Ils partent, délaissent leurs chambres aux draps froissés où les boiseries craquent et filent sous la fournaise, mur bleu horizontal de l’asphalte grinçante, tandis que quelque part la jeunesse recompte les points en rongeant ses ongles dans l’attente du résultat qui les verra renaître. Fils de juin, le petit juillet lance dans son bourdonnement gris des sortes de fêtes où l’on danse sous les charmilles : leur épaisseur couve des baisers, des promesses qui parfois seront tenues, longues notes du bout des doigts jusqu’à ce que le clavier des jours s’arrête sur les touches noires. L’épisode rapide des clairons ridicules – on sort les drapeaux de la naphtaline – enfonce le silence de l’histoire, il y eut un passé aux yeux de feu et des garçons heureux dont le nom s’efface au monument, et la trompette les appelle et personne ne répond, c’était une promenade fatale un soir sous la mitraille. Tiens, j’entends une moto qui dérape. C’est la vraie fin de l’année et comme on y croit vraiment, inlassablement, de génération en génération, on choisit un samedi et pour ressusciter les morts on se marie un peu encore, même si, on le sait bien, les autres mois useront les serments puisqu’acoquiné aux années le tripot des jours fatigue la vie à deux.
« Il est bizarre de mélancoliser me dit la visiteuse, tu sais bien qu’à un moment – c’était il y a vingt ans peut-être davantage – les coquelicots ont disparu et regarde aujourd’hui leurs notes demoiselles redansent au bord des blés, c’est fou d’y croire, les plus belles fleurs rehaussent les routes qui menacent de flancher sous les coups de la route engorgée. Regarde tes lèvres au miroir de l’étang, ne vis-tu pas et dis-moi s’il y a du regret dans l’eau tranquille et habillée comme une métropole de milliers de vies coassantes et rapides ? Les voix, les voix reviennent en foule dans leur fragilité terrible, pétales frêles comme des bonjours qu’on échange distraitement et qui soudain chantent pourtant le bon jour où nous sommes. Bientôt tu glaneras de nouveaux airs, nous sommes tous princes et princesses dans les hommages que nous rendons à l’imagination, nos modestes œuvres ; le coquelicot est le prophète du petit juillet encore vert, les fruits sont annoncés même dans nos septentrions venteux, il suffit de vivre, disais-je, il suffit d’attendre. Est-ce trop demander ? »
Ainsi parlait la visiteuse qui s’en allait à la fête.
2 réflexions sur « Le petit juillet »
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Je disais à l’instant à Vincent que j’aimais beaucoup l’allure que prenait votre blog des derniers temps. J’y apprécie beaucoup les rêveries. Et j’ai trouvé aussi très touchant les textes sur votre fils. (On le reconnaît parfaitement dans la Lettre à son.) Bonne soirée, Raymond.
Merci Lobo pour ces paroles positives. C’est vraiment très aimable et inattendu. En effet je cherche ce que tu dis: toucher.
Bonne soirée à toi aussi, Lobo.