Sous les textes, stimulante, jaillit la source des secrets. C’est à l’écriture qu’elle s’éprouve. Du bord des lèvres, le murmure passe dans la poigne, la mine invente, pousse devant elle, sous la banale pression d’une instance vitale, l’artisanat énigmatique qui couve au creux de la main ; la paume s’ouvre contre le bois de la table tandis que les doigts pressent le style vers le tout autre ; ainsi s’allument des chatoiements inattendus.
Je ne sais pas avant d’avoir pointé mon immersion ce que vont rendre au monde les contours de mes syllabes, ce peu que j’entends d’abord. Si j’étais Dieu j’entendrais tout. Mais Dieu est trop occupé à prier pour nous, et il n’a pas le loisir de nous donner mesure ni raison. Mains jointes, il a tant à faire. Reste à tisser par devers soi des thrènes, en pitié des enfants du grand silence. Le silence : si je m’ouvre vers le blanc qui me tient tête, c’est lui qui m’accueille, c’est lui qui me force la main, c’est sa muette présence qui officie pour moi dans la nef des mots. Sans le silence, je n’aurais aucune raison de dire l’épiphanie des ombelles de juillet ni l’ocre violet des confins de décembre, et je me perdrais aux bois, les branches calcinées de l’an désignant tous les horizons lestés de nuées grasses. Rien ne m’est chemin que ma main, puis le silence.
Le temps va pourtant, cette presqu’île boisée accordée à mon pas ; je dois bien en constater la preuve heureuse, ne serait-ce qu’à cause des battements, là, en haut à gauche ; mon cœur, longeons la mer à défaut d’infini divinisé ! La goguette caracole sous le pull et tu vas dire dans le vide qu’il fut un temps, le tien, le mien, où l’on s’époumona en vain par peur de ne pas vivre l’ouvert énorme, offert sur le plateau du nouveau siècle.
Il m’arrive en effet sur cette langue de territoire tendu de n’entendre aux cités que des cacophonies enregistrées, folles tentatives pour ne plus percevoir le silence dont je fais justement mon secret travaillé. Je lève les yeux, les CD hurlent sous le laser arc-en-ciel. Ils sont la marque éclatante du silence qui me prend à bras le corps et me rabat vers la terre où je stagne le plus souvent. Je dois l’écrire pour m’élever puisque Dieu, transi d’oraisons funèbres, n’a plus souci de nous. Je me souviens qu’en partant il nous a dit : vous ferez silence en souvenir de moi. Depuis, le diapason ne cesse de monter, les techniques féroces de remplissage des tympans se sophistiquent, chaque jour plus loin de la sagesse qui commanderait le taire. Il faut s’écarter des voies très frayées, trouver la source du silence et la chanter pour maintenir la mesure et la raison en allées, avec l’espoir de réparer un peu le chant perdu.
La main bricole dans le silence des idoles de mots, isolement indispensable qui retrouve le sel de la terre vibrant en harmonie avec le feu des ciels. Les avis sont partagés : chacun s’invente sa mesure, éveille ses approches sans rimes, ses histoires de mains qui repoussent le silence par exemple, oui, toutes sont dissemblables puisqu’à l’indicible nous sommes tenus et qu’il rôde pourtant différent au creux de chaque main.
Je dirai l’indicible, voilà ce que nous visons. Nous avons soif de mesure, mais la tienne n’est pas la mienne. Elles se saluent dans leur indicible dit, elles se lisent entre elles, s’élisent quelques temps, puis se séparent, reprenant leur chemin au silence du pas seul. C’est ainsi que se trame l’immense lisse de poésie que personne n’entend, presque personne.
Souvent je me retourne : il faut bien s’assurer du pas tenu.
J’entends des airs du temps de Mozart. Mais ce n’est pas lui, une évidence le souffle ; il leur manque quelque chose, c’est un trop plein d’entente qui multiplie les gesticulations, magie cherchée puis trouvée dans cet air satisfait d’un allegro carré. Pris dans leur propre jeu, ces musiciens éludent l’ouvert, refusent le mutisme acquiesçant de la vie, ignorent l’océan qui bat sous le remuement des lames certaines. La main est experte, l’artisan a du métier, mais l’entente est gentiment dansée : il faut combler les creux au plus vite, disent-ils, alors que Mozart chavire constamment. Parfaite parce qu’imparfaite, sa vie s’expose au silence sans presque y toucher, stupéfiante sonate de voix croisées en pleine houle voulue. De la main qui frappe, Mozart n’oublie jamais l’essence grave qui court des doigts jusqu’au poignet, coupoles que nous portons au bout des bras sans les voir et qui dessinent sur leurs dômes des veines palpitantes, tandis qu’à l’intérieur se croisent lignes de vie et lignes de chance. Les phalanges obéissent mais seules les dernières touchent ; les autres, celles qui précèdent, s’occupent de ménager au silence la part de vérité que figure l’arrondi des mains nues.
