Vers le soir montent les questions pointues des oiseaux. Pour l’instant, elles ne se superposent pas (le tintamarre, ce sera pour avril), elles demeurent aux tympans, puis reprennent leur jeu acrobatique, danse des sons dont la rythmique nous échappe, se perdent dans la fatigue qui nous saisit, coup de coude de l’inconnu qui nous éveille à l’intérieur de nos paupières brûlantes, on les abaisse, rêve d’autrefois, le chant reprend, exactement semblable au précédent et pourtant différent, car c’est un autre instant, le cœur l’éprouve et la raison le confirme : non, ce n’était pas le même, le passage à vide du temps entre les deux dit bien que la première audition ne ressemble en rien à la suivante, mon humeur a bougé, ma vie s’est avancée d’un pas qui ne reviendra plus. La deuxième, puis la troisième et toutes les autres mélodies de l’oiseau sont éclatantes comme la lame plusieurs fois affûtées du même couteau qui taille dans l’air du soir des reprises à chaque fois plus brillantes jusqu’à l’extinction du chant, silence de nuit que l’oiseau nous fait subir sans prévenir, petite douleur de l’abandon.
À cet instant s’accroche en remplacement du son éteint, un autre jeu où chaque note de l’oiseau revient sous forme visuelle, le même brillant dans la solitude irrépressible du noir total, autant de sons autant d’étoiles. Elles s’accrochent différentes et au fil des heures vont coudre sur le fond bleu d’encre des images, dessins antiques où notre esprit, selon sa vieille attitude critique, s’étonne inutilement de la course obligée du regard qui relie cette étoile à celle-là et pas à une autre, formant des présences millénaires : Hercule, Orion, les Pléiades. La nuit prend sens, son mouvement rotatif autour de la Polaire apaise notre présence fière d’avoir organisé arbitrairement ce beau chaos, et l’on songe que chaque nuit va reprendre le même dessin, répétition encore, mais où l’œil ne verra pourtant jamais la même chose, tant nos humeurs sont variables. Le soir bouge.
On ne s’étonnera pas que Schubert ait mis tant de barres de reprises (l’enregistrement nous fait oublier cette nécessité), répétition du même qui n’est jamais le même car ce qui est repris n’est plus d’une fraîcheur semblable, ce n’est pas mieux, c’est autre chose et c’est ainsi que la vie va. La visiteuse confirme cette évidence, elle qui nous suit pas à pas, affirmant en son lent glissement que rien ne se répète et que tout n’est que passage : notre existence ne repasse jamais deux fois les plats, je ne suis que l’instant, il n’est rien d’autre que cet instant. Quelle chance ! Si l’on peut éprouver la vie comme ennuyeuse, c’est que nous avons sans en prendre conscience abandonné notre curiosité native aux chèques de fin de mois, aux horaires des bus et aux impératifs de l’efficacité douteuse où nous pataugeons, avec pour corollaire cette impression fausse, féroce, que c’est toujours la même chose, signant un contrat de monotonie dans l’obscure étroitesse de nos remuements répétitifs. Et c’est ainsi que nous pouvons passer à côté du miracle de vivre.