ce silence des soirs
où ne se passe rien que le solstice
le temps consent à couler doux
dans ce juin sans nuages
des paroles là-bas
disent entre des murs leurs contes familiers
la peur n’est plus qu’un écho très lointain
le passé suspendu au clou des rêves
échoue dans son ressac
je me murmure entre les dents
une chanson d’autrefois
au piano vertigineux
qui faisait tourner les têtes
et tirer les cordes vocales
j’aimerais tant que ce silence
noie sous son immobile
le reste des querelles des erreurs
qui rôdent sous le jour tardif
le pur ciel manière de mer d’huile
émousserait la pointe des plaintes dites
et ma main
cessant de trembler
protégerait cette flamme de grâce folle
contre le vent des mois
et la froide mélancolie
des futurs crépuscules
Je suis les méandres d’une écriture empreinte de lyrisme comme un vagabondage plein de nostalgie, un songe.
La grâce frôlée ? un don, un hasard, une harmonie fugitive… reconnue quand elle n’est plus.
Lisant, je rencontre ce voyageur se mirant dans ces reflets de ciel, eau et douceur… se cherchant.
Le titre annonce le but, mais vous dites le mot qui, écrivant, m’a hanté:
douceur… c’est elle l’objectif. Ecrit du bout des doigts…en errant, léger comme une plume.
Oui, la douceur. C’est aussi mon plus beau souvenir du temps passé à regarder les nuages à travers les feuilles. Nous étions comme eux de passage..
Ce qui est beau c’est que la douceur traverse le féminin et le masculin. Elle est aube de tendresse, effleurement, comme vous le dîtes, instant précieux que l’on cueille aussi dans le regard transparent du jeune enfant. Elle voyage, se love, se pose, s’échappe. Elle gagne sur toutes les cruautés, sur toutes les batailles. Le poids d’un papillon, d’une coquille de vent qui écoute une oreille. Les mots sont rares qui la traduisent. La musique oui. Certaines toiles aussi. Un bras gracieux qui donne à une statue sa légèreté.
Qu’importe si nos défaites ne peuvent la retenir. Elle a été, reviendra. Elle est l’imprévu qui endort le monde dans une paume entrouverte.
La douceur est humaine, masculin féminin en effet, je vous approuve. j’aime bien les voyages que vous lui voyez faire; ça circule en effet à tous niveaux, au ciel et sur la terre comme disait avec une belle candeur le prêtre de chez nous, alors qu’on sortait d’une guerre de 50 millions de morts. Justement la douceur est la présence au monde qui s’oppose à la violence native, on ressent bien cela en orient. C’est notre espérance. votre “imprévue qui endort le monde dans une paume entrouverte” m’enchante, on dirait le Bouddha.
Douceurs du soir
Quand je bois
-quel luxe ! –
vos silences
je me rêve
au crépuscule de ma vie
fermant les yeux
respirant vos vers
et d’autres aussi
apaisé
oui
tout est en ordre
là
oui là
est la beauté
Quelle volupté
que d’enfin
trouver
le calme
C’est beau, ça.
Oui c’est beau. C’est baudelairien, sauf qu’Eugenio leur donne un rythme encore plus ruisselant. C’est magnifique !
J’ai pensé immédiatement à un poème de Goethe: “sur tous les sommets est le repos”, dans son chant de nuit du voyageur, très court poème en vers courts comme les vôtres. Je vais le traduire, mais il faut un peu de temps, car l’inconvénient de ce poème est qu’il est ultra connu chez nos voisins.
Vous allez chercher l’association du calme et de la volupté chez Baudelaire et comme vous avez raison de le citer sans guillements c’est vraiment un plaisir de fin gourmet. Mais les verts courts ont ce rythme délicieux qui les fait couler comme une eau fraîche. Evidence de la beauté. Quelle bonne idée ! Merci.
Ici, chez vous, près de vous. On parcourt la parole silencieusement, comme se taire avec des mots. Alors source vient et ru dans le bel été. Le son s’en revient aux oiseaux. Un pigeon près de moi roucoule, caracoule des mots-oiseaux.
Ici, parler c’est donner.
On est au bord de l’indicible, un rêve d’écriture
“Sur toutes les cimes :
Le repos
Dans le feuillage, tu sens
A peine un souffle léger.
Les oiseaux se taisent
Dans la forêt.
Attends seulement, bientôt
Tu reposeras, toi aussi.”
Goethe – “Le chant nocturne du voyageur”
Merci Christiane, c’est exactement ça. Très belle traduction, et pourtant fautive! (Tardieu? )
Les circonstances de l’écriture sont aussi belles que le poème. Goethe avait passé la nuit seul (comme il le faisait souvent à cette époque: 1780, il avait trente et un ans) dans une cabane de bois du côté d’Ilmenau, sur le Gickelhahn. Il a écrit ce bijou le soir sur une planche de la cabane, alors que la lumière du jour diminue. La paix qui est évoquée est exactement celle que l’on éprouve sans doute lorsque le soir tombe et qu’on est seul sur un sommet montagneux. Le texte français est un peu rapide: il oublie que le premier vers désigne le “sommet”, que ce qu’il nomme “feuillage” est exactement le mot “cimes” … on comprend l’embarras du traducteur. Voici ma proposition:
Sur tous les sommets
Est le repos,
A travers toutes les cimes des arbres
Tu sens
A peine un souffle;
Dans la forêt les oiseaux font silence.