C’est la même absence humaine qui dort sous les voûtes romanes. Et plus les vitraux sont petits, plus le silence s’ouvre au plein des éclats de lumière aboutés ; le plomb glisse du bout des doigts, fluidifie la nuit d’étoiles bleues, jaunes, rouges qui se lancent hors de nous, longtemps après que nous avons clos l’huis dévoré des pluies ; dans l’espace poussiéreux d’où ne descend plus que le moisi des arcs, la porte pivote en grinçant et ces craquements inhumains semblent les échos des milliards de prières soufflées aux parois ; ces mains jointes, ces lèvres émues auraient pu empêcher la formation des mousses qui glissent des voûtes malades pour aller mordre le pavement délaissé… mais les mains sont envolées avec les paroles sacrées. Et les pas, mon Dieu, les pas ! Une fois dehors, je sens que la soif brûle mon palais et je me souviens que le bénitier était sec, en effet.
Je descends d’une marche encore ; je m’enfonce dans la nuit close du cinéma : la lumière montre à cru en un lent tournoiement d’antiques statues que le maître farda. Le silence du Mépris naît de l’effroi des couleurs primaires plaquées sur les visages muets ; c’est si loin désormais que la presqu’île devient une île où la présence fut, mais n’est plus. Elle dérive. Je rêve avec le cinéaste, au large du plus large, d’un temps de raison où les mains savaient encore caresser les visages. L’absence était cet éclat qui jaillit hors de la pierre sous les coups d’un burin très tranchant ; la violence était belle ; elle faisait les pommettes douces et le regard serein que nous ne voyons plus. Cette résurrection brutale des héros maquillés alimente le regret d’un secret dévoyé dans les nus des musées.
Le ciel ne proposant rien d’autre que ce qu’a vu le vent d’ouest, je m’avance plus bas encore dans la ténèbre des grottes, et là, surprise, avant l’écriture, je retrouve mes amies par milliers, mains soufflées, mains plaquées, dont on prétend ne rien savoir, sinon qu’elles sont datables ! On remplace l’ignorance par des chiffres, pauvres de nous, bel effet du carbone quatorze et des sciences casquées ! Eh, mon Dieu, mais c’est aussi simple qu’un enfant qui se tait ! Les mains étreignent la roche pour survivre, bien sûr ; ce secret n’est rien d’autre que la présence qui trace au plus humide des parois un sang neuf, vibrant comme des volées de flèches, enviant à la pierre sa rugosité sans gloire, vraie nuit d’éternité. Les animaux du temps poussent alentour un cortège trouble où le repentir du bois brûlé trace sûrement les chasses vécues et resongées. Mains et bêtes se proposent aux tremblements de la lampe, côte à côte sous les coupoles creusées des eaux, violence et silence se livrent ensemble, cris et souffles se font peur, puis s’apaisent mutuellement. Il le faut pour que la vie rechante.
Oui, le secret est dans nos mains, tout le monde le sait, et je l’éprouve chaque jour quand ma pointe s’avance hors du monde où je vis, à deux pas, à l’écart, pour moi seul.
Quel cadeau que ce long texte en prose qui est au plus proche dune parole libre, qui nous jette dans votre présent. Une sorte d’entretien de vous avec vous-même. Vous vous interrogez sur votre écriture, sur le lieu de l’écriture, sur le geste de l’écriture, ce mouvement que vous n’arrivez pas à fixer. Vous semblez vous battre avec cette main secrète éperon de votre propre manque.
Qu’est-ce qui bat sous l’écrit comme un cœur ? qu’est-ce qui se croise de votre vie et de celle de votre écriture ? Elles se ressemblent un peu mais lune sert parfois à oublier l’autre ou à refaire son déroulement différemment. L’une et l’autre connaissent la censure pas toujours extérieure…
Votre écriture prend tant de formes apparemment différentes : poésie, essai, traductions, récit, billets d’humeur, critiques littéraires… mais toutes connaissent ces moments de fragilité, toutes bifurquent, se dérobent. Une course à perdre haleine, une pensée-langage que la “pogne” tente de saisir.
Qu’est-ce que la main voit ? qu’est-ce qu’elle tente de saisir dans le silence , dans cet espace de la feuille blanche ou de la nébuleuse du départ ?
Aujourd’hui pas de poème qui fixe d’abord l’espace qu’il occupera. aujourd’hui il n’y a rien à raconter mais tout à interroger de ce territoire fugace où s’inscrit l’acte d’écrire… une question qui reste dans son blanc ouaté…
La main secrète semble en décalage avec votre pensée. elle va plus vite perçoit ce qui risque de se perdre si elle ne le saisit pas. elle veut aller plus loin.
Et puis vous bifurquez : “Nous avons soif de mesure, mais la tienne n’est pas la mienne. Elles se saluent dans leur indicible dit, elles se lisent entre elles, s’élisent quelques temps, puis se séparent, reprenant leur chemin au silence du pas seul. C’est ainsi que se trame l’immense lisse de poésie que personne n’entend, presque personne.”
