(A l’occasion de la parution du dernier livre de Pascal Quignard: “l’amour la mer”, je reproduis un commentaire général sur cet écrivain d’exception)
C’est toujours très beau, c’est un voyage qui ravit à chaque page
tournée, la langue vous happe comme jamais dans un texte contemporain
et miracle il écrit avec la même solennité affectée (humour ?) pour
éloigner les maussades qui lui envient son talent et perçoivent
obscurément qu’il est un des meilleurs écrivains vivants. A force
d’être amoureux de la langue on dirait qu’il la guide de loin et
qu’elle se développe toute seule, il la laisse écrire ce qui donne un
sentiment de liberté ahurissant (voir son « gradus » dans Rhétorique
Spéculative qui donne quantité de conseils sur l’écriture conçue comme
un rêve); c’est un musicien (pratiquant depuis l’enfance), découvreur
stupéfiant – Monsieur de Sainte Colombe, mais aussi Apronenia Avitia,
Lycophron etc. qui reprend la manière des très grands, en suivant la
geste inconsciente qui court sous les sonates. C’est un écrivain hors
norme qui se repaît des découvertes au fond récentes des sciences
humaines (Levi Strauss, Bataille, Benveniste) pour en faire son
excellence fragmentée. Un de ses derniers livres (Les Larmes) comme
les autres s’en va vers l’origine non pas de la musique (voir
l’indispensable Haine de la Musique) mais de la langue française, vers
la première phrase du français. Tout ou presque est inventé. C’est
donc un roman. Il est ce mélange rare de quelqu’un qui enseigne et
raconte dans le même temps (érudition étourdissante); « Il est si
grand qu’on ne voit que ses pieds » (Cocteau à propos de Goethe). Sa
musique faussement glacée est un long « grave » par lequel il fait bon
se laisser prendre. C’est nous dans ce temps accéléré mais armés
soudain d’un étrange tempo d’éternité (oui, cela existe). Il n’est pas
du tout au même niveau que les œuvres dont il est souvent parlé ici ou
là pour évoquer les ouvrages de notre temps. C’est autre chose,
présence inoubliable dans la langue, érudition exceptionnelle, il est
unique.
La Haine de la Musique est un ouvrage paru vers la fin des années 90
qui va à l’origine de la musique par le biais de la mue. De même que
Les Larmes cherche l’origine de la langue française. C’est le seul
écrivain vivant qui ait de semblables ambitions.
On n’a pas encore dit son dessein profond : le Dernier Royaume désigne
la vie qui nous est allouée, notre existence hic et nunc. Et le
premier royaume est donc ce temps que nous passâmes dans le ventre de
notre mère. Il dit presque que c’est une fiction dont il fait le fond
de ses divers volumes; il a même rattaché tardivement Vie Secrète
(bien meilleur ouvrage sur l’amour que le livre de Rougemont) à la
série du Dernier Royaume.
Personnellement j’aime un peu moins ses romans adjacents (Villa Amalia
ou Les Larmes) que les livres qui appartiennent à Dernier Royaume qui
sont presque (!) des traités de sciences humaines en style ancien
toujours impeccable. Le solennel qu’on lui reproche est une recherche
du silence qui lui permet de creuser un endroit où poser la musique de
ses mots. Comme tout grand écrivain il est différent de tous les
autres et la difficulté à le lire est de s’habituer au ton, à la
tonalité.
Disons ce qu’il en est du ton : comme pour faire de la musique on
exige le silence, le ton écrit, son style s’appuie sur le silence et
c’est pourquoi paragraphes et chapitres sont d’une brièveté calculée ;
l’œuvre nous rappelle constamment qu’il écrit sur le blanc et à la
profusion bavarde de notre temps il oppose un ton latin ; ce même
silence qui nous est nécessaire pour lire est mimé par le texte et
l’on dirait parfois qu’il veut au cœur même de la lecture nous
enfermer dans le silence de la poche amniotique du premier royaume. «
In angulo cum libro » (dans un coin avec un livre) est très souvent
mentionné comme pour nous rappeler qu’il est un ardent partisan de
l’anachorèse. L’extrême charme du Dernier Royaume est le mélange
d’anecdotes de toutes les époques, qu’il réinvente à son gré, et de
considérations prélevées aux meilleures sources des sciences et de la
culture ancienne ou moderne.
