un visiteur
j’entre dans l’ombre avec l’inconnu
je le guide sous l’arbre
il est ardent poli
avance sans bruit sur ses semelles de crêpe
je lui propose de l’eau
sa voix chante un peu
nous nous asseyons face à face
son front s’anime au creux des rides
autant de sillons vécus
sous le tilleul on entend des échos
comme une vérité voilée
il fait l’éloge de mes écrits
pour tempérer son ardeur
je lui désigne à deux pas la fontaine de bronze
elle a cent ans dis-je
le flot domine mes paroles
il n’entend pas
une brise modeste anime les feuilles
je devrais me méfier du ton tranquille
deux colombes se posent à nos pieds
je songe au village cet après-midi de juillet
ils sont tous à la moisson
alors que le visiteur évoque mes rêves
et fait lever le coeur bruissant de mes mots
je l’interromps
mais que me voulez-vous donc
je lui confie mon souci de la récolte
un champ de blé c’est mille ans de travail
j’évoque la mission du pain
l’eau la levure et les mains encombrées
il se lève menaçant
me rappelle que la mort est à ma porte
je le frappe
avec ce qui me sert de canne
il fuit fantôme dans le silence de midi
je ressaisis ma branche
et m’appuie sur elle
pour porter à boire aux moissonneurs