Vous déployez cette idée dans votre beau livre “Brassens ou le désaccord parfait” , paru chez “Mille sources”, pages96 et 97 :
“et chacun est à l’autre sa fausse note (…) Heureux dérangement de mon intériorité folle, le visage de l’autre oblige au retour au réel ; le différent est ma chance : nos yeux doivent s’adapter (…) le scandale de la non-ressemblance. (…)
L’immense danger de vivre aujourd’hui est le refus du désaccord. (…)
Si l’harmonie doit être chantée, recherchée, il est parfaitement immoral que nous la trouvions, car alors la joie et le rire, l’impromptu et la surprise deviennent obscènes, incorrects, non conformes. (…)
Heureusement les mots, comme les cordes, se détendent et se lestent d’approximations humaines.”
Eh oui, Raymond quand vous mettez au monde un poème, un texte, un livre voilà les barbons – dont je suis et vous aussi, parfois – qui viennent butiner, questionner, critiquer… Quel monde passionnant que le langage…
Oui, c’est un peu long, c’est que le sujet s’y prête !
Quelle lecture magnifique.
Merci d ouvrir en un texte parallèle ce mini essai sur l’ecriture telle que je la conçois.
Ce faisant vous ouvrez au lecteur une vision limpide de l ecriture de ce blog, restituez ma densite rêvée en termes clairs pour en montrer l importance . Grand merci a vous!
La relation au brassens est particulièrement bien venue, ainsi que la fragilité des textes du blog qui est leur marque de fabrique.
Mais c est notre temps qui est ainsi et ma main, ma manière, s est donné pour tâche de s en faire l écho.
Merci surtout d avoir vu tout à la fois avec respect et souci de l écriture.
Vous évoquez une autre trace que celle de l’écriture, celles “dans la ténèbre des grottes, (…) par milliers, mains soufflées, mains plaquées, dont on prétend ne rien savoir, sinon qu’elles sont datables “.
Les grottes préhistoriques de Gargas dans la vallée de la Neste (Hautes Pyrénées) et la peinture négatives de mains d’hommes, de femmes et d’enfants, cernées de noir et de rouge.
D’autres mains secrètes…
On imagine la couleur crachée ou soufflée autour de la main placée sur la paroi pour en cerner la forme.
D’autres “positives” et là ils ont trempé la main dans un liquide coloré.
Pourquoi ces mains ? Qu’est-ce qui a poussé ces hommes il y a plus de 20 000 ans à laisser ces empreintes ? Nous avons beau nous projeter au Paléolithique, Nous ne saurons jamais. Marie José Mondzain dans un bel essai “Homo spectator” (Bayard) va à la rencontre de ces hommes qui, dans l’obscurité des cavernes, ont laissé ces empreintes de mains, les premières images d’eux-mêmes. “Qu’est-ce que voir ?” écrit-elle.
j’ajouterai, qu’est-ce que lire, en ouvrant les pages de votre blog ou de vos livres .
Elle répond : “si ces images sont si bouleversantes, c’est parce que nous les recevons de plein fouet comme un signal émis à destination de notre regard. Ça nous parle parce que ça parle de nous. Dans le silence millénaire de ces images, il y a la virtualité sonore d’une articulation décisive du spectateur à la parole;”
elle évoque la redescente vers une caverne matricielle de cet homme qui “retourne à la noirceur de la terre pour construire sa définition (…) un rapport imaginaire qui lui confère sa capacité de naître, de se mettre au monde et d’entretenir avec le monde un commerce de signes.”
Encore une fois c’est l’irréel de l’image qui fait surgir le réel. Elle écrit : “Être un humain, c’est produire la trace de son absence sur la paroi du monde.”
C’est un peu ce que vous écrivez ici.
Présence aussi quand, page 53 de votre livre, vous écrivez de Brassens lecteur : “Pas question de charmer; ruser plutôt, ironiser gravement sur les ornières du réel tout en poursuivant les poètes de jadis. Villon et La Fontaine viennent en caution, (…) La mémoire des innombrables lectures est une terre de langage, un engrais garanti deux mille cinq cents ans (…) Brassens pose sa grosse patte sur les livres, opère le tri, garde les formes et file sur les métaphores qui rient entre les rayons des livres. (…)
Au centre des mots qui roulent dans son esprit, océan de phrases mémorisées, il rit sur une île déserte où tout est bon à bricoler. C’est Robinson qui chante.”
Tout se lie Raymond de votre “pogne” qui écrit, à la grosse patte de Brassens fou de lecture, à celles de la grotte de Gargas, à Brassens. L’écriture n’avance qu’à force de lectures de livres et d’images. Les signes de tous ces temps se combinent à la fin et forment l’écriture.
(et les lecteurs deviennent nageurs de signes….)