Il est politique comme on pourrait le dire de Montaigne. Ne te mêle
pas des affaires du monde et écris comme on grave ! Sauf que chez lui
on sent (il le dit presque) qu’il est terrifié par les autres, par le
social, et sa démission de toutes ses fonctions en 1996 est
l’évènement risqué qui fit de lui un vrai lecteur et un écrivain à
part entière. C’est à cet endroit qu’il convient d’évoquer son refus
total de la philosophie, ahurissante attitude incompréhensible pour
celui qui n’a pas vraiment lu ses textes ; il s’appuie pour ce faire
dès le début (Rhétorique spéculative) sur un auteur latin (Fronton,
maître de Marc Aurèle) qui s’est élevé dans toutes ses œuvres contre
l’assimilation au social, au groupe, à l’autre, à la pensée générale.
On dirait que c’est ce refus de la philosophie qui structure sa pensée
ainsi que l’attachement à la création ex nihilo (il faudrait sur ce
point préciser mais ce n’est pas le lieu) ; ainsi Les Larmes
disent-elles à peu près: on ne sait rien de l’invention du français,
tant mieux, voilà une fiction qui monte en moi, voyons voir ce qu’elle
donne. La littérature isole, la philosophie regroupe, tel est le
principe qui préside à ses choix. Son ouvrage sur le sur-moi est à cet
égard très éloquent : Critique du Jugement (Galilée)… beau pied de nez
à la philosophie, provocation qu’on n’attend pas de la part d’un conteur.
Il a tellement écrit qu’on ne peut citer toutes ses œuvres. Le dernier
récemment paru chez Galilée concerne l’invention du théâtre
(Performances de ténèbres); il faut dire son regard stupéfiant depuis
qu’il se mêle d’en faire lui-même, à sa manière. On ne peut guère
aller plus avant (ou arrière). Il faut dire aussi que cette fois il
s’expose physiquement aux regards des spectateurs ; il signale que
c’est un tournant dans sa vie, aussi important que sa démission de
1996; la peur semble vaincue ou plutôt transmuée par la nuit du
spectacle où il s’avance, un rapace vivant posé sur le poing : on lira
dans Performances de ténèbres ce qu’il entend par ce geste et son
avance muette sur la scène avec cet oiseau de mystère qui depuis les
cintres vient se poser sur sa main gantée.
La parution de “l’amour la mer” (Gallimard)en cette année 2022 confirme l’exceptionnelle qualité de ses écrits. C’est un roman, mais c’est bien plus que cela. C’est de l’histoire du baroque. Mais c’est bien plus que cela. C’est nous et bien nous.
C’est incroyablement émouvant, varié, direct et chantourné. Un merveilleux voyage.
Petit ajout:
Quand il a fini par intégrer “Vie secrète” dans la série du dernier royaume je l’ai éprouvé comme un soulagement. Cette vie secrète allait enfin avoir un avant et un après comme un cadre coloré vif et puissant. Il l’avait isolé d’abord pour pouvoir garder une distance par rapport à ses œuvres éclatées du dernier royaume; pour ne pas se brûler de ses propres souvenirs. Mais il est toujours vain quand on est un écrivain de se couper de morceaux aussi extraordinaires que “Vie secrète”. “Vie secréte” n’était finalement qu’un cas particulier du grand discours de vie d’écriture qu’est le dernier royaume. L’épreuve d’amour étant toujours subjective, mais le ton Quignard toujours le même, cet épisode douloureux avait sa juste part dans le “Dernier Royaume” qui comme on sait est la vie, la vie vécue, la vraie vie consciente. Il n’empêche il lui a fallu faire un effort pour admettre que Vie secrète, dans son exceptionnalité, était partie prenante de l’ensemble prévu.
Episode douloureux n’est pas le mot qui convient tout à fait. Il faudrait dire brûlant, ardent, décisif, magnifique d’ampleur et donc finalement bienheureux peut-être.
J’aime la réapparition de vos chroniques littéraires, pelotonnées au fin fond de votre blog.
Libre vous êtes, pleinement, quand vous créez vos poèmes ou dans vos commentaires.
Ici, à propos de l’œuvre de Pascal Quignard dont vous donnez la signification générale, avec élégance et gentillesse, vous êtes au plus près de son dernier livre (roman ?).
