je vous la présente
voici la joie
jolie poudrée sans autre fard
elle bat nuit et jour
et ne se rend qu’à la mort
le vrai grand sourire
de la joie
perdure aux champs aux saisons
on l’attend au détour des chemins
de l’arctique à l’antarctique
la joie secoue ses longs cheveux
dans la nuit
et s’endort dans mes poings
serrés sur des rêves de toi
que mes paumes retiennent
la joie renforce mes battements
accélérés
et mes nuits vont et viennent
dans l’oreiller précieux
qui est mémoire des yeux
la peine elle-même ajoute
à la joie
car la joie fait des nuages ses alliés
et console et bouscule et refait
à neuf le tranchant de nos rires
Magique et magnifique cette joie inespérée
Un état de plénitude où la pulsion vitale renaît. Quel beau songe !
Oui, j’ai de la chance. Je garde la joie pour la fin du poème afin de montrer que c’est l’écriture qui en fait me remplit de joie, que c’est enfin, en- fin, que la joie peut monter. Je le vois tous les jours aux tours de la cathédrale, ce modèle absolu de l’œuvre d’art. les tours tout en haut, se mettent à tourner. J’ai raconté cette aventure en détail dans mon livre sur Laon. J’avais oublié – je viens d’en faire l’expérience – que ces tours, quand on les regarde trop, tournent en effet mais c’est surtout la tête qui me tourne, ainsi ce que je cherchais, n’était pas tout à fait à l’extérieur vraiment, mais également et surtout à l’intérieur du regardant. La tête ME tourne. Le vertige aux êtres trop sensibles, c’est quand fixant un point très haut, on s’y trouve transporté… et alors vraiment ça tourne. Ce qui est fabuleux c’est qu’elles tournent aussi vraiment comme je l’ai décrit dans le livre; architecturalement elles tournent; mais c’est notre regard DONC qui lui aussi fait tourner les tours.
Pour Voir la loi veut qu’on soit deux: l’objet à voir et le regardant. L’idéaliste écrivant sur les tours avait bien vu la torsion dans l’ascension mais le réaliste me tapote sur l’épaule et me dit: et toi? Et toi, toi que voilà… pourquoi t’absentes-tu? tu devrais te voir aussi regardant le haut des tours, gros malin !
Mais Raymond, si la joie, vous ne la trouvez que dans les mots, votre conscience ne joue-t-elle pas au bord du vide; comme si vous étiez en exil dans votre vie, hors de vous même (Descentes et remontées en torsion, vertige, dans la haute tour de votre cathédrale…), comme dans un songe. La source des mots est-elle différente de votre propre être ? Muette gestation…
Ecriture silencieuse. Absence au monde intraduisible; si ce n’est d’un tourment fermé sur lui-même qui cherche la déchirure des mots pour naître.
Vous êtes tel un perce-neige, engourdi sous la neige trouvant l’univers invivable par trop de confusions et de chaos et hésitant à pointer votre nez ! Votre filiation à Rilke, Hölderlin, Kafka sont autant de visages secrets, une constellation. Partagé entre le don et le refus de soi, comme eux… Le silence de l’Aleph…
Plus je relis, plus j’aime. Voilà “l’ouvert”.
Je pense à chaque lecture à quelque chose d’inoui, d’aussi beau que le Tangri éblouissant et pur, flottant comme un lever de lune à l’horizon dans Le Rivage des Syrtes.
Un Graal comme la Joie.