Vous avez entièrement raison de nous ramener sur les traces de ces personnes de la préhistoire. Tout ce que vous dites est précieux et de plus extrêmement émouvant; Mais vous avez compris aussi que l’affaire d’écrire n’est jamais terminée, et cela est encore plus précieux. A chaque fois qu’un écrivain digne de ce nom pose un mot sur le blanc, il reprend cette geste, cette aventure, cette histoire magnifique de l’invention des mains sur les parois.
Affirmer sa présence donc; dire que l’on a été là. La main est aussi ce lieu d’où part la représentation, la main est la pierre de touche de la peinture, du dessin, du graphisme. C’est pourquoi elle s’autoreprésente, avec distance, avec fierté, avec conscience. La conscience c’est savoir que l’on est conscient, la main se sait à distance au bout du bras, elle est pensée déjà, le premier pas, si l’on peut risquer la métaphore. Ainsi, ce que vous dites est d’une immense pertinence; je voulais dans ce long préambule (?) vanter l’écriture comme miracle, comme révélation de soi. Ce que l’on appelle signe est ce silence qu’on a aux grottes, mais qu’on a tout aussi bien aux cathédrales. Car on croit savoir ce qu’est l’ogive, la nef, mais rien n’est assuré même à huit cents ans de distance: sait-on par exemple ce que ces croyants ressentaient vraiment? Leur foi qui leur fit déplacer ces montagnes de pierre sont des mots. Et ici par exemple pourquoi des bœufs en haut des tours? Les médiévistes ont des réponses, mais justement elles sont multiples donc finalement assez insaisissables. Les bœufs c’est finalement ceci: Il y a de la poésie dans l’air .
Lorsque vous insistez comme moi sur la préhistoire, c’est pour dire AUSSI que l’histoire que nous croyons savoir, est nimbée d’une brume peu rationnelle, peu claire… et c’est bon. Cela laisse rêveur. Et ce rêve vient enrichir nos rêves présents, donc nous aide à écrire.
Je vous souhaite bien des rêves équivalents. Grand merci pour toutes ces aventures autour des mains !
C’est sidérant comme nos expériences se croisent, Raymond. Dessinant très souvent il m’arrive de croire écrire quand par exemple je tente avec un crayon ou un fusain de comprendre un arbre. C’est comme un dialogue. Je l’approche avec respect, je tourne autour, caresse son écorce, pose mon oreille contre lui. Puis je m’assois prés de lui et caresse longuement la feuille de mon carnet de la paume de la main. Comme la votre fait quand vous écrivez. Elle cherche à sentir où cela va commencer, où va se poser le premier trait. Puis tout cela vient rapidement, d’une façon fulgurante. la main sait. Je la laisse choisir dans un fouillis de lignes l’écriture de l’arbre. Tout être vivant écrit sa présence. L’écriture avec des mots n’est qu’une des formes de l’écriture. Quand je travaillais avec des très jeunes enfants qui ne savaient pas encore écrire, ils semblaient gribouiller ; à vrai dire comme ils offraient fièrement leur dessin tout fouillis, ils entraient dans une communication différée par ces lignes, ces signes.
Je crois qu’il a fallu passer par des pictogrammes, la répétition de signes adoptée par plusieurs pour avancer pas à pas vers l’écriture. Je pense aussi au Braille qui ne serait lisible sans le toucher et son écriture sans la règle et le poinçon. La voix en même temps a été un autre merveilleux lien pour faire sentir à l’autre des désirs.
De celle de Brassens vous écrivez : “Sa voix est un mâchefer irrégulier qui accroche tendrement les syllabes suspendues aux tableaux qu’elle décrit.” et quelques pages avant : “associant les deux arts majeurs, musique et poésie, il s’enclot, il trace des cercles autour de lui. Ailleurs dans le livre (il faut que je cherche) vous l’évoquez – et je pensais à Pasolini – naviguant entre langue classique et langue populaire pour faire lien avec tous, pour tous les inviter dans ses chansons.
Le dessin c’est une écriture de silence qui espère transmettre par l’émotion à celui qui regarde un langage au seuil des mots.
Vous évoquez aussi la musique de Mozart. Je pense à celle de Bach qui a beaucoup d’analogies avec le langage. Il me vient en mémoire que vous avez aussi parler d’architecture avec la cathédrale de Laon. (Encore un livre de vous que je prise); La façon de jouer de certains pianistes ou violoncelliste fait aussi penser à un parler, un langage. Nous évoquions il y a peules lieder de Schubert.
Et puis ça devient difficile car dans l’art l’œuvre ne vise-t-elle pas à transmettre autre chose qu’elle-même?
Vous qui aimez Kafka vous souvenez-vous de “Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris” ?
Bon je laisse là en friches ces questions nées des vôtres. Merci pour cette semaison.
parlé
à ne transmettre
Je voudrais revenir, sans abuser (dites si c’est trop de commentaires) au glissement que. Lus faites entre la main Ui écrit et celle qui dessine.