Quel travail obstiné et attentif et quelle culture… Prise de conscience d’une œuvre née d’une lecture attachée aux moments de cette œuvre “Le dernier royaume”, redoublant ainsi un acte de pensée. Un bel accord intérieur. Vous allez du dehors au dedans à l’origine, du fruit à l’arbre.
Je vous lis, passionnée puis je retourne à mon cheminement libre dans “L’amour la mer”, éprouvant son épaisseur trouble, m’installant dans les images du texte, la beauté de la langue, ce quelque chose qui cherche à s’exprimer de la fuite, du doute, de ce “mouvement qui va de rien à rien… de rien à plus-rien.”. Il aime tellement les questions et si peu les réponses. Fragments de braise et étincellements… Magique présence de Thullyn et de la mer, des vantaux de bois aux fenêtres. Comme une ligne d’or qui cerne les mots.
Oui sans doute ne fais je pas vraiment de différence entre les critiques (commentaires) et les inventions fictives. C’est l’écriture qui m’intéresse. Ce lieu où le professeur rejoint l’écrivain. J’essaie le plus possible d’être “gentil”. Positif. Je trouve que c’est du temps perdu de dire: Houellebecq c’est pas beau parce que c’est moche. Il y a suffisamment de mocheté de par le monde. Mieux vaut vanter ce que l’on aime en le défendant avec une langue précise, précieuse parfois; ce que l’on reproche souvent à Pascal Quignard et qui ne tient pas; on aurait tort de critiquer le maquillage, c’est bien connu, c’est fait pour faire joli.
L’amour la mer présente un écueil de taille; Froberger a bien existé, mais Thullyn (si joliment nommée) n’est qu’une fabrication langagière. On dirait que la vie de Froberger, ou la chute de Monsieur de Blancrocher, viennent à point pour revitaliser les personnages fictifs. C’est beau comme tout. S’il y a comme vous dites si bien “une ligne d’or qui cerne les mots” c’est à ce procédé, devenu loyal par la grâce de la musique de Pascal Quignard, qu’elle le doit; le vif saisit le mot et le mort. C’est admirable.
Curieusement la présence de personnages fictifs redonne un coup de jeunesse aux personnages qui ont réellement existé et qui sont morts depuis longtemps. Car leur mort si bien évoquée dans un cadre qui imite le réel fantasmé a l’air de s’être produite hier. J’ai découvert Froberger dans les années 80 et donc son “récit” de la chute de Monsieur de Blancrocher. Quand on l’a entendu une fois on ne l’oublie jamais. Le clavecin s’y prête admirablement. C’est cette magie de la dégringolade fatale (c’est notre condition) que j’ai à l’oreille et que je retrouve intacte ici.
Le plus surprenant est que l’on retrouve le graveur Meaume qu’il a inventé dans Terrasse à Rome. Les romans se répondent par personnages fictifs interposés. C’est la beauté pure qui se fait écho à elle-même.
J’aime beaucoup votre: il aime tellement les questions et si peu les réponses. Un romancier c’est ça. Un vrai romancier.
La vraie nature des romans d’aujourd’hui dont je me détourne farouchement est là: les romanciers croient naïvement qu’on doit parler de la libération des femmes du réchauffement climatique des inégalités sociales. Mais de cela les films s’occupent. Les romans c’est de l’écriture d’abord. Après on peut parler d’un adultère en basse Normandie où la femme se suicide à la fin; mais ce n’est pas le sujet central de madame Bovary. C’est d’abord un roman. C’est la vie imitée; pas les PROBLEMES de la vie. C’est la vie saisie comme elle est. L’Amour la Mer, me laisse l’impression que ça s’est passé hier. Une vraie magie qui donne le tournis. Car la mer s’y associe, elle est là, elle palpite à chaque page, le rythme de l’œuvre est ressassement. Saisissant d’actualité, car la mer toujours, comme l’amour, ressasse joliment; la beauté est la préoccupation première parce que la vie est tragique ET BELLE.