Patience, patience,
Toi aussi tu reposeras bientôt.
Ma traduction a le mérite de rendre exactement les mots du poème tel qu’il s’offre à nous. On passe de l’ inanimé (montagne) au plus animé (cimes) ; le souffle puis les oiseaux sont une étape encore(le vivant est au bord de l’extinction) et la voix : ‘patience’ dit l’arrivée de la nuit et du sommeil humain, que l’on pourra reprendre alors comme l’arrivée de la mort. On descend ainsi du sommet au sommeil. De la pierre au corps humain qui parle, pour dire la nuit. De plus objectif au plus subjectif; tour de force dans ce poème admirablement concis. C’est la vie tout entière qui est résumée en huit vers. Difficile de faire plus beau. Et pour découvrir le jeu subtil des rimes on a intérêt à lire le texte dans sa langue d’origine.
Über allen Gipfeln
Ist Ruh,
In allen Wipfeln
Spürest du
Kaum einen Hauch;
Die Vögelein schweigen im Walde.
Warte nur, balde
Ruhest du auch.
On comprend mieux pourquoi j’ai pu qualifier la traduction précédente de défectueuse:
Les rimes Gipfeln Wipfeln (Sommets cimes) sont admirables mais ne sont pas restituées.
Finalement on peut constater que dans la version d’origine toutes les rimes sont parfaitement justifiées.
L’apport des “e” dans Vögelein et Walde élargissent le silence: quelle musique dans ce silence ! L’emploi double de “Ruh” (vers 2)et de “Ruhest”(vers final) dit l’insistance sur le phénomène du “Repos”. On entend, dans la voyelle U, le ululement du hibou.
Voici enfin ce que propose Jean Pierre Lefebvre, parfait traducteur de la meilleure version, dans son “anthologie de la poésie allemande” (Pléiade) [le “plus rien ne bouge” est merveilleux de concision, mais laisse à l’écart le fameux repos (Ruh) qu’on retrouve au dernier vers, tout d’ambiguïté menaçante… décidément, rien n’est jamais parfait.]
Sur toutes les cimes,
Plus rien ne bouge,
Aux sommets des arbres,
Tu perçois à peine
Un souffle d’air.
Dans la forêt les oiseaux se sont tus.
Attends, bientôt,
Tu reposeras à ton tour.
Trois traductions contemporaines :
“Sur toutes les cimes
La paix.
Au faîte des arbres
Tu saisiras
Un souffle à peine.
Au bois se taisent les oiseaux.
Attends ! Bientôt
Toi-même aussi
Reposeras.”
Jean Tardieu
“Au-dessus des monts
Tout repose,
Dans la cime des arbres,
À peine si tu sens
Un souffle chaud.
Les oiseaux se taisent dans les bois,
Attends un peu, bientôt
Toi aussi tu reposeras.”
Guillevic
“Sur toutes les cimes,
Plus rien ne bouge,
Aux sommets des arbres,
Tu perçois à peine
Un souffle d’air.
Dans la forêt les oiseaux se sont tus.
Attends, bientôt,
Tu reposeras à ton tour.”
Jean-Pierre Lefebvre
Il semble que Marielle Macé dans son beau livre “Une pluie d’oiseaux ” (Corti), se soit inspirée des trois traductions. La sienne ne porte aucune précision quant au traducteur.
Merci de nous offrir l’original. La langue allemande ne sonne pas comme la langue française et qui plus est il s’agit de poésie. La langue des poètes est un tel mystère. Elle est au-delà d’une langue maternelle, d’un pays d’appartenance. Elle est d’ailleurs. La traduire est pour un poète une rencontre avec sa propre langue de création, sa sensibilité. D’infimes variations, un mot plutôt qu’un autre (paix/repos) – (cime/ feuillage/sommet), chacun, dont vous, s’essaie à nous faire partager cette heure tranquille au soir tombant, ce silence des oiseaux.
Pourtant il m’est arrivé à la campagne d’écouter le chant de la hulotte et même de suivre son déplacement en suivant le voyage de ce chant.
La nuit est parcourue de bêtes qui ne dorment pas. Et puis les martinets qui dorment en volant. Et puis nos rêves qui sont tout sauf du repos…
Se reposer ? Il se peut que ce soit les yeux grand ouverts en regardant un paysage au lointain montagne ou horizon marin ou prairie ou même, vous l’avez écrit : jardin.
Qu’est-ce que le repos, ce temps rare où les pensées sont étales. Une sorte de vide harmonieux, une respiration en accord avec les morts et les vivants, la terre, les eaux et l’espace infini.
Ce poème de Goethe entre dans notre écoute comme un repos par la grâce de l’écriture. Quel beau silence…
Souvent je me repose en écrivant ou en peignant…