J’évoquais les jeunes enfants, hier. Et ‘eurs gribouillis qui sont chemin et vers l’écriture et vers la parole. Quand leur langage s’enrichit, j’ai observé, un peu triste l’abandon peu à peu des productions graphiques libres. Ils vont vers l’écriture. Faut assister à leur joie quand ils écrivent leurs premiers mots et qu’un adulte peut les lire. Et ces flots de paroles irrépressibles qui sont da joie. Une vraie boulimie !
Vous évoquez encore le vacarme sonore où baigne notre temps. Souffrance muette. Vous retrouvez le bien-être dans le silence , l’écriture ou dans un concerto de Mozart, je le trouve dans l’acte de dessiner longuement qui me coupe du monde où celui de peindre ou parfois écrire . Vous passez légèrement sur la parole de Dieu, pointant son absence. Que vienne un médiateur (sans idolâtrie)… par l’écriture, domaine de l’infini… Au-delà du regard. La poésie est parfois ce texte invisible qui affleure sous la surface des mots conventionnels. Dans l’écart. Le désir. Mais comme le chante Brassens l’interdit frappe les différences.
A Vienne je contemplais la tour de Babel interprétée dans ses variations par Bruegel. Colère de ce Dieu que vous dites mutique. Brouillages dans la communication et les langues ! Séparation… Coupure… Balbutiements… Langues de séparation.
Vous êtes interpréte, je crois. Il y a du travail !
Moi, je traduis les arbres…
que vous faites entre la main qui écrit…
https://utpictura18.univ-amu.fr/notice/4619-tour-babel-version-vienne-pieter-brueghel-lancien
Une des variations…
” 1) Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots.
2) Comme ils étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent.
3) Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment.
4) Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
5) L’Eternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.
6) Et l’Eternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté.
7) Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres.
8) Et l’Eternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville.
9) C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Eternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Eternel les dispersa sur la face de toute la terre.”
Livre de la Genèse, chapitre 9
Pour résumer…
Dans “Le Métier de vivre”, Cesare Pavese note le 3 décembre1938 : “Quand nous lisons, nous ne cherchons pas des idées neuves, mais des pensées déjà pensées par nous, qui acquièrent sur la page imprimée le sceau d’une confirmation. Les paroles des autres qui nous frappent sont celles qui résonnent dans une zone déjà nôtre – où nous vivons déjà – et, la faisant vibrer, ils nous permettent de saisir de nouveaux points de départ au-dedans de nous.” (traduction de Michel Arnaud ( quarto Gallimard – page 1507)
PAVESE :…Et de lire une chose déjà pensée par nous, il ressort qu’on entend quelque chose comme le sifflement d’une flèche qui vient frapper au centre de notre cible. Parfois aussi cette confirmation intime nous fait songer que nous n’avions pas osé le formuler ainsi, parce que, comme pour Nietzsche souvent, nous n’osions pas “aller jusque là”. Enfin il arrive que ces idées qui dormaient en nous n’étaient pas venues au jour totalement, elle était là, mais à l’état d’ébauche, d’esquisse, et nous admirons l’écrivain qui a su l’exprimer dans sa totalité, gratitude infinie.
Les références à quarto – j’imagine que c’est un pavé – sont très précieuses. Merci.
Ah, vous voici revenu. Quelle joie de vous lire avec cette pensée si juste.
merci. La justesse de pensée n’est pourtant pas mon fort. Je rêvasse. Ce faisant la pensée volète de ça de là pareil à la…
et parfois, mon dieu, il se trouve que je rencontre une pépite, un moment, parfois un long moment. Cela porte un joli nom, c’est un poème, la plus vieille chose écrite inventée; on organisait la société à force de lois écrites, puis un jour peut-être vers moins 1800 un poème surgit. Et il inventa les dieux qui se transmirent jusqu’à nous. J’essaie de me souvenir de ce temps.
J’aime beaucoup un peu plus haut la façon rieuse avec laquelle vous dites être tombé en poésie comme on tombe en amour. Le hasard fait bien les choses dans votre chemin de vie.
Solitaire dans un camp retranché du chaos du monde vous réconciliez les miroirs avec leurs reflets…
“réconcilier les miroirs avec leurs reflets” voilà une formule qui a beaucoup d’allure.
Ce. Quarto regroupant l’oeuvre de Pavese, présente par Martin Rueff est une merveille. Des nouvelles inoubliables ( L’été), ce Métier de vivre (derniers écrits), ses poèmes. J’y reviens souvent. Une voix devenue familière…
J’ai six Quarto Gallimard auxquels je tiens : Char (Dans l’atelier du poète) – Dumézil (Esquisses de mythologie) – Gary/Ajar (Légendes du Je)- Pavese (Œuvres)- Proust (A la recherche du temps perdu)- Starobinski (La beauté du monde) et l’équivalent : les deux Circus pour l’oeuvre d’Olivier Rolin (Seuil).
l’atelier du poète est un grand livre, oui oui oui. Dumézil oui je connais un peu le linguiste s’y est reflété, mais je suis vos indications.