Oui, vous vous écrivez aussi, alors que je lis seulement. Je ne suis qu’une lectrice qui approche les écritures, loin de toute doxa, par l’intuition, volant d’un livre à l’autre pour en dérober le secret de leur charme. J’aime le grain de l’écriture de Quignard, le plaisir à l’écouter même quand je lis silencieusement, sa forme mélodique. C’est une forme musicale, une conscience poétique du monde. La lecture de Bachelard m’y avait préparée. Immédiat bonheur gourmand de la lecture d’un livre aimé. Émerveillement auditif pour ceux de Quignard. Parfois, un crayon à la main, je souligne un passage, écris dans la marge. J’aime plus tard retrouver mes traces de lecture.
Ainsi ce passage : “Thullyn vint vers six heures. Dans l’ombre de la montagne il faisait déjà nuit. Elle franchit le porche et les prunelliers. Elle traversa les buis. (…)
On percevait au loin, dans le silence étouffé des pierres, un son de tuorbe.”
Un songe passe sur les mots…
Merci, Raymond, d’éclairer ce chassé-croisé entre personnages fictifs et réels.
Quignard me surprend. C’est un enchanteur. Ces livres sont une maison d’air.
Votre imaginaire est un monde d’arbres et d’eaux.
C’est bien que vous soyez aussi lecteur. Et quel lecteur ! Vous infusez souvent votre lumière dans vos lectures, illuminant l’oeuvre de l’autre. Alchimie transmutatrice. J’aime comme vous travaillez la matière verbale en écrivant ici vos poèmes, vos critiques et interprétations littéraires, musicales et même vos commentaires. Vous habitez un intervalle entre vous, le monde et les mots…une sorte de jardin.
Tuorbe pas tourbe !!! Ah ce téléphone ! Je rage
J’ai corrigé, pas de souci !
Je ne souligne que rarement les passages. Enfin si je l’ai fait pour certains ouvrages dont je savais qu’ils allaient m’être d’une grande utilité de relecture. Mais Pascal Quignard dont j’ai lu certains ouvrages quatre ou cinq fois, comme on réécoute un disque. lui je ne souligne presque jamais. C’est trop important, tout l’est, à quel endroit arrêter le soulignement?
Je pensais non, ne souligne pas, tu vas attirer l’attention sur un passage alors que tu sais bien que les livres “s’usent” et que la prochaine fois tu te demanderas pourquoi tu as souligné et cela troublera ta lecture. Tu sais bien que tu évolues en lisant et le livre n’est jamais le même ! Même si c’est le même. Surtout si c’est le même.
C’est étrange, je le reconnais!
Ça c’est très gentil. Merci .
Oui, on peut évoluer dans notre rapport à un livre lu en le reprenant plus tard. Je ne suis jamais déçue en retrouvant les traces d’une lecture précédente. C’est une ouverture immédiate vers un passé que je croyais oublié et qui ressurgit en se heurtant par hasard à une phrase presque effacée. C’est comme la toise familiale où l’on voit grandir les enfants à petits traits sur le mur. Un jour les traits se figent. L’enfant était sorti de l’enfance…. Vagabondage mnésique et littéraire. Jubilation de la réminiscence. Une clairière dans un livre, où rêver…
Bien sûr mais aussi, si on l’a abandonné,c’est qu’il dépassait notre concentration du moment. Le reprenant, il nous satisfait pleinement, nous avons franchi une étape et rien n’est plus frais que ce rehaussement discret que l’on se fait à soi-même.
Ou que lu et aimé on n’a pas voulu s’en séparer….
Ce qui est retrouvé c’est le temps, mon herbier d’observations.
Vous en dites des choses…. Parfois, je sens que je vous perds, vous ne me parlez plus. C’est un soliloque adressé à je ne sais qui. Comme si la chair des mots vous entraînait vers des festins solitaires où défilent les rencontres d’une vie, avec les livres, avec les hommes, avec les élèves tant d’années. Comme si écrire vous mettait en état de lévitation. Plus tout à fait là. Je vous retiens par une ficelle comme un cerf-volant. Et le vent vous emporte. Je lâche la ficelle, vous laisse vous ravir, là-haut au milieu des oiseaux de mer.
Tranquille. Vous finirez bien par vous poser sur le sable mouillé avec, écrit en lettres d’écume, la mémoire de l’apesanteur.
En fin de compte les écrivains sont des êtres de plumes. Sorte d’oiseaux toujours prêts à s’envoler.
