Et lorsqu’au plus noir de la saison, à la veille des neiges – l’air âcre asséchait déjà les palais – comme j’avais traîné sans le vouloir le silence à mes basques, la visiteuse s’en vint, chassant la noire décomposition où mènent tous les chemins (à quoi bon le nier), et m’emporta sur une place bitumée de frais ; je revois sa main gantée qu’elle passe sur son visage puis sur le mien en murmurant « vois ! » et détourne mes yeux de son propre regard : nous sommes au bord d’un lac, sa voix porte contre les vagues sarcastiques, elle cristallise appels d’oiseaux, craquements de branches et autres présences réelles. Il se fait une fraîche ouverture, le futur est donné à l’écho ; les sapins filtrent les ondes issues de nos larynx, renvoyant les voix à la fois idéales et réelles de nos échanges parfaits, où je dis combien je tiens à elle au plus proche du solstice, et elle souriante me renvoie à nos ferveurs desquelles naissent les attachements durables. « J’ai mille choses à faire et cent âmes encore à visiter, ajoute-t-elle en saisissant ma veste par le revers. – Attends, murmuré-je (pour que le lac ne l’entende pas), je dois te dire que je vois sous les eaux, à deux doigts de tes yeux, un autre paysage d’arbres moussus aux horizons croisés, bouleaux solides qui s’achèvent en filaments, chants dorés que le couchant blesse à peine, machines à rêver où l’immobile est un socle à partir duquel tout est possible. – C’est à peu près ça », dit-elle, et comme on le fait aux morts, elle abaisse mes paupières du bout de ses doigts gantés. Elle ajoute enfin : « L’hiver est aux rêves puisque tout est délié ». Comme elle réglait d’une main sûre les rênes des chevaux qui allaient l’entraîner, j’aperçus les premiers flocons qui mouraient minuscules sur l’asphalte inquiétante soudain. Réprimant un frisson sec, j’ouvris grand mes bras sur le vide d’un paysage que je croyais tangible et lorsque quelque part une branche morte craqua, je sus qu’elle était loin déjà ; elle reviendrait au moindre appel.
Je vois en songe sa tête qui confirme.
2 réflexions sur « Deux paysages avec la visiteuse »
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oui, c’est formidable , cette Visiteuse qui revient au moindre appel, qui vous suit, comme un double , gardez-là toujours dans vos pensées, dans vos rêves et quand même un peu dans vos bras
Ah, mais ce sera difficile pour les bras, car la visiteuse est un personnage fictif né de la rencontre avec la Vierge de la Visitation de Reims! Je l’aime beaucoup parce qu’elle permet de peupler mes rêveries d’un personnage féminin auquel je prête parfois un sourire ironique qui résonne enfin autrement, au milieu du grand sérieux de ce monde très subjectif qu’est ma peinture du passage. Elle est amusée par la lourdeur du moi qui s’y exprime et allège ainsi les propos ruminants de l’auteur du blog. A dire vrai, en écrivant, elle surgit sans que je l’aie prévu et je l’accepte à chaque fois sans hésiter. En bref, c’est une “visiteuse”! (On s’en doutait!).
Merci de votre lecture intéressée!