Dumézil dans ces esquisses de son grand âge a regroupé ses recherches de toute une vie sur la voix, c’est à dire la poésie, la parole partout où elle a surgi. Il compare des mythes anciens trouvant certains d’entre eux gémellaires. C’est passionnant.
Ainsi ” Leto, près d’accoucher des œuvres de Zeus, cherche un lieu qui consente à l’accueillir. Les îles verdoyantes de la mer Egée l’ont toutes repoussée, craignant d’attirer la vindicte de Héré en favorisant la venue au monde d’un fils de son volage époux. Seule la plus déshéritée, Délos, un gros caillou émergeant des flots, finit par consentir…”
Et plus loin, voilà qui devrait vous faire sourire : “les filles de Délos font par nature de la traduction simultanée. Les langues de tous les hommes et leur articulation confuse, elles savent les mimer, chacun jurerait que c’est lui-même qui parle, tant leur beau chant s’ajuste avec fidélité.”…
Bref, l’écriture paisible de des souvenirs et mémoires de ces esquisses de mythologie, à quatre-vingts ans passés, en font un explorateur infatigable, un conteur, un enquêteur. Il y en a cent en quatre parties. Elles me régalent comme des berceuses….
C’est vraiment formidable, cet éloge. Surtout cela recoupe en effet mes préoccupations sur la voix et la parole. Il me semble que sur les filles de Délos autre chose est suggéré que Blanchot a tenté d’approcher: le chant des sirènes. La tricherie d’Ulysse consiste à ne pas s’en laisser conter, à ne pas se laisser avoir par les on dits et à pratiquer les “on-écoute”. Ce qu’il entendit alors est sans doute le silence; non pas seulement le “sans bruit”, mais le silence intérieur qui préside à toute création et ce qui monte alors a des allures de battements de coeur, le fin tambour du corps, la pulsation originelle; mais je m’avance déjà, je crois que ce qu’il entendit est AVANT la pulsation originelle, ‘avant’ cela veut dire quoi, le grave je crois, le grave de toute existence finie, le grave (de notre finitude) égaré dans la suite des temps. Il existe en effet une contrebasse qui rôde, c’est la terre. Ce qui trompe c’est que l’on croit que les sirènes avaient un chant aigu, or la terre ne peut pas chanter à l’aigu, n’importe quel marcheur vous le dira. La formule de Reverdy: la vie est grave, il faut gravir, cache derrière son sourire, le tragique de notre condition.
Vous m’arrachez de cette île aride, si petite et si déshéritée qu’il la nomme caillou en ce temps antique si lointain où naissent Apollon-soleil et sa jumelle Artémis-lune.
Vous m’éloignez de cet îlot flottant juste avant qu’il ne fut ancré au fond de la mer, pour approcher “le silence intérieur qui préside à toute création” et écrivez que “ce qui monte alors a des allures de battements de cœur, de fin tambour du corps, de la pulsation originelle” dans l’atelier du poète.
Alors que G.Dumézil réunissait ses fragments comme autant “d’épaves retrouvées” (ainsi les nomme P.Capdevielle dans ses notes) dans leur état d’inachèvement comme une suprême confidence, vous défrichez à nouveau la glèbe sombre de la page blanche avec votre très fine écriture. J’imagine l’enchevêtrement de ratures, de rajouts d’une “esquisse” en ce poème encore ébouriffé, sombre et lumineux à la fois et la “main secrète” qui libère le langage avant qu’il ne s’étrangle comme au lacet. Bienheureux êtes-vous dans votre barque bercé par les vagues tel Ulysse. Obscur silence de l’écriture, ride profonde au front.
Le monde s’efface. Vous êtes en chemin…
Un coup d’aile brutal. Un oiseau de mer emporté par le vent. Était-ce une sirène…
Dumézil toujours. Il a avancé une pointe vers l’ancien qu’il a proposé comme nouveau. La vision qu’il colporte m’emmène loin en avant, donc loin en arrière. Ce n’est pas par plaisir que je dis des choses contradictoires mais à ce niveau, que compte le temps? Ce que j’ai à dire est avant et après. Dumézil est un merveilleux soutien.
Je vais m’avancer vers un tumulus, c’est difficile à dire puisque ce n’est pas encore écrit, Mais cela miroite là bas. Ancien et nouveau. Aboli bibelot d’inanité sonore. Ecrivant on ne peut se passer de Mallarmé. J’ai failli ajouter: hélas. !!! Mais c’est mon rire à moi.
Brise marine…
Stéphane Mallarmé
“La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !”
Ce tumulus… Dans L’étranger Camus place Meursault dans un souffle obscur qui ressemble au vôtre : “pendant toute cette vie absurde que j’avais menée, un souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n’étaient pas encore venues et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu’on me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais.”
le tumulus est une manière de présence sur la terre , sous la terre . Il me semble que les anthropologues situent le tumulus à l’origine de l’humanité. Vous avez sûrement en mémoire des souvenirs de ce moment où les hommes ont fabriqué des tumulus; je crois me souvenir personnellement que cette affaire a plus d’importance qu’on ne le croit communément.