J’écoutais Depardieu à la Grande librairie, prodigieux vivant au verbe convainquant, truculent, évoquer les livres dont ceux de Simenon, la lecture, ses rôles, son rapport au monde. J’ai eu l’impression fugitive de retrouver MaC. Un grand moment de bonheur.
Si vous avez un moment, lisez le dernier billet de Paul Edel. Il évoque Saul Bellow et un personnage qu’on n’oublie pas : le vieux M.Sammler, le décalé, et ses déambulations philosophiques dans la foule américaine indifférente des rues de New York, méditant sur la banalité du mal, lui le rescapé de la Shoah sorti de sa tombe.
Bouffonnerie chagrine, écrit-il.
Autre planète que celle de Pascal Quignard. C’est aussi magnifique.
Tout ce grand roman mélancolique me revient…
Je vais de livre en livre, un pied ici, l’autre sur des chemins d’écriture.
Bonsoir. (Je vais lire !)
https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/02/16/du-grand-depardieu-a-la-grande-librairie-sur-france-5_6113985_3246.html
Un bel écho de ce passage…
https://www.maulpoix.net/quignard.htm
Ce lien donne accès à une lecture de Pascal Quignard par Martine Broda, cette grande traductrice de Paul Celan…, poéte et critique litteraire. C’est M.S. qui l’offre sur un blog voisin… Elle l’a trouvée sur le site de Jean Michel Maulpoix que vous avez en lien, je crois.
Je trouve cette lecture incisive, capable de percer les ronronnements ambiants, jusqu’à trouver la part sauvage et cruelle de Pascal Quignard.
“A force d’être amoureux de la langue on dirait qu’il la guide de loin et qu’elle se développe toute seule, il la laisse écrire ce qui donne un sentiment de liberté ahurissant”
Ce passage est fascinant. Vous pourriez en faire plus ?
il va la chercher au fond du premier royaume dirait-on…C’est comme le musicien las qui laisse courir ses doigts sur le clavier, ou (exemple) Kafka qui dessine sur le manuscrit cet homme stylisé , presque par distraction; gribouillant. à y regarder de près cet homme dessine la lettre K. Son Héros (Procès Château) devance le propos qui va s’inscrire sur la page. Son nom le précède, oui, le tout début de son nom…
Il y a chez PQ une énergie telle que l’auteur donne l’impression qu’il pousse la phrase et qu’elle se clôt d’elle-même. Alors s’ouvre là devant, dans le blanc une autre inscription inattendue. C’est POUR ELLE qu’il écrit, pour la voir surgir
Cela dit, je ne fais guère autrement. Ecrire c’est s’étonner. s’oublier pour s’étonner. s’absenter pour faire jaillir la présence, l’autre présence. Ce qui fait dire à certain poète: “Le sacré soit ma parole”: c’était Hölderlin; on ne dirait plus le sacré, de nos jours, on dirait: le corps soit ma parole, c’est toute ma vie que j’engage à l’instant, car le corps est ma seule présence, il n’en est d’autre, aucune autre.
D’où l’importance du blanc. Signe de l’absence alentour. Chacun est désormais si seul qu’il semble porter sur ses épaules une manière de cage de verre que l’ordinateur semble pouvoir franchir mais la palpitation, mais l’odeur, mais le parfum, mais le pas, mais la voix, surtout la voix. Surtout la voix.
La dépression est là. Pas le prozac, non, donne-moi ta voix, ta vraie voix, que j’entende la mienne. Ma voix.
(on croirait du Duras)
Je crois tout compte fait que j’ai répondu à deux de vos mails en même temps. Vous dites de telles choses importantes sur la parole(: “il vous a fallu la prendre”) qui me concerne que l’on pourrait presque continuer à l’infini sur ce sujet.
Car il se passe une chose inattendue, plus on creuse (PQ: plus on va vers le premier royaume), plus on s’approche de la psyché de tout un chacun, du désarroi présent; tout le monde est touché par ce que je croyais être mon “ressenti” comme on dit si bêtement aujourd’hui.
Ce que j’éprouve n’est qu’un exemple particulier de l’impression générale, ce soupir que l’on pousse lorsqu’il faut un matin, sortir dans la rue, saluer les voisins, acheter le pain etc. Ce sinueux et filandreux parcours dans le temps, c’est pourtant la vie, mais alors pourquoi soupire-t-on?