié d’un
Pour lui porter secours. »
Le texte se termine sur cette remarque amère
« Maintenant je laisserai donc courir la Fortune
Je m’appliquerai à me porter secours à moi-même
si j’en suis capable ».
Le ton général est donc bien plus désespéré encore.