Vous semblez en apesanteur dans un temps, une durée qui se modifient sans cesse, où passé et présent ne cessent de se superposer. Quant à l’à-venir vous semblez l’avoir perdu dans un passé pas encore justifié…
“C’est la même absence humaine qui dort sous les voûtes romanes. Et plus les vitraux sont petits, plus le silence s’ouvre au plein des éclats de lumière aboutés ; le plomb glisse du bout des doigts, fluidifie la nuit d’étoiles bleues, jaunes, rouges qui se lancent hors de nous, longtemps après que nous avons clos l’huis dévoré des pluies”
Pourquoi, soudain, ces mots de vous prennent-ils tant de profondeur insolite dans le grand soleil de Paris, ce jour ?
Je ne sais…
Pour y faire écho quelques vers d’un poème d’Henri de Régnier :
“Il pleut, et les yeux clos, j’écoute,
De toute la pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s’égoutte
Dans l’ombre que j’ai faite en moi.”
Revoici le grand silence qui suit vos textes ou précède le suivant, celui qui lentement se forme sur la page blanche.
Nous nous sommes éloignés de celui-ci sans nous en rendre compte. Délice d’un échange ouvert par le terrain de lecture, ce paysage verbal, et c’est dommage .
Je reviens à votre texte qui est comme une fuite ou une recherche qui ne sait pas ce qu’elle cherche . Vous pressentez un secret, recommencez l’enfance de la page . Mais la volubilité de l’écriture vous entraîne dans un glissement qui s’étend de proche en proche du silence au bruit puis à la vérité que vous éprouvez dans son épaisseur troublante. Alors vous imposez le silence dans une lente involution.
vous “vous” imposez le silence…
Les tumulus..; Je viens de lire votre réponse. pour une fois, je ne trouve pas dans mes souvenirs un émoi face aux tumulus.
Les morts, sous la terre, plus c’est simple mieux c’est. que la terre leur soit légère. Tous les tombeaux qui séparent les pauvres morts de notre présence sont autant énigmes que peur de la mort.
Une poussière au gré du vent serait peut-être la meilleure façon de les libérer de notre emprise.
la mort je la sens comme un envol, une métamorphose, un retour aux choses inconnues du cosmos.
Néanmoins, certaines tombes toutes simples, certains cimetières réchauffant côte à côte ces jeunes soldats foudroyés par l’éclat des obus m’émeuvent. Quelques croix ou stèles plantées dans l’herbe, un nom, un lieu où poser une fleur ou un caillou.
Donc un tumulus hante votre création… je préfère me saisir de votre expression, vos mots “volètent” dans le poudroiement des pollens et du soleil. Légers, doux à ceux qui vous lisent et comme papillons amoureux dune fleur, s’y poser et s’en enivrer. Dans votre écriture poétique les contours sont estompés. tout est vaporeux, esquissé. Sfumato des grands maîtres de la peinture italienne. J’aime quand vous gommez ou encore cette attention aux détails les plus infimes. Je cherche moins, vous lisant, à comprendre qu’à sentir.
Le beau printemps que vous attendiez est là. Dansez mon ami. Jouez de la flute de Pan. Laissez les morts enterrer les morts.
C ‘est tout à fait ce qu’il faut entendre, la flûte de pan, la nature qui chante. je me disais m’intéressant aux tumulus qu’il y a là une présence très ancienne qui dit le contraire de ce que l’on croit; ça respire. La mémoire du plus triste, c’est le triomphe de la vie de l’esprit. Et cela se traduit par un monticule très léger très discret. Idéalisme de bon aloi, c’est possible, mais c’est ainsi que l’on peut voir la vie. Vous dites très bien le printemps, eh bien ces énigmes sont autant de fleurs posées là. Fleurs humaines et douces.
Tant mieux si vous ne me chassez pas d’un coup de balai ! J’aime votre tumulus qui respire.
J’ai trouvé pour vous quelque chose d’épatant , révélé par l’ethnologue Henri-Michel Boccara. Pour les Mayas du Yucatan, le centre du monde s’appelle “Xocen”, c’est-à-dire “Lis-moi”, c’est un livre, et ce livre serait précisément l’origine du monde : “c’est un livre naturel et il n’a été fabriqué par personne. Le livre tourne seul ses pages. Chaque jour s’ouvre une page et si quelqu’un veut la tourner intentionnellement, il saigne parce qu’il est vivant.”
Je serais bien ingrat si j’agitais le balai ! Votre mention de XOCEN est absolument capitale. Vous avez raison c’est épatant ! Tout simplement extraordinaire. J’ai le vif désir d’en faire quelque chose depuis que j’ai lu les propos de Henri-Michel Boccarra. C’est presque trop beau. J’y reviendrai. MERCI.
