Le chant, j’y reviens pour le cerner d’un peu plus près – tous les prétextes sont bons pour m’approcher de lui – le chant est né de la rivière et sur la cire de ma mémoire l’enfant avance contre l’interdit du bord de l’eau : « Jamais au bord de la rivière compris, » voix de rogomme et moi l’oiseux, j’opine bien sûr, je ne vais pas risquer des coups pour un retour de sincérité, dictature et mensonge sont jumelles, donc l’eau lui baigne la plante des pieds, il a choisi un sureau un peu vieux, lui a lié un crin raccroché au roseau et abandonné là par un pêcheur avec son hameçon ; il pêche devant le temps qui fuit, ligne tombant d’amont vers l’aval et soudain horreur, ça mord, il glisse un peu vers l’avant, panique, tombe à l’eau, revient en barbotant et tout est parti, la gaule avec le reste, lui trempé de la tête aux pieds remonte la rive, il ne peut pas rentrer ainsi, ce serait un corps aveu, tremblant, la vie mouillée à mort et il avise un feu bleu mouvant, s’approche ne fait rien – combien sont-ils ? – ils parlent une autre langue, l’une lui fait signe de se déchausser, accroche ses chaussettes sur un châssis métallique au-dessus du brasier, l’autre les tourne pour éviter qu’elles ne brûlent, il doit se déshabiller, aucune honte, personne d’autre n’esquisse un geste, ils le regardent, ses vêtements fument, ils lui passent vivement une couverture, l’une d’elles lui frotte le dos… ça y est je l’ai dit, l’une d’elles lui frotte le dos et chante… enfin je crois, peut-être n’est-ce pas un chant, seulement le bonheur qui lui fond sur l’échine sans prévenir, c’est un silence, un énorme silence qu’un chant anime il n’en doute pas, et la jeune femme qui sourit là-bas.