J’ai besoin du nom du livre(!!!) où cette histoire étonnante figure…
Jean Tardieu soutient que : « ce qui s’étend comme une vaste possibilité entre les signes de l’écriture ce n’est pas seulement le blanc de la page (ou le grain de la pierre), c’est encore l’Espace, parfois le jour, parfois la nuit ». Il y a aussi des écritures de nuit…
Et justement Michel Boccara (il faut ôter Henri qui est le prénom composé du dramaturge) nous parle justement des écritures Maya comme d’une forme scripturale nocturne. Une sorte d’ivresse des signes ( encore un lien avec Jean Tardieu)
Le livre est celui qui explore le mythe d’origine du livre glyphique. Je cherche….
En attendant, un bel article sur “le rêveur d’eau” :
https://www.liberation.fr/sciences/1998/02/24/michel-boccara-ethnologue-vit-a-mi-temps-dans-le-yucatan-avec-les-mayas-du-xxe-siecle-ils-plantent-d_228072/?outputType=amp
Michel Boccara, L’aventure des écritures, naissance, Bnf, 1997 et Les labyrinthes sonores. Encyclopédie de la mythologie maya yucatèque, Paris / Amiens, Ductus-URA 1478 (Cnrs / Université de Picardie), 1997
http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/precolomb/01.htm
Ou celui-ci , certainement inclus dans l’ouvrage précédemment cité. C’est cette référence que j’avais….
https://www.connaissancedesarts.com/musees/musee-quai-branly/le-quai-branly-ressuscite-les-mayas-114881/amp/
C’est un peu loin, en 2014 ! Je rassemble les souvenirs pour vous. En feuilletant les pages ci-jointes vous en aurez un contenu assez juste.
https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/les-mayas-toujours-vivants-au-musee-du-quai-branly_1608415.amp.html
Cet article devrait vous intéresser. (glyphes.. métaphore de la mort…)
Je dois à Bérénice Geoffroy -Schneiter, archéologue et historienne, la lecture d’un livre : “Arts premiers / Indiens, Eskimos, Aborigènes” (Éditions Assouline), qui m’a accompagnée lors de mes déambulations au musée du quai Branly.
Dans le chapitre “Les manteaux de mémoire de peau de bison des indiens des Plaines”, elle décrit le motif de l'”Oiseau-Tonnerre”.
Silhouette élancée, ailes déployées pour faire rugir la tempête dans les cieux déchaînés. Il incarnait, aux yeux de bien des tribus, le médiateur idéal entre les hommes et le Créateur, celui dont le guerrier espérait l’alliance secrète lors de sa périlleuse quête de la Vision.
Puisse cet oiseau vous accompagner…
Elle écrit : “L’art des Amérediens se complaît dans l’ellipse, dans le jeu subtil de la litote. Ici les empreintes de sabots en forme de “u” pour traduire une horde de chevaux ; là, une simple ligne pour traduire la linéarité du récit, la trame en quelque sorte…”
Ces manteaux de prestige, je les ai longuement observés. Des couleurs naturelles. Rouge tiré des baies sauvages, vert extrait du lichen ou de mousses… Et que dire du trait si sûr. Tout cela pour fixer la mémoire du clan, la grandeur des mythes. Dire qu’on les jugeait sans passé car sans écriture ! Mystère de ces tableaux de mémoire. Nulle résidence fixe, mais des habitations légères…
“périlleuse quête de la vision”. Difficile de faire plus précis.
L’écrit qui n’est pas écriture, ça c’est important !! On est entre la peinture et l’écrit, une manière de signes cabalistiques, d’idéogrammes utilisés dans les arts dits “premiers”…
“L’incendie de Copenhague” (Gilles Lapouge) traite de sujets approchants: les peaux des moutons sur lesquelles ont été écrits les Eddas.
Oui oui oui ! Absolument. Vous êtes épatant vous aussi, si prompt à repartir dans l’aventure de la lecture et de l’écriture.
Des signes illisibles mais hautement parlants.
Pour ma part je me revois comme une gamine fascinée, le nez collé sur la vitre me séparant de ces merveilles dans la pénombre et le silence du musée.
Un beau voyage dans ces temps cloués au présent.
Des signes comme des vibrations pour saisir l’insaisissable… L’énergie continue à les faire vibrer.
Je pensais à la main “secrète” qui les traça.
Comme un puits dans le temps… pour voyager de ces traces qui surgissent puis se dérobent à la pensée. Car on ne regardé plus, on pense… Absence et présence mêlées. Une contre-écriture, une poussée vers le visible. Un visible qui se décale un peu de la réalité. Un rythme dans l’espace.
La main “secrète” devient voyante dans l’impossible. Une pénétration qui apporte un plaisir infini…
Noli me tangere, citiez-vous si justement.
Sur ces pages, dans ces dialogues, on saisit la totalité de l’être humain, union de l’âme et du corps.
Ici les glyphes des Maya comme une évidence tranquille.
Réunir ce qui avait été séparé. Irrationnelle route où le passé nous fait comprendre le présent.